Chap. IV. APPROCHE GLOGALE ET GLOBALISANTE DE LA
SOCIALISATION JURIDIQUE
Ce chapitre développe l'accès aux lois comme un
droit constitutionnel en RD Congo, la nécessité du rôle
joué par l'Eglise dans la socialisation juridique en RD Congo et propose
la manière dont HJ pourra capitaliser les différents milieux de
socialisation dans le processus d'information et de formation des citoyens au
droit au Su-Kivu.
II.4.1. L'accès aux lois comme droit
constitutionnel en R. D. Congo
L'article 12 de la Constitution121 de la RD Congo
dispose que tous les congolais sont égaux devant la loi et ont droit
à une égale protection. Cette égalité
démocratique a une vertu pédagogique, pivot des valeurs
républicaines et fondement de la légalité et du respect du
droit qui ne peut être garantie aux citoyens que par la mise sur pied de
dispositions officielles assurant l'accès de tous les congolais aux
lois. Elle est la condition préalable d'une éthique fonctionnelle
qui préfigure l'Etat de droit et constitue la seule base d'un
développement durable et juridiquement garanti tant attendu par la
population. Le contenu du deuxième paragraphe de l'article 62 de la
Constitution qui dispose que toute personne est tenue de respecter la
Constitution et de se conformer aux lois de la République sous-
entend l'obligation qu'a chaque Congolais de se comporter conformément
aux lois du pays. Et pourtant, le droit ne commande l'action de l'homme
qu'après avoir été reçu matériellement et
psychologiquement par celui à qui il s'adresse ; conçu et bien un
accès réel à tout ce qui est objectivement
présenté comme étant le droit.
C'est pourquoi, comme nous l'avons constaté chez les
juifs, l'Etat de droit et de paix ne peut survivre que par la socialisation
juridique des citoyens dans le cadre des valeurs et règles propres
à assurer son fonctionnement. L'accès aux lois constitue de ce
fait une donnée essentielle dans la réalisation de l'Etat de
droit, non seulement dans la déclaration des textes de principes, mais
aussi dans la réalité concrète. Car, toute culture
juridique passe par les conditions de socialisation juridique et par les
modalités de civilité au quotidien dans les modes de
régulation.
121 Il s'agit de la Constitution régissant la
troisième République promulguée et le 16 février
2006
C'est dans ce sens que le sixième paragraphe de l'article
45 de la Constitution dispose:
Les pouvoirs publics ont le devoir d'assurer la diffusion
et l'enseignement de la Constitution, de la Déclaration universelle des
droits de l'homme, de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples,
ainsi que de toutes les conventions régionales et internationales
relatives aux droits de l'homme et au droit international humanitaire
dûment ratifiées.
Ce devoir de l'Etat congolais vis-à-vis de la
population sous entend que l'accès aux lois du pays est un droit de
chaque Congolais et suppose la réduction de l'ignorance de la loi par
les citoyens ; l'accès aux lois dans le sens de la connaissance
effective des normes et règles qui régissent l'ensemble du corps
social ; l'accès aux lois comme la possibilité matérielle
pour tout Congolais de faire valoir ses droits par les procédures
prévues par la loi.
Les dispositions prévoyant explicitement l'accès
aux lois sont nombreuses dans la Constitution de la RD Congo. Au lieu d'en
faire une liste exhaustive, nous essayerons d'en faire un survol. La
revendication de ses droits par la population suppose l'accomplissement
préalable d'une mesure officielle d'information suivant la nature de la
règle : publication, notification ou affichage constituent la formule la
plus répandu d'informer les citoyens sur les lois les régissant.
La publication des lois au journal officiel est l'un des moyens prévus
par la Constitution dans son article 141; mais l'insuffisance de la pratique du
journal officiel dans la publication et la diffusion des lois en RD Congo a
conduit à l'ignorance quasi-totale des lois du pays par les citoyens. En
ce début de la troisième République, l'Etat devrait
respecter les clauses de l'article 45 qui lui demandent d'intégrer les
droits de la population à la connaissance de la loi au programme
d'alphabétisation et d'enseignement aux différents cycles
scolaires et universitaires et dans tous les programmes de formation des forces
armées, des forces de sécurité publique et
assimilés. Il devrait également l'assurer dans les quatre langues
nationales, par tous les moyens de communication de masse, en particulier par
la radiodiffusion et la télévision, la diffusion et
l'enseignement des lois.
régissent : Non seulement elles affirment l'obligation
du pouvoir public à pourvoir et à faciliter l'accès aux
lois, mais encore, elles en prévoient les moyens. On comprend dès
lors que le principe « nul n'est sensé ignorer la loi » de
l'article 141 puisse être contesté en RD Congo en l'absence d'une
véritable politique de publication et de diffusion des règles
juridiques. La pratique du Journal Officiel est très limitée dans
ce pays et circonscrit l'accès aux textes juridiques aux seules chefs
lieux des provinces si ce n'est qu'à Kinshasa, et encore qu'il faut
avoir le moyen de se le procurer.
Les clauses du septième paragraphe de l'article 45
revêtent un intérêt particulier étant donné
qu'elles prévoient que l'Etat a l'obligation d'intégrer les
droits de la personne humaine dans tous les programmes de formation des forces
armées, de la police et des services de sécurité. Ces
dispositions sont pertinentes dans le contexte de la RD Congo étant
donné que ce sont les militaires, les policiers et les agents de
sécurité qui ont battu le record en violation des DH de la
deuxième République à ce jour en passant par la
période de transition allant de 1990 à 2006. Et pourtant, en sa
section XII, la loi n° 04/023 du 21 novembre 20 04122 portant
organisation générale de la défense et des forces
armées pendant la transition, prévoyait la création d'un
service d'éducation civique et patriotique des forces armées. Et
qu'en son article 115, la même loi précise que le rôle de la
justice militaire est de faire respecter la loi et de renforcer le maintien de
l'ordre public et de la discipline au sein des Forces Armées.
Le contenu de l'article 45 de la Constitution de la
troisième République, ainsi que des articles de la loi ci - haut
citée, montrent également la nécessité de
procéder à la socialisation juridique des militaires, policiers
et des agents de sécurité en RD Congo.
Par ailleurs, le préambule de la Constitution
présente la volonté du peuple congolais à bâtir, au
coeur de l'Afrique, un Etat de droit et une nation puissante et prospère
fondés sur une véritable démocratie politique,
économique, sociale et culturelle; bien que ce préambule
réaffirme l'adhésion et l'attachement du peuple congolais
à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, à la
Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, aux Conventions des
Nations Unies sur les Droits de l'Enfant et sur les Droits de la femme ;
même si les lois de la RD Congo
122 CEDAC, Loi n°04/023 du 12 novembre 2004 portant
organisation générale de la défense et des forces
armées, éd. du CEDAC, Bukavu, mars 2005, pp. 59 et 53
étaient bonnes et présentaient des garanties
suffisantes pour les citoyens, le fait qu'elles soient ignorées des
citoyens restreint leur application et ne permet pas à ces derniers de
les revendiquer ou de les défendre123. La stabilité
politique et la construction de la paix en RD Congo ont besoin du droit. Or,
seule la connaissance de ce droit peut en être le moteur. Mettre à
la disposition des Congolais tout l'arsenal normatif (Constitution,
Traités, lois, décrets, conventions internationales
ratifiées par le pays) qui gouverne leurs activités et toutes les
formes de rapports qu'ils entretiennent avec l'Etat, les collectivités
et entre eux est un moyen indispensable pour l'émergence d'une culture
juridique et de paix devant conduire à la stabilité politique et
au développent tant attendu par tous.
L'accès aux lois sous entend à la fois une
adaptation des moyens d'information et de publication des différentes
lois et une diversification des acteurs pouvant contribuer à la
socialisation juridique.
En République Démocratique du Congo, la
présence des ONGDH (notamment celles appartenant aux églises)
depuis la démocratisation du pays en 1990, a joué un rôle
important dans ce domaine, surtout au Sud - Kivu où ces structures non
gouvernementales se sont investies, non seulement dans les questions du
développent local et des droits de l'homme, mais aussi dans la
socialisation juridique; car, la « démission de l'Etat » dans
ces domaines depuis la deuxième République montre bien l'abandon
de la population à son propre sort.
La seule pratique de moyens classiques, et d'ailleurs
insuffisante, de publication des lois (publication au Journal Officiel,
notification ou affichage) est incapable d'atteindre le but dans un pays aussi
continental que la RD Congo. L'expérience de la diffusion de la
Constitution et de la loi électorale par la Commission électorale
indépendante, a montré que le but de faire accéder tous
les citoyens aux lois est loin d'être atteint ; soit à cause de
l'ignorance, par la population, de l'importance de connaître les lois ;
soit à cause des moyens financiers insuffisants, nous croyons surtout
à la cause essentielle de l'analphabétisme de la population.
Le dispositif de l'article 45 de la Constitution propose des
voies plus adaptées au contexte de la RD Congo. : l'usage des
médias, la vulgarisation des lois fondamentales par l'enseignement
aux niveaux primaire, secondaire et universitaire,
123 L'exemple de la deuxième République est
très significatif sur ce point : Les forces de l'ordre traînaient
arbitrairement la population en prison sous prétexte des manquements
graves aux idéaux du parti qui étaient totalement
ignorés par celle-ci.
puis des programmes de formation adaptés à
certains corps de l'administration, la conception de la formation des
fonctionnaires dans le contexte des mutations politiques et institutionnelles
en cours dans le pays. Pour que cette socialisation juridique soit
globalisante, l'article 142 de la Constitution demande au Gouvernement d'en
assurer la diffusion en français et dans chacune des quatre langues
nationales dans les délais de soixante jours à partir de la date
de promulgation de la loi. Cet article soulève la question, non
seulement de l'accès de tous à la loi, mais aussi de l'importance
à y attacher pour mettre la population au courant de la loi le
plutôt possible. C'est pourquoi, conscient du taux exorbitant de
l'analphabétisme dans le pays, l'article 44 de la Constitution fait de
l'éradication de l'analphabétisme un devoir national pour la
réalisation duquel le Gouvernement doit élaborer un programme
spécifique.
La « défaillance de l'Etat » congolais
constatée depuis la Deuxième République, dans plus d'une
de ses missions, dont celle de socialisation juridique ; le souci de stabiliser
les institutions issues des élections de 2006, ne permet pas d'imaginer
pour demain une structure étatique spécifiquement conçue
et adaptée à la socialisation juridique des citoyens en
République Démocratique du Congo. Ce qui rend encore plus
nécessaire l'implication de l'Eglise, à travers ses ONGDH, dans
le processus de socialisation juridique dans ce pays.
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