II.4.3.8. La société civile
L'histoire de la société civile remonte, selon
le Dictionnaire de philosophie173, aux grands penseurs du
droit naturel tels que HOBBES, LOCKE et ROUSSEAU chez qui elle désignait
l'association politique d'Aristote. A partir de HEGEL, le terme
société civile aura le sens de l'ensemble des individus dans leur
activité économique et leur sphère privée, par
opposition à la puissance publique de l'Etat, alors que chez les
marxistes, la société civile est l'ensemble des forces qui se
déterminent par opposition au pouvoir de l'Etat et du marché.
C'est A. GRAMSCI qui, le premier, a parlé de deux types de
société civile dont celle qui comprend les organes de
gouvernement exerçant de façon coercitive une domination directe
sur la société civile et celle qui a pour vocation,
à travers les institutions par lesquelles elle s'exprime, d'être
productrice d'orientation commune du sentiment publique.
En RD Congo, Jean - François PLOQUIN rappelle que la
société civile, comme organisation, tire ses premiers
repères dans les préparatifs de la conférence nationale
souveraine qui eut lieu d'août 1991 à décembre 1992. La
société civile rassemblait toutes les composantes
organisées de la société autres que les institutions
publiques et les partis politiques : églises, syndicats, organisations
professionnelles, ONG, associations féminines, associations sportives et
culturelles, mouvements de jeunesse, mutuelles, sociétés
savantes, chefs coutumiers et entrepreneurs174. C'est donc en vue de
la conférence nationale que se sont constituées des coordinations
régionales de la société civile qui restent encore actives
aujourd'hui.
L'importance de la société civile en RD Congo
ressort, non seulement dans sa reconnaissance comme partie prenante de la
conférence nationale souveraine, mais aussi par le fait que le
préambule de l'accord global et inclusif sur la transition en RD Congo
la considère comme composante et entité du dialogue
intercongolais au
173 CH. GODIN (s/dir.), Dictionnaire de philosophie,
Fayard, Paris, 2004, p. 1224
174 J. - F. PLOQUIN, « Dialogue inter congolais : la
société civile au pied du mur » in Politique africaine
n° 84 - décembre 2001, p. 139
même titre que les partis politiques, l'opposition
politique, les mouvements rebelles et les Maï Maï en disant
:
Le gouvernement de la RD Congo, le Rassemblement congolais
pour la démocratie, (RCD), le Mouvement pour la Libération du
Congo (MLC), l'opposition politique, les forces vives, le
Rassemblement Congolais pour la Démocratie/Mouvement de
Libération (RDC/ML, le Rassemblement Congolais pour la
Démocratie/National (RCD/N), les Maï - Maï175 ;
...
Cette considération de la société civile
comme structure incontournable dans le processus de la construction de la paix
en RD Congo est aussi justifiée par PLOQUIN par la place que cette
dernière a su prendre sur la scène publique congolaise depuis une
dizaine d'années en disant que la vitalité de cette
société civile s'explique également par le dynamisme de
populations qui ont appris depuis des années à pallier les
défaillances, voir l'absence de l'Etat dans de nombreux domaines
(enseignement, santé, équipement, etc.), dynamisme
canalisé par les initiatives des jeunes diplômés ne
trouvant à s'employer ni dans une administration publique
déliquescente, atrophiée, ni dans un secteur de l'économie
formelle176.
C'est à partir de l'engagement de ses leaders et de
l'encadrement de la population que la société civile est devenue
une structure influente en RD Congo jusqu'à se tailler une place de
choix dans le monde politique. Cependant, elle n'a pas échappé
à d'énormes défis qu'elle devait relever : parler haut et
juste alors que ses moyens d'expression sont limités et
réprimés ; dénoncer les pratiques arbitraires au risque
d'être accusée de collusion avec l'ennemi ; s'assurer de l'appui
des bailleurs de fonds étrangers sans paraître « à la
solde de l'Occident » ; en zone gouvernementale, elle doit trouver le
juste milieu entre un radicalisme et un alignement également
suicidaires. Outre ces défis, PLOQUIN177 souligne deux
défis majeurs que doit vaincre la société civile
congolaise étant donné qu'ils fragilisent son action. Il s'agit
du défi du maintien de sa cohésion et celui de son
indépendance. Parlant de la fragilité de la cohésion de la
société civile constituée en fonction de la CNS, l'auteur
rappelle que la société civile représentée au sein
du parlement de transition, n'a pas tarder à subir la bipolarisation qui
divisait la classe politique
175 Accord global et inclusif sur la transition en
République Démocratique du Congo signé le 17
décembre
2002
176 J. - F. PLOQUIN, Op. Cit., p. 136
177 Ibid, p. 140
entre « mouvance présidentielle » et «
force du changement », servant ainsi parfois d'adjuvant ou de
supplétif à l'un ou l'autre des camps en lutte pour le
contrôle - ou le partage du pouvoir.
Ce clientélisme de la société civile tant
à la période de la CNS que lors du dialogue inter congolais est
affirmé avec force par André KABANDA Kana K. qui affirme:
« Clochardisés» par une crise
économique qui ne cesse de s'aggraver au jour le jour, les ténors
de la société civile se sont laissés embarquer dans le
même bateau que l'opposition politique, s'assimilant ainsi à des
« marchandises » qui se vendent au plus offrant des manipulateurs. Ce
phénomène dégradant s'est illustré dans toute sa
splendeur, non seulement pendant la CNS, mais aussi lors de l'accord intervenu,
en avril 2002, à Sun City, en République Sud Africaine, entre le
gouvernement de Kinshasa et le MLC (Mouvement pour la Libération du
Congo) de J. P. Bemba, auquel avait adhéré une bonne partie des
délégués de l'opposition non armée et de la
société civile178.
En ce qui concerne le Sud - Kivu, la société
civile y a joué un rôle déterminant du fait de la relative
ancienneté de son tissu associatif et de la maturité politique de
ses leaders. Bien que confrontée au dilemme entre dénoncer
l'occupant sans donner prise aux accusations d'alliance avec la
résistance armée (les Maï Maï) ; des deux
côtés, elle doit porter les attentes populaires sans abonder dans
de possibles dérives « ethnoracistes », la
société civile du Sud- Kivu a joué un rôle non
négligeable, non seulement dans l'encadrement de la population, mais
aussi à travers :
- Le mémorandum à la délégation du
Conseil de sécurité des l'ONU en mai 2001 ; - La participation
aux propositions de la société civile de la RD Congo au
Président de la République relatives à la
gestion du pays et au dialogue national
(16 février 2001) ;
- La dénonciation de l'occupation de l'Est par le Rwanda
et l'Ouganda ; - L'organisation des marches pacifiques, rédaction des
pétitions ; etc.
Pourtant, la société civile du Sud - Kivu n'a
pas échappé à la prise de position politique pendant la
période de transition, prise de position qui l'a rendue subjective et
partisane. Le fait que le RDC et le MLC soient parrainés par les pays
agresseurs, a fait que, pendant la transition et les élections, la
société civile se comporte en
178 A. K. KABAN DA Kana, L'interminable crise du Congo -
Kinshasa. Origines et conséquences, L'Harmattan, Paris, 2005, p.
167
représentant du PPRD dans la Province. C'est ce qui l'a
conduite à l'intolérance politique, à la culture de casse,
de marches non pacifiques, etc.
L'organisation de la société civile au Sud -
Kivu comme instance constituée des « forces vives » telles que
les ONG, les Eglises, les syndicats, les organisations professionnelles, les
associations féminines, les associations sportives et culturelles, les
mouvements de jeunesse, les mutuelles, les sociétés savantes, les
chefs coutumiers, les entrepreneurs, etc. fait qu'elle nécessite une
socialisation juridique étant donné l'importance de la population
qu'elle encadre et sa capacité à influencer l'opinion publique
dans la Province. Les décrétions des journées villes
mortes réussies, des grèves, des soulèvements de la
population, sont autant d'éléments qui militent pour
l'information et la formation des animateurs de la société civile
au droit.
Dans le processus de socialisation juridique à travers
la société civile, HJ devra éviter de tomber dans l'erreur
de la deuxième République qui, selon Fernand TALA
-NGAI179, a consisté à ne pas impliquer la
société civile dans la gestion du pays. De ce fait, elle doit
collaborer avec les autres structures locales qui travaillent pour la promotion
des DH comme le CEDAC, la CDJP, GJ, etc. Ainsi, non seulement la Constitution,
les pactes, les conventions ratifiés par le pays tant au niveau
régional qu'international devront faire l'objet de cette socialisation,
mais aussi toutes les lois de la Républiques étant donné
la multiplicité des structures composant la société civile
au niveau de la Province.
De ce chapitre, il ressort que la socialisation juridique de
la population par HJ n'a pas seulement pour fondement la Bible mais aussi la
Constitution de la RD Congo qui présente l'accès aux lois comme
un droit pour chaque Congolais et un devoir pour le Pouvoir public. C'est
pourquoi, non seulement elle détermine les moyens de cette socialisation
juridique, mais aussi elle en fixe les milieux à travers lesquels le
pouvoir public pourra l'assurer.
La « défaillance de l'Etat » congolais dans
le domaine de la socialisation juridique depuis la Deuxième
République a rendu nécessaire le rôle joué par
l'Eglise, à travers ses ONGDH, dans le cadre de la promotion et la
défense des DH
dans la Province du Sud- Kivu dont HJ. Cependant, pour que la
socialisation juridique faite par cette association atteigne toute la
population et développe ainsi une culture juridique au Sud - Kivu, elle
devra collaborer avec tous les milieux de socialisation encadrant la population
dans la Province comme la famille, les confessions religieuses, l'école,
l'armée, la police et les services de sécurités, les
mutualités tribalo-ethniques, les partis politique, les médias,
les syndicats ainsi que la société civile.
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