II.3.2. Dans le Nouveau Testament
Après la grande synagogue qui cessa d'exister vers le
milieu ou la fin du 3ème siècle, c'est le Sanhédrin qui
pris la relève de la socialisation juridique. La tradition juive affirme
que ce furent cinq couples de rabbins (Zougoth) qui se
succédèrent dans cette tâche. La dernière comprenant
HILLEL et CHAMMAÏ (morts vers l'an 10 ap. JC).
Selon A. COHEN110, les études historico -
modernes montrent que le sanhédrin fut un corps composé de
prêtres et des légistes, réunis sous la présidence
du grand prêtre. Les délibérations du sanhédrin
furent marquées de bonne heure par une opposition qui composa la
formation de deux partis distincts : les Sadducéens d'une part et les
Pharisiens, lesquels constituaient le bloc des légistes,
héritiers
106 ELISHA cité par T. PERLOW, Ibidem, note 4
107 Précisons que chez les Juifs, un jeune garçon
de 12 ans était appelé Bar - mitsrah = enfant de la
loi.
108 PHILON cité par T. PERLOW, Ibid, p. 27
109 F. JOSEPH cité par T. PERLOW, Ibidem
110 A. COHEN , Op. Cit., p. 22
directs d'Esdras, qui continuèrent avec la socialisation
juridique dans la synagogue, les académies et les retraites à
l'époque de Jésus.
Contrairement à ce que dit M. SIMON111, pour
qui les pharisiens étaient légalistes comme les
Sadducéens, P. MARCEL précise que les deux partis n'avaient pas
la même considération de la loi : les Pharisiens
présentaient au peuple une multitude d'observances
héritées de leurs pères et non inscrites dans la loi de
Moïse. Ils combinaient la tradition orale avec la loi ; alors que les
Sadducéens déclaraient ne tenir pour obligatoires que les
prescriptions contenues dans la Parole écrite et affirmaient qu'il n'y
avait pas lieu d'observer ce qui émanait de la tradition (orale) des
pères112.
Outre les Pharisiens et les Sadducéens qui ont choisi
l'enseignement de la loi comme moyen d'acquérir la paix, existaient
trois autres partis juifs à savoir les Zélotes, les
Esséniens et les publicains. Alors que pour les Zélotes, la paix
serait obtenue par la révolution populaire, la violence ou la guerre,
les Esséniens privilégiaient la vie de sanctification et de
dévotion. C'est dans ce sens qu'ils se sont séparés du
reste du peuple pour se retirer dans la montagne113.
A propos des Pharisiens, Marcel PELLETIER114 montre
que ce parti inscrit vit dès le départ au centre de ses
préoccupations, la fidélité à l'alliance
contractée au Sinaï. Il exigeait encore une conformité de
tous les instants à la volonté de Dieu exprimée dans la
loi. Car, cette loi renfermait, à côté des obligations
proprement cultuelles, des règles concernant la vie collective et la vie
individuelle.
Justifiant le poids des Pharisiens sur les instances
légales, M. PELLETIER115 dit que ces derniers avaient une
certaine influence sur le peuple étant donné que
111 M. SIMON, Les sectes juives au temps de
Jésus, PUF, Paris, 1960, p.19
112 M. PELLETIER, Op. Cit., p. 9
113 Pour plus de détails sur les Zélotes et les
Esséniens, lire : S.G.F. BRANDON, Jésus et les
Zélotes, Flammarion, France, 1975, pp. 39- 81
P. GRELOT, L'espérance juive à l'heure de
Jésus, Desclée, Paris, 1978, pp. 61 - 85
A. PAUL, Le monde des juifs à l'heure de Jésus.
Histoire politique, Desclée, Paris, 1981, pp. 216 - 219
114 M. PELLETIER, Idem, pp.7-8
115 Ibidem
leur réussite fut l'éducation
populaire116 qu'ils s'étaient fait le devoir de promouvoir,
l'éducation de masse.
En ce qui concerne la socialisation juridique, les pharisiens
furent les premiers, à l'époque de Jésus, à
concevoir un enseignement élémentaire pour tous et à
commencer à mettre systématiquement en place un programme
d'enseignement de la loi. C'est ce qu'affirme PALLETIER en disant :
A l'époque de Jésus, partout où
s'élevait une synagogue, se trouvait une école capable
d'accueillir les garçons de 5 à 10 ans. On y apprenait à
lire et écrire et l'on s'y nourrissait de la Loi. Au-delà de 13
ans, cet enseignement élémentaire pouvait être approfondi
au sein de nombreuses académies d'où sortaient les scribes,
spécialistes de la Loi, et le plus souvent animateurs des
confréries. La formation de l'adulte du commun se poursuivait dans la
synagogue, autre pièce maîtresse du système pharisien, et
par l'enseignement bénévole donné par les docteurs de la
Loi lors des pèlerinages117.
Cette citation de Pelletier, montre qu'à l'époque
de Jésus, chez les
Pharisiens, la socialisation juridique n'était plus
globalisante comme l'avait fait Esdras ; étant donné qu'elle ne
concernait que les garçons et les hommes. Cependant, le mérite
des Pharisiens est à deux niveaux :
- La socialisation juridique se fait de manière
systématique et conserve la
forme d'une école avec trois niveaux :
élémentaire (pour les enfants garçons de 5 à 13
ans), académique (pour les jeunes de13 ans et plus) et pour les adultes
lors des cultes et pèlerinages.
- La socialisation juridique est incorporée dans le
programme
d'alphabétisation : les enfants qui apprennent à
lire et écrire se nourrissent de la loi.
- Le huitième jour de sa naissance, Jésus est
amené au temple pour la
circoncision conformément à la loi de Moïse
(Luc 2, 21) ;
- En Luc 6, 2, les pharisiens reprochent à Jésus de
faire ce qui n'est pas
permis de faire
- Joseph et Marie se sont rendus à Jérusalem pour
leur purification selon la
loi de Moïse (Luc 2, 22) ;
116 L'éducation populaire ne vise pas seulement
l'acquisition du savoir en général, mais inclut
également
«l'idéologisation »' et a une dimension de
politisation. Chez les Juifs de l'époque de Jésus Les synagogues
(à la fois comme école et lieu de culte) constituait un cadre
d'idéologisation. 117Ibid, p. 9
- Comme le recommandait la loi de Moïse, Jésus, en
tant que premier né
mâle, est amené au temple pour être
consacré au Seigneur et ses parents donnent un sacrifice pour la
purification de Marie (Luc 22, 23 - 24).
- La lapidation d'Etienne en Actes 6, 12 est montée par
les maîtres de la loi ;
- Actes 13, 15 montre que la socialisation juridique a
continué dans la
communauté chrétienne naissante qui se
réunit dans les synagogues ;
- En Actes 15, 1 l'obéissance à la loi est
présentée aux pagano chrétiens comme l'unique moyen du
salut ;
- En Actes 15, 5, on voit les pharisiens insister sur la
circoncision de pagano
chrétiens avant de prier avec eux ;
- Actes 15, 21 montre que chaque jour du sabbat, la socialisation
juridique a
continué par la lecture et l'enseignement de la loi dans
les synagogues et les réunions des chrétiens ;
- Actes 21, 20 relève que les juifs, malgré leur
conversion au christianisme
continuent à suivre fidèlement la loi et à
la mettre en pratique ;
- Actes 21, 28 présente comment les juifs se
soulèvent contre les apôtres
accusés d'enseigner ce qui n'est pas conforme à la
loi ;
- L'apôtre Paul utilise la loi pour persuader les notables
;
- Dans Romains 3, 31 Paul montre que croire c'est donner à
la loi toute sa
valeur.
Ces passages et bien d'autres dans le Nouveau Testament
attestent à suffisance que les Pharisiens on joué un rôle
important dans l'émergence d'une culture juridique depuis la naissance
de leur parti à l'époque d'Esdras jusqu'à l'an 70 ap. J.
C., année à laquelle ils ont pris le pouvoir. L'influence
exercée par les pharisiens dans la communauté juive était
très importante. C'est ce qui justifie la libération des
apôtres par la seule parole de Gamaliel qui était un Pharisien
(Actes 5 : 34-35).
Se référant à Actes 8, 1 et 12, 1ss,
Georges GANDER affirme que la communauté chrétienne de
Jérusalem était restée judaïsante118. Car,
ajoute t-il, les quelques hommes venus de la Judée dont il est
question en Actes 15, 1 sont des
118 G. GANDER, Les actes des apôtres. Nouveau
commentaire d'après l'Araméen, le Grec et le Latin,
éd.
Contrastes diffusion, Lausanne, 1990, p. 222
juifs légalistes stricts appartenant à la secte
des pharisiens119. Ainsi, la vision et l'exigence des pharisiens
voulaient que la loi soit lue et enseignée dans les synagogues et les
maisons dans lesquelles se réunissaient les chrétiens. C'est
pourquoi, en Actes 21, 20-24, l'apôtre Paul est repris par les anciens de
l'église de Jérusalem en ces termes :
Quand ils l'eurent entendu, ils glorifièrent Dieu.
Puis ils lui dirent : tu vois, frère, combien de milliers de juifs ont
cru, et tous sont zélés pour la loi. Or, ils ont appris que tu
enseignes à tous les juifs qui sont parmi les païens à
renoncer à Moïse, leur disant de ne pas circoncire les enfants et
de ne pas se conformer aux coutumes. Que faire donc ? Sans aucun doute la
multitude se rassemblera, car on saura que tu es venu. C'est pourquoi fais ce
que nous allons te dire. Il y a parmi nous quatre hommes qui ont fait un voeu;
prends-les avec toi, purifie-toi avec eux, et pourvois à leur
dépense, afin qu'ils se rasent la tête. Et ainsi tous sauront que
ce qu'ils ont entendu dire sur ton compte est faux, mais que toi aussi tu te
conduis en observateur de la loi.
L'équivoque qu'il faut lever ici c'est que ni
Jésus ni ses disciples ne sont opposés à la loi, car :
- En Matthieu 5, 17- 18, Jésus montre qu'il n'est pas
venu abolir la loi mais l'accomplir et que rien n'en sera aboli aussi longtemps
que le ciel et la terre existeront ;
- Au verset 19 Jésus montre combien celui qui se charge
de la socialisation juridique sera important dans le royaume des cieux ;
- Au verset 20, Jésus présente
l'obéissance à la loi comme condition d'entrer dans le royaume de
Dieu ;
- En Actes 15, 23 - 29 il ressort que malgré la tenue
de la conférence de Jérusalem la loi a continué à
être enseignée et pratiquée dans les communautés
chrétiennes.
C'est ce qui ressort de cette conclusion - recommandation des
apôtres à toutes les églises d'Antioche, en Syrie, et en
Cilicie :
Alors il parut bon aux apôtres et aux anciens, et
à toute l'Église, de choisir parmi eux et d'envoyer à
Antioche, avec Paul et Barnabas, Jude appelé Barsabas et Silas, hommes
considérés entre les frères.
Ils les chargèrent d'une lettre ainsi
conçue: Les apôtres, les anciens, et les frères, aux
frères d'entre les païens, qui sont à Antioche, en Syrie, et
en Cilicie, salut! Ayant appris que quelques hommes partis de chez nous, et
auxquels nous n'avions donné aucun ordre, vous ont troublés par
leurs discours et ont ébranlé vos âmes, nous avons
jugé à propos, après nous être réunis tous
ensemble, de choisir des délégués et de vous les envoyer
avec nos bien-aimés Barnabas et Paul, ces hommes qui ont exposé
leur vie pour
le nom de notre Seigneur Jésus -Christ. Nous avons
donc envoyé Jude et Silas, qui vous annonceront de leur bouche les
mêmes choses. Car il a paru bon au Saint -Esprit et à nous
de ne vous imposer d'autre charge que ce qui est nécessaire, savoir, de
vous abstenir des viandes sacrifiées aux idoles, du sang, des animaux
étouffés, et de l impudicité, choses contre lesquelles
vous vous trouverez bien de vous tenir en garde. Adieu.
Bien que l'intervention de Jacques commence par maintenant
donc, pourquoi tentez-vous Dieu, en mettant sur le cou des disciples un joug
que ni nos pères ni nous n'avons pu porter ? (Actes 15, 10), il
s'avère que la loi de Moïse a été imposée aux
pagano chrétiens (Lévitiques 17, 10s ; 18, 6ss).
Concernant l'attitude de Jésus vis-à-vis des
pharisiens, il n'est pas question pour lui de refuser la socialisation
juridique faite par ces derniers, mais de lutter contre leur hypocrisie : ils
enseignent ce qu'ils ne vivent pas et que pour eux : la loi devient plus
importante que l'homme. Ces reproches de Jésus sont suffisamment
présentés dans le chapitre 23 de l'Evangile de Matthieu où
il leur reproche qu' :
- Ils disent, et ne font pas ;
- Ils lient les fardeaux pesants, et les mettent sur les
épaules des hommes ; - Ils font toutes leurs actions pour être vus
des hommes ;
- Ils aiment la première place dans les festins et les
premiers sièges dans les synagogues ;
- Ils aiment à être salués dans les places
publiques et à être appelés par les hommes rabbi, rabbi
;
- Ils ferment aux hommes le royaume des cieux et ils n'y entrent
pas ;
- Ils dévorent les maisons des veuves et qu'ils font pour
apparence des longues prières ;
- Ils courent la mer et la terre pour faire un prosélyte
de qui ils font deux fois fils de la géhenne plus qu'eux-mêmes
;
- Ils laissent ce qui est important dans la loi : la justice, la
miséricorde et la fidélité ;
- Ils nettoient le dehors de la coupe et du plat alors
qu'au-dedans ils sont pleins de rapine et d'intempérance ; etc.
Ces caractéristiques des pharisiens du temps de
Jésus et du début de l'Eglise montrent que la mise en pratique de
la loi avait souffert de l'hypocrisie des pharisiens qui auraient dû
être un modèle à suivre.
Bien que l'apôtre Paul soit accusé d'avoir
interdit l'enseignement et la pratique de la loi (Actes 21, 28), le malentendu
entre lui et les pharisiens comme avec les autres apôtres ne porte pas
sur la nécessité ou pas de continuer la socialisation juridique,
mais sur le moyen d'accession au salut offert par Jésus. Ceci est
prouvé par le fait que lui-même, ayant été
juridiquement socialisé auprès du grand docteur du pharisien
(Gamaliel), il connaît ses droits de citoyen romain et les revendique, en
faisant recours à la loi, lors de son arrestation à Rome (Actes
23, 3). Il prend Aussi soin de recourir à la loi dans ses enseignements,
ils entre librement dans les synagogues où se faisait la socialisation
juridique et demande au jeune Timothée de se rappeler de l'enseignement
reçu de la part de sa grand-mère Aloïs qui était une
juive pratiquante (2 Timothée 1, 5) ; il fait circoncire Timothée
selon la loi (Actes 16, 3). C'est ainsi qu'il procède lui-même
à la socialisation juridique en envoyant aux églises les parties
de la loi qu'il demande de lire dans l'église :
- Dans Romains 7, 2-3 il ingère les instructions de la
loi sur le mariage ;
- Dans Actes 7, 53 il montre que croire en Jésus c'est
donner à la loi toute sa valeur ;
- Dans Romains 8, 4 il demande aux chrétiens de vivre
comme la loi juive le demande ;
- Dans 1 Corinthiens 14, 34 il demande à l'église
de ne pas permettre à la femme de parler dans l'assemblée selon
la tradition juive.
Il apparaît donc que dans le Nouveau Testament la
socialisation juridique était l'oeuvre des pharisiens, des
apôtres, des judéo chrétiens et des anciens d'Eglise.
De cette étude sur le fondement théologique de
la socialisation juridique, il ressort que le processus d'information et de
formation des citoyens sur la loi est une mission confiée aux
responsables politiques et spirituels du peuple de Dieu. Depuis le don de la
loi au Sinaï par Dieu, Il insiste pour que le peuple soit tenu
informé et ait un enseignement approfondi de la loi pour éviter
la violence, la délinquance et l'anarchie dans la société.
C'est pourquoi, dans la Bible, la paix et la prospérité du peuple
de Dieu dépendent de la connaissance de la loi qui doit se manifester
par sa mise en pratique. L'ignorance de la loi par le peuple conduit à
sa perdition, à son malheur et à la violence (Osée 4,
6).
L'exemple d'Israël qui était toujours en
déportation, dans les guerres et la misère chaque fois que le
peuple ignorait ou refusait de mettre en pratique la loi suffit
pour
montrer que le processus d'information et de formation du
peuple au droit contribue beaucoup au développement d'une culture
juridique et de paix au sein d'un peuple, d'une nation ou d'un pays.
Loin d'être une innovation humaine, la socialisation
juridique trouve sa source en Dieu qui insiste devant Moïse, Josué,
les Juges, les rois, les sacrificateurs, les prêtres, les sages, les
prophètes Ezéchiel, Esdras et Néhémie sur
l'information et la formation du peuple au droit étant donné
qu'il n'y a pas de pratique de droit sans la lecture (àø÷)
et l'enseignement ou l'apprentissage (ïðù) de
la loi par le peuple.
Pour faire émerger une culture juridique, cette
socialisation juridique doit être non seulement globale (concernant
toutes les lois) mais aussi globalisante (impliquant toutes les
catégories sociales).
C'est la mauvaise interprétation des remarques que
Jésus adresse aux Pharisiens et aux Scribes ainsi que de l'enseignement
de l'apôtre Paul sur la loi et la grâce qui ont fait que la
connaissance et la pratique de loi soient remises en cause et la socialisation
juridique sans importance pour les chrétiens. Par conséquent, le
travail de socialisation juridique fait par Héritiers de la Justice
n'est pas en contradiction avec la foi chrétienne étant
donné qu'il fait partie de la mission du peuple de Dieu dans le monde.
C'est ce que soulignent E. FUCHS et P.-A. STUCKI : les DH tirent leur
fondement de la loi de Dieu. Ainsi, affirment-ils, les DH doivent être
reconnus dans leur portée ultime que si on les comprend comme
l'expression même de la loi de Dieu120.
120 E. FUCHS et P.- A. STUCKI, Au nom de l'autre. Essai sur
le fondement des droits de l'homme, Labor et Fides, Genève, 1985,
p.125
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