2.1.3. Les savoirs locaux « indigenuos knowledge
»
Longtemps négligé pendant la période
coloniale et post coloniale, la prise de conscience des savoirs locaux a
été suscitée par de nombreux facteurs. Parmi ces facteurs,
les plus déterminants ont été d'une part, l'influence des
travaux de recherche sur les savoirs locaux enclenchée par la
création du Center for Indigenuos Knownledge for Agricultural and
Rural
Developement (CIKARD) à Iowa au USA. Par ailleurs, le
bilan désenchanté des efforts de développement depuis
l'indépendance des pays subsahariens, dû en grande partie au non
prise en compte des pratiques et savoirs paysans (Banque Mondial, 2000 ;
Warren, 1993) y a également contribué .
Depuis ce regain d'intérêt, une
littérature assez variée s'est développée autour du
concept « savoirs locaux ». Mais il est important de
reconnaître que même s'il est encore connu sous plusieurs autres
dénominations telles que « savoir endogène », «
savoir paysan » ou « Ethnoscience », etc., le savoir local reste
jusqu'à nos jours difficile à déterminer de façon
précise.
Pour l'UNESCO (2003), les savoirs locaux désignent les
ensembles cumulatifs et complexes de savoir, savoir-faire, pratiques et
représentations qui sont perpétués et
développés par des personnes ayant une longue histoire
d'interaction avec leur environnement naturel. Ces systèmes cognitifs
font partie d'un ensemble qui inclut la langue, l'attachement au lieu et
à la vision du monde.
Selon Warren (1993), les savoirs locaux représentent
l'ensemble des connaissances acquises par une population locale à
travers l'accumulation d'expériences et l'interprétation de
l'environnement dans une culture donnée. Il comprend les idées,
les expériences, les pratiques et les informations qui ont
été soit générées localement ou soit
produites en dehors de la communauté, mais qui ont été
transformées par la population locale et incorporées à
travers le temps aux conditions culturels agro-écologiques et
socio-économiques locales.
D'après Hountondji (1994), qui souligne l'aspect
culturel dans sa définition, le savoir local est une connaissance
vécue par la société comme partie intégrante de son
héritage. Le savoir local représente le reflet des facteurs
agro-écologiques et socio-économiques emboités dans les
préférences et traditions culturelles. Tout savoir local est donc
relatif à une culture.
Selon la FAO (2005), qui propose une définition
conceptuelle, les savoirs locaux sont un ensemble de faits liés au
système de concepts, de croyances et de perceptions que les populations
puisent dans le monde qui les entoure.
Briggs et Sharp (2003), précisent pour leur part que
les savoirs locaux, comme tous les autres types de savoirs (scientifiques,
techniques, etc.) sont dynamiques par nature. Il s'agit donc d'une accumulation
des connaissances qui a essentiellement pour objectif de réagir à
la
modification des conditions du milieu provoquées souvent
par les changements des paramètres écologiques et humains
(Hountondji, op.cit).
De ces différents points de vue nous pouvons retenir sur
la base des éléments de cohérence, que fondamentalement
les savoirs locaux sont :
-Fondés sur l'expérience ;
- Souvent testés au cours de siècles d'utilisation
;
- Adaptés à la culture et à l'environnement
local ;
- Gravés dans les pratiques de la communauté, les
institutions, les relations et les rituels ; - Détenus par les
particuliers ou les communautés ;
- Dynamiques et en évolution permanente.
De toutes ces définitions, c'est celle de Warren
(1993), qui sera retenue pour notre travail puisqu'elle prend explicitement en
compte les savoirs étrangers qui peuvent s'incorporer au savoir local au
cours du temps.
Bien que les savoirs locaux soient uniques pour chaque culture
ou société ils ne sont pas uniformément répartis au
sein de la communauté. A cet effet, une typologie des savoirs locaux
nous est proposée par la FAO (op.cit). Elle identifie les trois
(03) types de savoirs locaux suivants : le savoir commun, le savoir
partagé et le savoir spécialisé.
Le savoir commun est détenu par la plupart des
personnes au sein d'une communauté tandis que le savoir
partagé est détenu par un bon nombre de membres de la
communauté mais pas par tous, par exemple, les villageois qui
élèvent des animaux domestiques en sauront plus sur
l'élevage que ceux qui n'ont pas d'animaux. Le savoir
spécialisé est détenu par quelques personnes qui ont
reçu une formation spéciale ou un apprentissage.
Au sein d'une communauté locale, différents
groupes de personnes détiennent donc, différents types de
savoirs. Cependant, en fonction du type de savoir, la transmission s'effectue
de façons différentes. Le savoir commun est intimement lié
à la vie quotidienne de la population locale. Il n'a pas besoin de
mécanismes spéciaux pour se transmettre. La transmission du
savoir spécialisé et du savoir partagé représente
un cas différent. Ici la transmission nécessite des
mécanismes traditionnels et culturels spécifiques
d'échanges d'informations. Ils peuvent être conservés et
transmis oralement par les plus anciens ou les spécialistes.
Concernant l'importance des savoirs locaux pour la recherche
et le processus de développement agricole, plusieurs aspects se
révèlent pertinents pour la présente étude. Dans
son rapport 2000 sur les connaissances endogènes, la Banque Mondiale
mentionne que les savoirs locaux représentent le capital humain des
populations rurales (et urbaines).
Warren et Cashman (1988), mentionne pour leur part
que le système de savoirs locaux constitue une ressource
stratégique pour la prise de décision dans les
sociétés rurales. Il permet de préserver les
éléments essentiels pour la stabilité sociale d'une
communauté donnée dans un environnement global en
perpétuel changement.
Les savoirs locaux présentent néanmoins
certaines limites. Ces limites sont étroitement liées à
leurs caractéristiques ci-dessus présentées. D'abord,
compte tenu de son inégale répartition dans ou à travers
les communautés, le savoir local ne doit pas être pris hors de son
contexte social, politique et économique (FAO, op.cit). Il doit
être exploré et partagé de manière participative et
doit bénéficier à toutes les parties impliquées
(Hansen et Van Fleet, 2003).
Ensuite, les savoirs locaux ne sont pas exclusifs ou
nécessairement suffisants pour faire face à tous les défis
que les populations rurales doivent affronter pour leur survie (Banque Mondial,
op.cit). Dans ce même sens, Dupré, (1991) cité par
Biaou et al. ; (2007) recommande de se garder d'un «
fétichisme » qui doterait les savoirs locaux de toutes les vertus
qui leur étaient refusées autrefois. Il est important qu'il soit
associé à d'autres sources externes de savoir. Puisque, si les
paysans savent mieux établir les corrélations entre
différents phénomènes ; leurs explications des causes
peuvent être toute fois, erronées (Floquet et Mongbo, 1994).
Enfin, par rapport aux savoirs scientifiques formels ou
techniques qui sont standardisés, uniformisés et
formalisés ; les savoirs locaux sont localisés,
contextualisés et empiriques. Aussi, selon Mettrick, (1993), cité
par Agossou (2008), la diffusion des savoirs locaux est-elle restreinte
à ce dont on peut se rappeler et qui peut se transmettre oralement. De
même, si il a des domaines de connaissances dans une large mesure
maitrisées par les savoirs locaux et qui peuvent aider la recherche
scientifique ; il existe tout de même des données et des concepts
que les savoirs locaux ne peuvent détenir parce que nécessitant
des travaux expérimentaux, hors de porté des paysans ruraux.
En dépit de ces limites ; Howes et Chambers (1979),
cité par Okry (2000), suggèrent un certain nombre d'usages des
savoirs locaux dans le domaine du développement :
- l'utilisation du système local de classification comme
un moyen plus rapide pour compiler et inventorier les ressources du terroir.
- les savoirs locaux comme source d'inspiration aux
scientifiques.
- les savoirs locaux comme source d'hypothèses
préliminaires.
- les savoirs locaux comme moyen de correction des erreurs des
acteurs externes à la société dans la perception
réelle des réalités sociales.
- les savoirs locaux comme canal d'information sur les
problèmes environnementaux.
Pour Biaou et al., (op.cit) l'essentiel est
de valoriser ce patrimoine pour servir aux objectifs du développement
économique et social. C'est dans cette perspective que les savoirs
locaux seront pris en compte ici sous l'angle des quatre premiers usages
suggérés ci-dessus pour l'analyse des perceptions et des
stratégies ainsi que de leurs interrelations.
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