5.3- Agrocarburants et sécurité
alimentaire
Toujours dans son éditorial cité plus haut,
François POLET affirme que « la formidable poussée de la
consommation d'agrocarburants durant les années 2006 et 2007 constitue
bel et bien un facteur de la flambée des prix agricoles mondiaux
début 2008, avec les mauvaises récoltes, l'absence de stock et la
spéculation ». Il précise « qu'il s'agit
cependant d'un facteur ayant temporairement aggravé une situation de
vulnérabilité alimentaire structurelle liée à la
situation de dépendance vis-à-vis des marchés
internationaux dans laquelle des dizaines de pays, autrefois autosuffisants,
ont glissé ces dernières décennies ». Tout en
considérant les agrocarburants comme un facteur secondaire de la crise
alimentaire de 2008, l'auteur reconnaît qu'ils demeurent une vraie menace
pour la « sécurité alimentaire locale » du fait de
« l'affectation de surfaces à la production d'agrocarburants
dans les pays où les terres fertiles sont limitées ».
Il juge méme que le risque est réel s'il se réfère
aux expériences des cultures de rente comme le coton, le café,
l'ananas, les fleurs qui se sont substituées aux cultures
vivrières après que des investisseurs extérieurs se soient
accaparés des terres pour fructifier des productions destinées
à l'exportation. En effet, selon lui, les acteurs capitalistes n'ont pas
un intérêt particulier à se limiter à des parcelles
marginales pour gérer leur « business » méme avec des
cultures comme le Jatropha qui s'y préterait. Les rendements augmentant
avec la fertilité des sols, ils vont tout bonnement s'orienter vers les
terres propices.
La compétition entre agrocarburants et cultures
alimentaires est aussi appréhendée du point de vue des temps de
travaux consacrés aux conduites. Des paysans sénégalais
l'ont bien compris et face à des promoteurs de projets de Jatropha
destinés à l'exportation, ils ont répliqué :
« nous n'allons pas confier nos ventre à l'extérieur
».
Bien que les gouvernements des Etats-Unis et de l'Union
Européenne continuent à dédramatiser, les experts des
grandes instances multilatérales et d'imminents chercheurs (IFPRI ;
Commission Gallagher) ont désormais reconnu le lien entre la promotion
des agrocarburants et la hausse des prix alimentaires. Suivant les
hypothèses et les produits, ils ont conclu à une contribution aux
hausses de prix variant entre 30% et 75%.
Bien que des auteurs pensent que le cas américain
concernant la filière éthanol n'est pas représentatif, il
faut remarquer qu'aux USA, un plein de bioéthanol de véhicule 4X4
équivaut à 250 kg de céréales correspondant presque
à l'alimentation d'une personne par an dans de nombreux pays en
développement.
L'article de Eric HOLT-GIMÉNEZ et Annie SHATTUCK, paru
dans Food Sovereignty et repris dans la revue Alternatives Sud sous le titre
« Agrocarburants et souveraineté alimentaire : une autre transition
agraire », aborde dans le même sens. Ces deux auteurs nous
apprennent que « 5% de la récolte mondiale de maïs en 2008
a été convertie en carburant liquide pour le transport
». Citant la FAO, ils rapportent que : « à
l'échelle de la planète, les personnes les plus pauvres
dépensent déjà 50% à 80% de leur revenu familial
pour leur alimentation ». Ainsi, poursuivent-ils « elles
souffrent quand les prix élevés des cultures pour carburants font
monter le prix des aliments ».
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