5.2- Agrocarburants et accaparement des terres dans les
pays du Sud
L'accaparement des terres est un phénomène
dénoncé par beaucoup de détracteurs des agrocarburants.
Méme si la pratique n'est pas nouvelle, elle a connu un nouvel essor
avec l'avènement des agrocarburants dans le monde.
Un rapport de la banque mondiale de 20109,
cité dans une récente étude10
réalisée par des experts belges, révèle que "
la promotion des agrocarburants a déclenché une intense
activation des marchés fonciers, qui a culminé en 2009, avec des
transactions foncières à grande échelle ayant atteint 45
millions d'ha, contre une moyenne de 4 millions d'ha par an pendant la
décennie précédente. Si toutes ces transactions ne
visaient pas, loin s'en faut, la production d'agroénergie, il reste que
des 389 grosses transactions répertoriées par la Banque Mondiale,
35% concernaient l'agroénergie »
9 Rising Global Interest in Farmland - Banque
Mondiale - septembre 2010
10 Intitulée « Impact de l'expansion des
cultures pour biocarburants dans les pays en développement »
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Mémoire Master Amadiane DIALLO
Du fait des politiques rendant obligatoire son incorporation
dans les combustibles destinés au transport notamment aux Etats-Unis et
dans l'Union Européenne, les agrocarburants sont de plus en plus
demandés au niveau du marché mondial. Ainsi, les investisseurs
privés essaient de contrôler le foncier pour sécuriser
leurs opérations car " pour produire des agrocarburants, il faut des
terres ».
Dans son éditorial paru dans la revue Alternatives Sud
(vol 18, 2011), François POLET, parlant de l'accaparement des terres, a
distingué deux grands types de situations décrites ainsi:
? " les terres visées sont soumises à un
régime foncier de propriété privée. Les occupants
antérieurs, petits ou gros propriétaires, sont porteurs de droits
formalisés sur la terre, sous la forme d'un titre de
propriété généralement. Ils acceptent alors de les
céder, volontairement ou après avoir subi des pressions, parfois
même après des actes de violence »
? « les terres visées sont soumises à
un régime coutumier : ces terres sont habitées ou
utilisées depuis des générations par les populations
locales, mais celles-ci ne disposent pas de documents formellement reconnus
attestant de leurs droits. Les droits d'usage (agriculture, pâturage,
ramassage de bois de feu, etc.) et des droits de propriété sont
pourtant socialement reconnus à des individus, des familles ou des
communautés, et il existe des mécanismes variés de
gouvernance, mais sont faiblement sécurisés et l'Etat estime
pouvoir, ou peut légalement, récupérer ces terres
moyennant une indemnisation. »
Dans ce dernier cas, les affectations des terres aux firmes
d'agrocarburants se font le plus souvent sans consultation aucune des
populations locales.
Une étude de mars 2009 sur les « Pressions
commerciales sur la terre dans le monde » de l'International Land
Coalition, a identifié six acteurs clés avec diverses
motivations.
D'abord, il y a les acteurs privés, entrepreneurs ou
investisseurs qui ont des motivations capitalistes, c'est-à-dire faire
des affaires en maximisant leur profit et partager les dividendes entre
actionnaires. Pour arriver à leur fin, ils sont prêts à
faire des investissements pourvus qu'ils soient rentables. Ainsi, la main mise
sur le facteur de production clé qu'est le foncier est primordial pour
assurer une production stable d'agrocarburants.
Ensuite, viennent les Etats « investisseurs » qui
accompagnent ces privés et veulent contribuer à leur
autosuffisance énergétique, en produisant hors de leurs
frontières les agrocarburants nécessaires car ne disposant sur
leur territoire que de surfaces agricoles réduites par habitant. Ils
parviennent à acquérir des superficies par le biais de
"politiques de
coopération", d'accords intergouvernementaux permettant
la signature de contrats avec de grandes entreprises privées nationales
ou multinationales de connivence.
Puis, les Etats "hôtes" qui accueillent ces projets et
justifient les affectations de surfaces par le "besoin d'investissements
externes" pour leur développement. Ils se disent convaincus que les
agriculteurs locaux, à cause de leur moyens financiers et techniques
limités, sous exploitent les ressources foncières dont ils
disposent. Malheureusement, les contrats de cession de terres qu'ils signent ne
vont pas dans l'intérêt national.
Les autorités ou entités politiques au niveau
local à savoir les communes, communautés rurales, peuvent aussi,
dans certaines mesures, adopter les mêmes comportements de compromissions
au détriment des intérêts des agriculteurs.
Quant aux populations des zones concernées par
l'accaparement des terres, leur niveau d'implication est relégué
au second plan. Néanmoins, certains propriétaires peuvent
recevoir une indemnisation pour la vente ou la location de leurs terres
espérant en plus un impact sur la communauté avec l'installation
d'entreprises privées.
Enfin, les partenaires au développement qui, en
dépit de quelques réserves, appuient les privés pour les
investissements dans l'agriculture. Ce paradoxe dans la dénonciation de
ce phénomène par la Banque Mondiale est mis en évidence
par un centre de recherche américain qui montre " comment la SFI (la
filiale de la Banque Mondiale chargée des rapports avec le secteur
privé) et la FIAS (filiale de la SFI spécialisée dans le
conseil) ont respectivement financé des accaparements de terre et
crée les conditions pour de tels accaparements par la mise en place de
législations ad hoc ». (cité par CETRI, 2010)
D'autre part, l'Oko Institut (Allemagne) a
démontré que « s'il n'y a pas de changement direct
d'utilisation des sols, il y a nécessairement un changement indirect
». Ceci est désigné par l'expression Changements
d'Affectation des Sols Indirects (CASI) ou Indirect Land Use Change
(ILUC) en anglais. Ainsi, " les 45 millions d'ha de cultures
pour agrocarburants "viennent nécessairement remplacer quelque chose
quelque part", avec des impacts a priori similaires aux impacts directs.
L'effet est le même, in fine, que les agrocarburants soient produits sur
des terres défrichées à cet effet, ou quils aient
déplacé d'autres productions avec un effet induit de
déforestation. Qu'ils aient déplacé l'agriculture
paysanne, ou déplacé d'autres plantations qui déplacent
ensuite l'agriculture paysanne. » (ibid.)
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Mémoire Master Amadiane DIALLO
Dès lors, l'utilisation de terres agricoles pour la
production de carburant en Europe ou aux Etats unis créée des
effets indirects du fait de la pression sur les terres du Sud pour remplacer
les productions abandonnées.
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