D-/ APPROCHE SOCIOCULTURELLE.
Selon cette approche, les comportements sexuels des femmes
célibataires dépendent largement du milieu socioculturel dans
lequel elles vivent. C'est-à-dire, des normes et valeurs traditionnelles
qui régissent la société. C'est l'ensemble de ces
constructions idéologiques qui déterminent les circonstances du
déroulement de l'activité sexuelle (Rwenge, 1999). Aussi,
l'activité sexuelle en milieu urbain s'expliquerait par la
désorganisation sociale, la faiblesse
du contrôle social et le relâchement des moeurs.
Cette thèse fait partie de la théorie générale de
la modernisation qui se fonde sur l'affaiblissement des structures
traditionnelles et le relâchement du contrôle des
aînés sur les cadets. Les comportements nouveaux qui en
résultent sont plus orientés vers la satisfaction personnelle et
la gratification individuelle que vers la responsabilité familiale
(Diop, 1995, cité par Rwengé, 1999).
a-/ L'approche socioculturelle "traditionnelle"
La culture traditionnelle a pour rôle de transmettre et
de perpétuer, génération après
génération, les normes, les valeurs, les us et coutumes dans
l'optique de la conservation ou la préservation de la tradition. On y
enseigne le respect de l'aîné. Les parents y ont aussi des
obligations envers les enfants, les aînés des cadets. Les adultes
en général se chargent de l'éducation et de
l'apprentissage des jeunes. L'enfant évolue d'abord dans la
sphère maternelle, vient ensuite son entrée dans le milieu le
plus élargi de la grande famille, où les rites initiatiques
prennent de l'importance pour lui. Les rites ont pour fonction de faire
évoluer l'enfant, non dans son comportement, son intelligence ou son
affectivité, mais dans son existence même, pour le faire passer de
l'état de nature à celui de culture et de le mener à sa
véritable destinée, à son plein épanouissement sur
le fait que les normes et les valeurs traditionnelles en matière de
sexualité, sont à la base de la variation des comportements
sexuels des célibataires.
Une des principales caractéristiques de la
société traditionnelle est la forte valorisation de la
maternité et du mariage qui sont les deux éléments
essentiels du devenir traditionnel de la femme (Liboko, 2001). En effet une
descendance nombreuse représente pour la femme une source essentielle de
prestige et de considération, et contribue de manière
décisive à consolider sa position à l'intérieur de
sa belle-famille (EVINA, 1990 ; NATION-UNIES, 1992). Cette importance
accordée à la maternité explique la tendance de la
société à considérer l'infécondité et
la stérilité comme des déchéances faisant l'objet
d'interprétations diverses.
Ainsi pour EVINA AKAM (1990) : « Chez les Béti
du Sud Cameroun, l'absence de maternité est pour une femme un obstacle
à son ascension dans le groupe féminin. De plus une femme sans
enfant est le plus souvent considérée comme le logis des mauvais
esprits ou tout simplement comme une sorcière. Les femmes
stériles Fulani et des autres ethnies touchées par
l'infécondité au Nord du Cameroun se considèrent comme des
handicapées
sociales et se croient inférieures aux autres
femmes. Une femme stérile n'a donc pas à se déclarer comme
telle ».
Des études antérieures en Afrique subsaharienne
ont montré la pertinence de l'ethnie, de la religion et la
résidence dans le monde traditionnel africain sur l'explication des
comportements sexuels différentiels.
L'ethnie
Nombreux sont les auteurs qui ont identifié
l'appartenance ethnique comme un facteur important de différenciation
des comportements sexuels des femmes célibataires. De la
littérature spécialisée en ressortent deux typologies.
D'un côté, les ethnies où les moeurs sexuelles sont
permissives, de l'autre, celles où les moeurs sexuelles sont très
rigides. Selon G.P. Murdock, 1964, cité par N'gonon, 2002, les
différences de pratiques selon les ethnies en Afrique
résulteraient aussi des différences de moeurs sexuelles qui
peuvent être permissives ou non. En effet, en matière de
sexualité certaines ethnies sont plus tolérantes que d'autres.
Dans ces ethnies, l'encadrement familial est caractérisé par un
très faible contrôle social des jeunes par leurs
aînés, parents et d'autres membres de la communauté. Elles
jouissent ainsi d'une très grande marge de liberté. La
sexualité avant le mariage est encouragée. Cette attitude est
surtout adoptée dans les sociétés à taux
élevé d'infécondité pour tester les
capacités des jeunes à procréer. C'est notamment le cas
des Moba-gurma du Togo, des Krou de Côte d'Ivoire, des
Mongo et Tetela de RD Congo, des
Zandés-Nzakara de Centrafrique, des Bëti du
Cameroun, dans les provinces de Toliary et de Fianarantsoa à Madagascar
(Gastineau & Binet, 2006 ; Ombolo, 1990 ; Rey, 1989 ; Schwart, 1978 ;
RetelLaurentin, 1974, Beninguisse4 2007). Dans un tel contexte,
l'ethnie apparaît comme un facteur important dans l'occurrence
précoce de la sexualité chez les adolescentes.
Cependant, dans les ethnies où les moeurs sexuelles
sont rigides, la virginité de la femme avant le mariage est
valorisée. La fécondité prémaritale est dans ces
ethnies une violation des règles et est passible de sanctions sociales.
Cette considération sociale de la sexualité et de la
procréation prémaritale prévaut encore au
Sénégal, dans la province d'Antananarivo à Madagascar,
chez les Luba de la République Démocratique du Congo (RD
Congo), chez les Sara et les Gbaya de la République
Centrafricaine et chez les Bamiléké et les
4 Gervais Beninguissé, 2007, Sexualité
pré maritale et santé de la reproduction des adolescents et des
jeunes en Afrique Subsaharienne
Mandara du Cameroun (Rwengé, 2002 ; Gastineau
& Binet, 2006 ; Adjamagbo et al., 2004, Ahmat, 1995 ; Diop, 1993 ;
Retel-Laurentin, 1974).5 Ces sociétés accordent une
très grande valeur à la virginité des filles car, il en va
de l'honneur de la famille.
Au plan culturel, pour le cas du Congo6, on note
une bipolarisation du système matrimonial à savoir : le
système matrilinéaire qui est la caractéristique
principale de la partie Sud du pays, favorable à une sexualité
prémaritale, dont le groupe ethnique le plus représentatif est le
Kongo (48%). Au Nord du pays par contre, le système patrilinéaire
domine la quasi-totalité des ethnies et est moins permissive à la
sexualité prémaritale, avec pour principaux groupes ethniques:
les Sangha (20%), les Mbochi (12%), les Téké (17%).
Des études antérieures ont montré que
dans les ethnies à moeurs permissives le multipartenariat,
l'activité sexuelle occasionnelle et la sexualité
rétribuée sont fréquents (Rwengé, 1999 ; 2002 ;
Talnan et al., 2002 ). En Côte d'ivoire, ces comportements
résultent aussi du "rite de lavement " si l'on en croit notamment Aonon,
1996. Pour cet auteur, ce rite est le facteur clé de la liberté
sexuelle des filles baoulés avant le mariage. Par ailleurs, Talnan
et al. (2002) ont observé que l'appartenance ethnique influence
très positivement le multipartenariat chez les adolescentes
Krou. Traitant de la question au Cameroun, Rwengé (2000) a
montré que le multipartenariat était plus manifeste chez les
jeunes appartenant aux ethnies Bamiléké, Metta, et les (autres)
ethnies du Nord-Ouest. Il a aussi examiné la relation entre l'ethnie et
la sexualité occasionnelle d'une part, et d'autre part la relation entre
l'ethnie et la sexualité rétribuée. Dans le premier cas,
les ethnies Makon-Banyague, Bamiléké, TikariNsoh sont moins
enclines à la relation sexuelle occasionnelle (Rwengé, 1999 ;
2000). Dans une autre étude dans laquelle cet auteur compare les
comportements sexuels des Bëti à ceux des Bamiléké,
les rapports sexuels occasionnels et rétribués se sont
avérés plus fréquents chez les premiers que les seconds
(Rwengé, 2002).
La prévalence de l'utilisation du condom lors des
rapports sexuels est aussi un autre élément de
différenciation selon le groupe ethnique d'appartenance. Chez les
Bamiléké du Cameroun, les rigidités des moeurs en
matière de sexualité ont élevé le risque
d'utilisation du condom pendant les rapports sexuels. Inversement, chez les
Béti du sud Cameroun c'est la permissivité des moeurs sexuelles
qui joue en défaveur de la prévalence de l'utilisation du
5 Beninguissé, 2007.
6 UNFPA 2005, Analyse de la Situation en Population,
Santé de la Reproduction et de Genre au République du
Congo
condom au moment des rapports sexuels (Rwengé 2002). En
Côte d'ivoire par contre, c'est plutôt les jeunes d'origine
ethnique "étrangères" à ce pays qui ont un risque plus
élevé de ne pas utiliser le condom aux cours des rapports sexuels
(Talnan et al., 2002).
Par ailleurs, des études qualitatives de Rwengé
(2002) sur les différences ethniques des comportements sexuels au
Cameroun ont examinées les raisons associées au multipartenariat
et à la non-utilisation des condoms dans certaines ethnies. Ainsi, il en
ressort que chez les Bëti tout comme chez les Bamiléké, la
recherche du plaisir sexuel serait la principale raison du multipartenariat
chez les hommes. Par contre, chez les femmes les contraintes économiques
étaient la principale raison du multipartenariat. Le désir
d'enfants, la diminution du plaisir, la mauvaise appréciation du condom,
la fidélité et la confiance au partenaire sont les principales
raisons liées à la non-utilisation des condoms aussi bien en
milieu Béti qu'en milieu Bamiléké.
Les changements socio-économiques ont largement
modifié l'environnement socioculturel en milieu urbain congolais. Dans
le milieu rural, les normes et coutumes en matière de sexualité y
résistent encore en raison probablement de l'absence ou de la moindre
influence dans ce milieu, des moeurs à l'occidentale. D'une façon
générale, la sexualité de la jeune fille avant le mariage
est acceptée dans la société congolaise quelque soit
l'ethnie, particulièrement à Brazzaville et à Pointe Noire
où vie plus de la moitié de la population du pays.
Outre les normes et les valeurs traditionnelles dictées
par l'appartenance ethnique, la socialisation dans le milieu rural et la
religion traditionnelle constituent deux facteurs déterminants des
comportements en matière de sexualité des femmes africaines.
La religion
Du fait du rôle qu'elle joue dans la morale des
individus, la religion tient une place importante dans la vie des hommes dans
la quasi-totalité des sociétés.
« Dans les religions traditionnelles, il existe
également des tabous sexuels allant dans le sens de l'abstinence hors
mariage. L'éventualité d'entretenir des relations avec des
partenaires multiples dans ce dernier cas et dans le premier (christianisme)
est donc exclue, et l'usage du condom s'avère superflu, puisque la
fidélité est garantie dans le mariage (...) » (Beat-Songue
1993, p.26).
Ces propos traduisent comment la religion traditionnelle agit
sur la sexualité de l'individu en générale et celle de la
femme célibataire en particulier via des codes moraux régissant
l'exercice de la sexualité. La sexualité de la femme est
très difficilement acceptée avant le mariage, ce qui pourrait
expliquer la précocité des unions et des rapports sexuels
généralement observées dans la plupart des religions
traditionnelles. Cela est d'autant vrai puisqu'au Cameroun, les adeptes des
religions traditionnelles sont significativement moins susceptibles de retarder
leurs premiers rapports sexuels quelque soit la région de
résidence (Kuaté Defo, 1998). Dembélé (2004) a
pratiquement observé la même tendance au Burkina- Faso. Il ressort
de son étude que les adolescentes animistes sont plus susceptibles de
s'engager dans l'activité sexuelle prémaritale que les
catholiques.
·:* La socialisation traditionnelle
Le milieu de socialisation constitue un autre
élément explicatif des comportements sexuels des femmes
célibataires en Afrique en général et au Congo en
particulier.
La socialisation dans le milieu rural traditionnel s'oppose
à celle du milieu urbain compte tenu de son impact sur le comportement
sexuel des femmes. La socialisation dans le milieu rural est synonyme
d'acquisition des valeurs normatives et religieuses traditionnelles qui sont
transmises dans un contexte de contrôle strict par les anciens et la
communauté. Une femme socialisée dans ce milieu est tenue
d'adopter un comportement digne de sa famille, de manière à ce
qu'elle-même et son entourage en soit toujours honorés (Ibrahima,
1999). Cependant, avec la modernisation `'accélérée»
des sociétés africaines, ce contrôle social très
apprécié (du moins pour ce qui est des comportements sexuels) se
trouve affaibli et menacé "d'expulsion dans sa propre demeure". Il faut
alors craindre comme Bauni, (1990) et Meekers, (1992)
que la diminution du contrôle social en matière de
sexualité, imputable en partie à l'urbanisation et ses
opportunités socioéconomiques, ne détruise les structures
traditionnelles, favorise les mutations culturelles, et partant, augmente le
pouvoir décisionnel des individus dans les choix à propos de,
avec qui et pourquoi contracter les rapports sexuels.
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