b-/ L'approche socioculturelle "moderne"
Comme la plupart des « sociétés
inférieures »7, la société africaine se
trouve de plus en plus imposer un mode de vie "moderne", à l'occidentale
considéré comme la norme des civilisations. La tradition
africaine doit alors céder la place à la modernisation sous
toutes ces formes notamment son aspect socioculturel, avec pour corollaire la
liberté sexuelle, qui tend d'ailleurs à se confondre au
libertinage. Encore faudrait-il s'interroger sur les conséquences de la
dynamique des moeurs sexuelles sur l'individu et sur la société.
En effet, des constats pour le moins paradoxaux ont parfois été
faits concernant l'effet des religions occidentales sur les comportements
sexuels. Des études ont classé ces religions comme faisant partie
des facteurs de la modernisation ayant contribué à la
déstabilisation de certaines valeurs traditionnelles africaines
(Sala-Diakanda, 1988 ; Evina, 1990 ; Rwengé, 1999a). Ce faisant, ces
religions auraient contribué à l'adoption en Afrique,
particulièrement chez les jeunes, des comportements
débridés notamment en matière de sexualité (Liboko,
2001). Une grande importance est alors accordée à la performance
sexuelle ; les questions relatives au sexe ne sont plus tabous et peuvent se
débattre sans honte entre garçons et filles ; la sexualité
avant le mariage devient une pratique courante, considérée comme
normale ; et l'inexpérience sexuelle passe aux yeux de beaucoup pour une
insuffisance préjudiciable (Ngondo, 1994 ; Njikam Savage, 1998 ;
Beat-Songue, 1998 ; Evina, 1998).
Ainsi, la religion occidentale, le milieu de résidence
et de socialisation, l'éducation et le niveau d'instruction, etc., sont
autant d'éléments pouvant constituer la dimension moderne de
l'approche socioculturelle, quand il est question d'envisager des
hypothèses sur les effets de l'ouverture des femmes africaines aux
valeurs occidentales en matière de sexualité.
7 La civilisation occidentale considère une
grande partie d'autres civilisations traditionnelles notamment celles
d'Afrique, d'Amérique Latine et d'Asie comme primitives où
l'homme à du mal à exprimer ses droits. A ce titre, elles doivent
céder la place à la norme des civilisations, celle à
l'occidentale pour leur propre bien-être.
Sida et comportements sexuels à risque chez
les femmes célibataires au Congo L'influence des
religions importées
Du fait de leurs origines, les religions chrétienne et
musulmane ont été identifiées par bon nombre d'auteurs
comme faisant partie des facteurs socioculturels modernes pouvant influencer
les comportements sexuels des individus dans les sociétés
où elles se sont implantées. Ces grandes religions
véhiculent aux fidèles des idéologies morales
régissant les pratiques sexuelles. Par exemple, en matière de
prévention des IST/VIH/SIDA, les leaders religieux ont
généralement prêché des discours peu favorables
à l'utilisation du préservatif, car selon eux, pouvant conduire
à des comportements de vagabondage et débauche sexuels. Ils ont
en revanche, recommandé la fidélité au partenaire ou tout
simplement l'abstinence sexuelle. Au Cameroun, ces religions semblent
présenter des similitudes concernant l'attitude sur la sexualité
:
« (...). Ces mesures s'inscrivent dans l'ethnie ou
des groupes religieux les plus importants au Cameroun, et cela d'autant plus
qu'à l'extrême, ces religions (catholicisme, protestantisme,
islam) prônent souvent l'abstinence des rapports sexuels hors mariage.
C'est le cas pour le christianisme (...) et l'islam (...) »
(Beat-Songue, 1993, p. 26).
Concernant le Sida, ces religions le perçoivent comme
une « maladie de Satan » à cause du lien qu'il
entretient avec le sexe. En effet, dans les religions musulmanes et
chrétiennes avoir des rapports sexuels hors mariage ou utiliser un
préservatif lors des rapports sexuels est considéré comme
un péché.
Au Congo, dans certaines confessions religieuse le Sida est
considéré comme une punition ou une malédiction de Dieu
à l'égard des personnes n'observant pas ses ordonnances ou
commettant des péchés. En fait de péchés, il ne
s'agit nulle part de mensonge, de vol ou de meurtre largement exorcisés
pendant la conférence nationale, apparaissant comme les
péchés les plus monstrueux (Guénais et al., 1995) mais
plutôt des rapports sexuels avant le mariage.
Dans son étude sur le Sida, la sexualité et la
procréation au Congo, Madeleine Boumpoto8, parlant du rapport
Sida et religion dit :
« Le sida apparaît toujours comme une maladie --
sanction d'une inconduite sexuelle, ce qui l'assimile à
l'impudicité, à la débauche, à l'adultère et
fait du malade un
8 M. Boumpoto : Sida, sexualité et
procréation au Congo.
pécheur qui n'a eu que ce qu'il mérite.
L'attitude face à la mort par le sida révèle les
mêmes incohérences. En principe, la mort est pour tout
chrétien un passage qui mène à Dieu. Quand elle arrive,
elle traduit la volonté de Dieu et doit être acceptée,
quelles que soient les circonstances. Or, mourir par le sida est
considéré comme une condamnation par la majorité des
chrétiens. (...), le langage courant a établi l'analogie entre le
«fruit défendu» et le sexe, en particulier celui de la femme,
qu'elle offre au cours de l'acte sexuel à l'homme et qui conduirait
à la mort. Mais, qu'on considère le sida comme une
conséquence de la désobéissance aux préceptes
divins ou comme la conséquence de la consommation du fruit
«défendu», il est un opprobre, exactement comme dans la
conception profane. ».
Ces propos de Boumpoto illustrent bien comment la religion,
à travers les codes moraux dont elle régi auprès des
fidèles, agit sur l'individu en modifiant non seulement son comportement
sexuel ("La religion est un déterminant de l'entrée
précoce en vie sexuelle" : Kouaté Defo, 1998) mais aussi sa
conception du sida ainsi que l'adoption des attitudes répulsives envers
les personnes vivants avec le VIH/SIDA.
Les études9 menées au Ghana (Takyi,
2003) et en milieu urbain ivoirien (Talnan et al., 2002) ont montré tour
à tour que la religion avait un effet significatif sur la connaissance
du Sida et que les adolescentes musulmanes avait moins de chance d'avoir
recourt aux condoms dans leur vie que celles adeptes des religions
chrétiennes.
Le milieu de socialisation et le milieu de
résidence
Le milieu de socialisation et le milieu de résidence
sont deux facteurs, non moins important concourant à l'explication des
comportements en matière de sexualité des femmes en Afrique au
sud du sahara.
Si la socialisation en milieu rural se caractérise par
l'acquisition des valeurs normatives et religieuses traditionnelles transmises
dans un contexte de control strict des aînés et de la
communauté, la scolarisation en milieu urbain par contre se
réalise dans des conditions différentes. Dans le milieu urbain,
les modèles et idéaux autorisant ou banalisant le sexe, venant
pour la plupart des sociétés occidentales, ont influencé
les comportements des individus par les valeurs observées dans la
littérature et les médias. La rigueur du contrôle social
traditionnel laisse la place à la liberté et à
l'initiative des individus en particulier des
9 J. Daga (2007), Mémoire DESSD-IFORD , p.
26.
jeunes célibataires qui doivent se battre à leur
manière pour trouver des repères, ne sachant pas trop à
quel système de valeurs se conformer (Rwengé, 1999b). Aussi, les
jeunes dans les villes sont motivés par la quête du plaisir sous
toutes ses formes et la valorisation de performances et prouesses sexuelles,
à avoir une activité sexuelle intense (Beat-Songue, 1998).
Contrairement au milieu de socialisation qui agit sur les
comportements essentiellement de manière indirecte à travers le
processus de socialisation, le milieu de résidence détermine les
comportements directement, d'autant plus qu'il renvoie à l'effet des
conditions de vie et à celui de la modernisation des valeurs (Liboko,
2001).
Le milieu urbain est le lieu où se développent
les comportements sexuels à risque en raison de son organisation,
offrant ainsi des conditions propices à la promiscuité sexuelle
(Rwengé, 1999). En effet, l'urbanisation s'accompagnant de l'ouverture
des jeunes à l'information sur la sexualité et aux médias,
à favoriser les activités récréatives se rapportant
au cinéma, aux soirées dansantes, au football etc. Ces
activités raccourcissent le temps que les jeunes ont sur le
contrôle des parents ou passent dans le cercle familial. Il s'en suit le
développement de l'activité sexuelle précoce des jeunes
observé dans la plupart des villes africaines. Kuaté-Défo
(1998) a observé chez les adolescentes du Cameroun une absence de lien
ferme entre le lieu de résidence et le début de l'activité
sexuelle. Cette absence de lien pourrait refléter, selon cet auteur,
aussi bien l'influence des changements dans les normes et pratiques qui
régissent l'activité sexuelle selon le milieu que les
transformations régionales de la nuptialité.
·:* Le niveau d'instruction
Le Niveau d'instruction est certainement un autre facteur non
moins important, concourant à l'explication de la variation des
comportements sexuels. D'ailleurs, nombreuses sont les études qui
ressortent le lien entre le niveau d'instruction et la sexualité de
façon générale, mais de façon plus
particulière pour ce qui est de la sexualité des adolescentes et
des femmes célibataires.
Le niveau d'instruction ne présente pas que
d'influences négatives sur la sexualité. En effet, Meekers (1993)
a observé qu'au Mali, au Togo, au Ghana, et au Libéria,
l'expérience sexuelle était plus élevée parmi les
filles lettrées. Kuaté-Défo (1998) et Calvès (1999)
en
sont arrivés aux mêmes conclusions au Cameroun
où, les filles de niveau secondaire et plus, présentaient des
risques plus élevés d'être sexuellement actives avant le
mariage que celles n'ayant pas été à l'école. Sur
ce point, les programmes d'éducation sexuelle à l'école
seraient toutefois plus efficaces s'ils débutaient très
tôt, avant la première expérience sexuelle des adolescents
et s'ils mettaient l'accent sur les compétences et les normes sociales
plutôt que sur l'acquisition des connaissances. Signalons par ailleurs
que le manque d'instruction chez la femme est cité comme un facteur
restrictif d'accès à l'information adéquate sur les
IST/VIH/SIDA, limitant ainsi leurs connaissances sur les modes de
prévention de ces maladies (Awusaba-Asare et al., 1993 ; Panos, 1993 ;
Gobato et Bardem, 1995 cités par Libiko, 2001). Enfin, l'influence de
l'instruction sur les comportements sexuels de la femme peut aussi s'exercer
à travers l'amélioration du statut de la femme. En effet,
l'instruction favorise l'émancipation de la femme, améliore sa
perception de soi, et réduit les inégalités dans ces
rapports avec son partenaire.
Le niveau d'instruction des parents et l'éducation
sexuelle des filles.
Le niveau d'instruction des parents peut être
considéré comme un facteur explicatif des comportements sexuels
des jeunes femmes célibataires dans ce sens qu'il constitue un moteur de
dialogue et donc d'éducation sexuelle entre parents et enfants. Une
étude de Koss (1985) citée par Brooks (2007) a trouvé que
les adolescentes dont les parents avaient un niveau d'instruction primaire
étaient 5,7 fois plus engagées dans les relations sexuelles que
celles où les parents étaient de niveau supérieur.
Le contrôle des enfants par les parents avait
été identifié comme un facteur significatif dans la
compréhension de la variation de l'activité sexuelle parmi les
adolescentes aux Etats Unies et partout ailleurs (Hanson et al., 1987 ; Hogan
et Pitagawa, 1985 ; Meschke & Silbereisen, 1997 ; Brooks, 2007). M.
Schofield (1971) soulignait déjà que l'intérêt et le
temps accordés par les parents à l'éducation de leurs
enfants en matière de sexualité étaient aussi
déterminants des comportements sexuels des jeunes. Il est reconnu qu'en
Afrique subsaharienne comme dans beaucoup d'autres pays en
développement, la plupart des parents s'entretiennent rarement avec
leurs enfants sur la sexualité (Rwenge, 1999b). Cette attitude tient
à deux principales raisons : « La première résulte du
fait que l'éducation traditionnelle reçue par les parents
n'accorde qu'une très petite place à l'explication et à la
verbalisation. La deuxième raison est le manque de connaissances
adéquates des parents en matière de sexualité »
(Madzouka, 1991). Ainsi la plupart des parents considèrent la
sexualité comme un
sujet tabou et ont la crainte que les enfants, surtout
pubères et adolescents, ne considèrent les informations
éducatives sur la sexualité comme une incitation à la
débauche. En revanche, ceux qui peuvent s'entretenir avec leurs enfants
sur ce sujet, appartiennent aux couches sociales aisées de la
population, mais dans la plupart des cas, ils consacrent plus de temps à
leurs activités qu'à l'encadrement de leurs enfants.
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