5.4- Rapports à la paysannerie : monocultures
industrielles ou agrocarburants de
proximité avec la polyculture paysanne
Le modèle dominant dans la mise en oeuvre des
agrocarburants reste la monoculture industrielle caractérisée par
un mode de production capital-intensive basé sur une
utilisation massive d'énergie, d'eau, d'intrants chimiques dans de
très grandes superficies. « Elles s'étendent en pratique
soit aux dépens de zones dites inhabitées (forêts, savanes,
etc.), soit au détriment de la polyculture paysanne ou d'autres
activités agricoles ». (CETRI, 2010). Ce sont
généralement de grandes entreprises privées qui
travaillent en régie et emploient les petits producteurs comme ouvriers
agricoles. Malgré cette utilisation de main-d'oeuvre, les monocultures
sont taxées souvent de « destructrices d'emplois et de moyens
de subsistance ». En effet, les emplois qu'elles créent par
unité de surface exploitée sont en dessous de celles
assurées par une agriculture paysanne diversifiée de nature
labour-intensive. Dans beaucoup de pays comme l'Indonésie, les
monocultures industrielles pour agrocarburants sont « destructrices de
l'agriculture paysanne et ont accru l'insécurité alimentaire du
fait du remplacement de cultures visant l'alimentation, de la
réorientation de l'usage de cultures alimentaires, et de l'utilisation
de terre, d'eau et de main d'oeuvre précédemment
dédiée à la production d'aliments. » (Ibid.)
Une étude de la banque mondiale,
référenciée précédemment,
révèle que « les salaires payés sur les
plantations ne sont en moyenne qu'une fraction (entre 1/2 et 1/10) des revenus
de petits paysans indépendants ». Le rapport 2010 de l'UNICEF
indique que dans un pays comme le Guatemala, 2ème fournisseur
de l'Union Européenne en éthanol, ces « revenus
sont
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Mémoire Master Amadiane DIALLO
insuffisants pour alimenter une famille : la malnutrition
atteint 1 enfant sur 2 et 80% de la population indigène qui fournit la
main d'oeuvre pour les grandes plantations (UNICEF, 2010) ».
A côté de ce modèle, d'autres projets
tentent de relever le défi de l'accès ou de la satisfaction des
besoins en énergie pour les populations rurales. Il s'agit de
filières d'agrocarburants de proximité qui, à
l'échelle d'un territoire restreint, reposent sur des savoir-faire
existants et des technologies simples, et impliquent des artisans locaux
intervenant aux différents maillons de la chaîne de production :
production de la matière première énergétique,
extraction de l'huile végétale et prestation de services divers.
Pour le cas du Jatropha, l'huile végétale pure (HVP) obtenue est
destinée à la satisfaction des besoins locaux tels que la
fourniture d'énergie aux groupes électrogènes pour les
moulins à céréales, les forages et à de petites
centrales électriques qui fonctionnaient tous avec du diésel. En
effet, l'huile du Jatropha peut remplacer progressivement le diesel dans toutes
ses utilisations en milieu rural.
Ces types de projet sont ainsi différents des
mégaprojets qui privilégient la monoculture comme principale
forme de production et transforment le paysannat en ce que François
HOUTART appelle « le prolétariat rural ».
Faisant une comparaison, il affirme que : « à
côtédu palmier à huile, plante plutôt bourgeoise qui
entraîne des déforestations massives, le
Jatropha curcas apparaît comme une plante
prolétaire car n'importe qui peut la faire pousser ».
Des expériences prometteuses de projets
d'agrocarburants de proximité avec le Jatropha existent dans beaucoup de
pays comme le Mali et la Tanzanie. Au Mali, c'est M. Reihnard HENNING de la
coopération allemande qui a initié le concept de "Système
Jatropha" basé sur l'introduction du Jatropha au sein du système
de production d'un village. Quatre composantes principales ont
été ciblées. D'abord, « la lutte contre
l'érosion » avec des haies plantées sur des pentes pour
diminuer le ruissellement et l'infiltration rapide. La « fertilisation des
sols » est la seconde composante. Elle consiste à utiliser les
produits dérivés de la plante comme les feuillages, les
tourteaux, les coques pour en faire de l'engrais organique et remplacer les
engrais minéraux coûteux importés. Ensuite, vient le volet
de la « réduction de la pauvreté » induite par :
l'utilisation de l'huile végétale pure dans des moteurs
diésel pour satisfaire des besoins locaux, l'amélioration des
rendements par la fumure organique, la diminution des pertes imputables
à la divagation des animaux avec la généralisation des
haies vives de Jatropha. Enfin, il y a la « promotion des activités
annexes pour les femmes » comme dernière
composante : organisation autour d'unités de production
de savon, rémunération des tâches comme la cueillette des
fruits et le traitement des graines, allégement des travaux avec
l'installation de moulins tournant à l'huile de Jatropha. Dès
lors, le système Jatropha est de nature à rendre la vie au
village plus aisée. (ALPHA GANO A. K., 2011).
Selon HENNING, « le système Jatropha est une
approche de développement rural intégrée dont l'avantage
capital est de pouvoir réaliser toute la chaine de production à
l'échelle d'un village ». Dans le souci de prévenir
d'éventuels impacts négatifs de l'intensification à
outrance des cultures de Jatropha au détriment des cultures
vivrières, HENNING a suggéréde :
? privilégier la plantation en haie : le projet
Jatropha Mali était, en 2007, à plus de 10 000 km de haies vives
de réalisation avec un potentiel de production de 200 000 tonnes de
graines ;
? privilégier les terrains accidentés et les
terres pauvres dans les plantations hors haie vive : sur les 1800 ha de
cultures financées par la coopération allemande au Mali, seuls
700 ha sont situés dans des zones de production de maïs.
? éviter au maximum la monoculture
? promouvoir les droits des populations des zones
d'exploitations à bénéficier prioritairement des avantages
des produits dérivés du Jatropha notamment l'huile
végétale pure (moulins, forage...) et les tourteaux (fertilisant
organique pour leurs parcelles).
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