III.1.2 - Ecrits sur le conflit
La forme la plus simple du conflit est
celle qui place un acteur entre deux stimulations qui se contrarient ou
s'équilibrent. Certains peuvent refuser de parler ici de conflits,
puisqu'il n'existe qu'un seul acteur. Mais l'intérêt de ce cas est
de permettre, dans les meilleures conditions, une analyse de conflit
considéré comme comportement de l'acteur dans un champ de
vecteurs. C'est Kurt Lewin [1948] qui introduit ce point de vue en faisant
distinguer quatre types principaux de situations conflictuelles.
- Le type attraction-attraction est souvent
représenté, par la situation de l'âne de Buridan,
placé à égale distance entre deux bottes de paille, et qui
se trouve incapable de choisir entre des stimulations supposées
égales, mais agissant en sens opposé. Equilibre extrêmement
instable, puisque le plus léger mouvement accroît une des forces
d'attraction et diminue l'autre, ce qui engage un processus irréversible
mettant fin au conflit.
- Le type attraction-répulsion est plus
important et conduit à un conflit plus stable. Plus l'acteur s'approche
du but qui l'attire, plus il est repoussé par une stimulation
négative, par un coût de plus en plus grand de la tâche.
L'enfant qui désire atteindre un objet interdit se trouve dans ce type
de conflit et a le plus souvent un comportement de vacillation ou de fuite.
- Le type répulsion-répulsion exerce
une pression encore plus forte sur l'acteur, qui doit accomplir une tâche
désagréable sous peine d'être puni. Sa réponse est
souvent de retrait ou d'explosion agressive, puisqu'il ne peut résoudre
la situation conflictuelle où il se trouve.
- Le type attraction-répulsion est le plus
complexe. L'acteur se trouve placé entre deux buts qui l'attirent et le
repoussent également. L'attraction ou la répulsion peuvent ne pas
se situer au même niveau de conscience. La théorie psychanalytique
a insisté sur cette ambivalence de l'objet.
Kenneth Boulding [1962], lui, aborde la notion de
champ conflictuel qu'il définit par les rapports entre plusieurs
acteurs. Il part lui aussi de l'acteur, représenté comme
une unité de comportement (individuelle ou collective, peu importe),
cherchant à se placer dans la meilleure situation possible à
l'intérieur de certaines frontières, qui limitent sa
capacité de mouvement. Un individu, par exemple, peut vouloir aller
étudier au Japon, mais ses ressources financières ne le lui
permettent pas.
Deux acteurs définis de la même
manière peuvent voir les champs de leur action possible se recouper. Si
un point de cette zone de recouvrement ne peut être simultanément
occupé par les deux, le conflit apparaît.
Toutefois, même en se limitant à un
exposé succinct de la théorie de Boulding, on aperçoit
l'intérêt et les limites de son entreprise, qui sont fortement
marqués par ses soucis d'économiste. Il s'agit pour lui
d'étudier davantage la concurrence que le conflit. Ce qui manque ici
pour qu'il y ait un véritable conflit, c'est que les deux acteurs se
réfèrent à un code d'action commun. Le champ de conflit ne
peut être réduit à la rencontre d'intérêts ou
d'attitudes définissant la conduite de chaque acteur. Même
lorsqu'il s'agit de conflits inter-acteurs, la différence entre la
concurrence et le conflit tient précisément à ce que dans
le premier cas, le cadre de l'interaction est défini
indépendamment de la relation des acteurs. Il correspond par exemple au
marché dans lequel se rencontrent et s'affrontent des oligopoles. Dans
le conflit, au contraire, l'interaction est telle qu'elle met en cause ce qui
n'est plus un cadre social, mais un système de rapports sociaux.
Plusieurs autres auteurs ont traité des
conflits organisationnels. Dans ce cadre, R. Dahrendorf [1957] a
repris et étendu les remarques de M. Weber qui avait déjà
insisté sur l'importance centrale du type d'organisation qu'il nommait
Herrschaftsverband (association à organisation
hiérarchique). Il n'hésite pas à appeler rapport de classe
les rapports d'autorité, ceux qui unissent et opposent dirigeants et
dirigés. Toute grande entreprise hiérarchique, qu'elle soit
industrielle, commerciale, administrative, militaire, hospitalière,
etc., tend à définir de manière de plus en plus stricte
les relations d'autorité et les symboles de niveau social.
L'activité de chacun est plus étroitement dépendante des
instructions reçues du niveau hiérarchique supérieur. La
différenciation des rôles, qui tend à atténuer
certains conflits, s'accompagne dans les sociétés
bureaucratisées du renforcement des organisations et des filières
hiérarchiques, ce qui accroît l'importance des rapports
d'autorité.
Ceux-ci sont assurément chargés de tensions,
mais peut-on parler ici de conflits ? On le pourrait s'il s'agissait des
rapports de pouvoir ; mais le cadre ou les chefs de service ne
détiennent pas le pouvoir, ils n'ont qu'une délégation
d'autorité. Leurs rapports avec leurs subordonnés sont
définis de plus en plus strictement à l'intérieur de
normes et de règles. Et ce qui nous intéresse chez Dahrendorf,
c'est quand il affirme que plus l'autorité est impersonnelle,
s'applique à des rôles et non à des personnes, moins elle
entraine de conflits.
En substance, tous ces écrits mettent en relief le
caractère immanquable du conflit dans la société et ses
impacts sur l'acteur social. Et la politique de décentralisation, en
tant que système qui met en interaction plusieurs acteurs, ne fait pas
exception à cette constante sociologique. Ainsi, la mise en pratique de
la décentralisation connait de nombreux conflits qui la minent.
Dès lors, il importe pour nous d'analyser ces conflits. A la suite de
ces différents écrits, nous nous inscrivons dans la perspective
durkheimienne de la sociologie criminelle. Notre position théorique le
mentionne plus clairement.
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