La matière organique du sol (MOS) n'est pas
une entité bien définie. Elle consiste en une large gamme de
composés formant un continuum de fractions cellulaires biochimiques,
provenant de végétaux supérieurs, d'animaux et de
micro-organismes de poids moléculaire bas et médian, de substance
organique de structure connue ou de composés humiques de poids
moléculaire élevé dont la structure est encore à
caractériser.
Les pédologues étudient la
matière organique sous de nombreuses optiques différentes. Deux
d'entre elles sont fréquemment utilisées dans les études
relatives à l'agriculture et l'aménagement des ressources
naturelles :
· la première optique est une
démarche dynamique et conceptuelle qui divise les substances organiques
des sols sur la base de leur stabilité et qui distingue plusieurs
groupements organiques ou compartiments qualifiés de labiles ou de
stables ; dans la pratique cette démarche est souvent utilisée
pour la compréhension de la pédogenèse ;
· la seconde optique est analytique et
procède par l'identification de la composition chimique de la
matière organique du sol par différentes méthodes de
fractionnements. C'est une approche fortement développée ces
dernières années, mais encore peu usitée dans les
nombreuses thématiques de recherche relatives à la composition
chimique non stable de la matière organique des sols des tropiques (Van
Wambeke, 1995).
En ce qui concerne les compartiments, la matière
organique du sol est constituée de plusieurs fractions (Figure
1).
Pour caractériser les différentes
fractions de la matière organique dans le sol, Hoepsloth et
al. (1993) distinguent deux (2) compartiments :
· la fraction de matière organique non
stable constituée de la matière organique fraîche, la
biomasse microbienne comprise ;
· la fraction de matière organique
incorporée dans le squelette minéral du sol ou matière
organique du sol encore appelée humus.
Matière organique
du sol
Residus morts, litières
ou
amendements
Matière organique fraiche
Matière organique du sol
Organismes vivants, plantes
et animaux.
Source
de C et N organique
Figure 1. Compartiments theoriques de la matière
organique du sol
Source : Hoepsloth et A (1993)
Le fractionnement chimique des matières
organiques est la plus ancienne méthode de classement. Il a abouti
à la détermination de trois grands groupes : humine, acides
fulviques, acides humiques. Toutefois, le fractionnement obtenu est peu
explicatif des propriétés de la matière organique du sol
donc pas utilisable par les agronomes, mais dépendant surtout des seuls
acides fulviques. Feller (1979) propose un fractionnement
granulométrique par simples tamisages successifs à sec, puis
à l'eau. Il obtient trois groupes de fractions :
· des fractions végétales de tailles
supérieures à 50 gm ;
· une fraction organo-minérale de taille
inférieure à 50 gm ;
· une fraction hydrosoluble.
Les analyses morphologiques et chimiques de ces
fractions indiquent que les degrés d'humification augmentent quand la
taille diminue. Ce mode de fractionnement a permis à Pieri (1989)
d'établir une représentation schématique du compartiment
de la matière organique en relation directe avec le bilan carboné
du système sol-plante (Figure 2).
Le premier sous-ensemble, noté « C lib
» est constitué de débris végétaux de certains
résidus de la mésofaune et de la macrofaune du sol
récupéré dans le fractionnement. Il s'agit de
matière organique libre.
Le deuxième, noté « C fom »,
correspond à la partie humifiée de la fraction 50 à 200
gm. C fom influence beaucoup les propriétés
physiques et chimiques des sols et notamment leur stabilité
structurale.
Le troisième sous-compartiment, la biomasse
organique, notée «C biom », représente la population de
micro-organismes hétérotrophes dont l'activité va
régler l'essentiel des échanges entre les deux sous-compartiments
précédents, et avec l'extérieur.
Entrée-organique (C/N élevé)
Entrées-organiques (C/N faible )
Compartiment matière organique (C .M .O .)
C lib : fraction organique libre
C fom : fraction organo-minérale
C biom : biomasse organique
Fonctionnement interne
1 . Humification 2 . Décomposition physique et
consommation C végétal par organ hétéro
3 . Consommation c lié par microorganismes
4 . Respiration biologique
C lib
1 2 4
biom R
3
r
2 + 3 + 4 - minéralisation
C fom
Sorties minérales (CO2)
Figure 2. Le compartiment matiere organique des sols : le
bilan carbon6 (d,apres Pieri,
1989)
Du rôle de «liants » de la
matière organique (MO) pour les sols ferrugineux tropicaux, Pieri (1989)
établit que le rapport entre la quantité de matière
organique d'un sol et sa surface d'adsorption minérale, est indicateur
de stabilité structurale (St) des sols et on a la formule (1)
:
St p.c. = (MO) p.c./(A + L) p.c. x 100 (1), avec les
cas suivants si :
· St < 5 p.c., horizon
déstructuré, grande sensibilité à l'érosion
;
· 5< St < 7 p.c., horizon instable à
risque élevé de déstructuration ;
· St > 9 p.c., horizon ne présentant pas
de risque immédiat de déstructuration.
Feller (1994) approfondit l'approche
granulométrique d'identification des compartiments organiques des sols
à argile 1 :1, dans les sols d'Afrique de l'Ouest à kaolinite.
Les matières organiques sont associées à diverses
fractions sableuses, limoneuses et argileuses. Les différentes fractions
sont regroupées en trois compartiments organiques et
organo-minéraux principaux dont le caractère fonctionnel
s'avère être fortement dépendant de la texture, celle-ci
jouant un rôle considérable dans le niveau des stocks organiques
de ces sols. Il identifie ainsi trois compartiments :
· un «compartiment débris
végétaux » (> 20 um), associé
mais peu lié aux sables minéraux ; les rapports C/N (15 à
25) et xylose/mannose (5 à 10) élevés sont en accord avec
le caractère figuré végétal de ces MO ; le taux de
renouvellement des MO est moyen à élevé (40 à 100
p.c. en 10 ans) ;. ce compartiment est considéré comme
fonctionnel essentiellement dans les sols sableux où il assure alors, de
manière importante, des fonctions `biologiques' relatives aux processus
de minéralisation à court terme du carbone, de l'azote et du
phosphore ;
· un «complexe organo-limoneux » (2-20
um), constitué d'un mélange de MO à
caractères végétal et fongique figurés, de limons
minéraux et de microagrégats organo-minéraux très
stables ; les rapports C/N (10 à 15) et xylose/mannose (1 à 3)
sont plus faibles que pour le compartiment débris végétaux
en accord avec le caractère plus humifié des MO ; le taux de
renouvellement des MO est moyen à faible (20 à 40 p.c. en 10
ans). La dénomination de complexe révèle la
difficulté d'une définition précise de ce compartiment ;
le caractère fonctionnel de ce compartiment est relativement faible ; il
s'exprime essentiellement dans les sols sableux pour des fonctions de «
sorption et d'échange » relatives aux propriétés
de
surface des constituants organiques (CEC et sorption
des molécules organiques neutres) ;
· un «compartiment organo-argileux
» (< 2 um), riche en MO amorphe, humifiée et
fortement liée aux particules minérales ; les rapports C/N (8
à 11) et xylose/mannose (0,5 à 2) sont faibles, en accord avec
une origine partiellement microbienne de la MO. Globalement, le taux de
renouvellement des MO est moyen à faible (20 à 40 p.c. en 10 ans)
;. toutefois, au sein de ce compartiment, une fraction soluble à l'eau
chaude (nommée EC 0-2), enrichie en métabolites microbiens et
très active en terme de minéralisation et d'immobilisation
microbienne, constitue 5 à 15 p.c. de la MO ; le compartiment
organo-argileux peut être considéré comme fonctionnel, vis
à vis des trois types de fonctions, pour les sols sabloargileux à
argileux dès lors que leurs teneurs en argile sont supérieures
à 10 p.c. Il remplit alors des fonctions de «réserves »
(N et P), des fonctions d' « échanges » (CEC) et des fonctions
biologiques (immobilisationminéralisation de C et N) ;. dans ce dernier
cas, la fraction EC 0-2 joue un rôle primordial.
Les compartiments ainsi définis lient les
fractions organiques aux fractionnements des minéraux.
La teneur en matière organique du sol est
généralement exprimée en pourcentage de carbone total (C)
ou de l'azote total (N) déterminée par des analyses de la
fraction terre fine (granulométrie inférieure à 2 mm) en
laboratoire. En général la matière organique du sol (MOS)
est mesurée en déterminant le C dépendant de la relation
traduite par les formules (2) et (3) :
MOS p.c. = 1,724 x C p.c. pour les sols cultivés
(2) ; MOS p.c. = 2 x C p.c. pour les sols vierges (3).
Aussi, à défaut du fractionnement, la
présente étude s'appuiera t- elle sur les données de
détermination de la matière organique totale. Divers auteurs ont
établi des équations de base attachées à
l'étude de la matière organique. Ainsi,
le bilan de la matière organique dans un sol
peut être décrit par l'équation de base de la formule (4)
suivante :
dC/dt = A - KC (4) où.
· dC/dt = changement du stock de carbone dans un
temps dt généralement 1 an.
· A = additions annuelles au stock
organique.
· K = coefficient de
décomposition.
· C = stock de carbone présent dans le
sol.
Cette équation peut être utilisée
pour calculer la constante de décomposition de la matière
organique fraîche ou taux de décomposition (K). Dans les
conditions d'une forêt, A représente les chutes de litière
par unité de temps dt. A l'équilibre, lorsqu'aucun changement n'a
lieu, A vaut KC et CE = A/K. Dans cette équation, CE est la teneur
d'équilibre en C ou son niveau d'équilibre. Cette équation
peut être utilisée pour calculer les quantités de
matière organique présente dans les sols en équilibre avec
des conditions écologiques stables telles que dans les forêts
ombrophiles arrivées à maturité, les savanes climaciques,
les systèmes culturaux de longue durée et les cultures
pérennes. Ce modèle mathématique dû à Nye et
Greenland (1960) est une équation simplifiée qui ne rend pas
suffisamment compte de l'allure de la courbe de diminution de la
quantité de carbone restant pendant l'année. Laudelout (1961)
procède à l'intégration de cette équation (Figure
3).
Plus tard et pour des observations sur des
périodes plus courtes, Young (1987), puis Jenkison et Ayanaba (1977)
présentent une équation exponentielle plus expressive de la forme
traduite par la formule (5) :
Ct = C0.e-Kt (5), avec :
· Ct = teneur en carbone du sol au temps
t,
· C0 = teneur en carbone du sol au temps 0 et e est
la base des logarithmes naturels.
· K = est la constante de décomposition du C
du sol en supposant qu'il n'y a pas de perte par érosion.
· Ct = CE + (C0-CE).e-Kt (6)