Paragraphe II : du point de vue des organisations de la
société civile
Du point de vue des acteurs de la société
civile, l'entrée du Burkina Faso dans les biotechnologies modernes est
hasardeuse. Les dispositions sécuritaires n'étaient pas
réunies et la population n'a pas été
préparée à l'avènement de cette technologie. Cela
dénote une non application ou une mauvaise application du principe de
précaution. Pourtant ce principe doit recevoir ici une
application rigoureuse à un double titre. Ce principe constitue un droit
fondamental de l'homme (B) et son application est d'autant plus importante que
les perceptions des risques biotechnologiques sont inquiétantes (A).
A) Perception sur les risques
biotechnologiques
Les perceptions des acteurs tels que les producteurs et les
organisations de la société civile sur les risques des
biotechnologies peuvent être classées en cinq groupes73
:
- les risques socio-économiques,
- les contraintes règlementaires, politiques et
stratégiques,
- les risques environnementaux,
- les risques relatifs à la santé humaine ainsi
que
- les considérations éthiques
Au niveau socio-économique, les risques sont liés
à l'accès des producteurs aux semences. Les semences ne sont pas
réutilisables, alors que leur coût d'achat au près des
firmes étrangères reste élevé. Cela ne permet pas
à tous les producteurs de payer ces semences à chaque campagne
agricole. Notons que la majorité des producteurs du Burkina Faso ne font
que des exploitations familiales et que les exploitations familiales sont le
socle de la sécurité alimentaire74 dans la mesure
où ces exploitants familiaux ne produisent que des
céréales.
73 Secrétariat du Club du Sahel et de l'Afrique
de l'Ouest (CSAO/OCDE), biotechnologie agricole et transformation de
l'agriculture ouest-africaine : synthèse de la consultation
régionale des acteurs ouest-africains, septembre 2006.
74 3D--Trade-Human Rights-Equitable Economy, rapport
soumis au comité des droits de l'enfant, 53e groupe de
travail de presession, octobre 2009.
Application du droit international au plan interne : examen de la
mise en ~uvre du principe de précaution au BURKINA FASO.
Au niveau règlementaire, politique et stratégique,
les risques sont de deux ordres. Il y a d'une part, les risques liés aux
enjeux du commerce dans la mesure oüse pose des
problèmes de droit de brevetabilité, ce qui risque fort de mettre
en
marge les acteurs locaux. D'autre part, il y a l'épineuse
question de l'effectivité de l'encadrement juridique et
institutionnel.
Au niveau environnemental, la contamination
génétique par transfert de gènes modifiés vers des
souches primaires locales, constitue une des principales craintes. Tirant les
leçons des exemples concrets de contamination observées dans
d'autres continents, les acteurs redoutent fortement une perte de la
biodiversité, mais surtout une désorganisation de
l'écosystème et la disparition à terme du patrimoine
génétique locale. Aussi le transfert de gènes de
résistance à certains insectes au niveau des plantes peut aussi
constituer un danger pour d'autres insectes utiles non visés, dont leur
destruction entraînerait un déséquilibre écologique.
C'est notamment le cas des abeilles dont le rôle pollinisateur est
essentiel pour la reproduction de nombreuses espèces
végétales.
Au niveau de la santé humaine, les supputations sont
relatives aux risques de maladies cancérigènes à long
terme. Aussi des inquiétudes existent relativement aux risques pour les
consommateurs de développer des résistances aux antibiotiques
surtout dans un pays comme le Burkina Faso où ces médicaments
sont très utilisés notamment dans le traitement du paludisme.
Au niveau de l'éthique, les préoccupations des
acteurs sont relatives à la possibilité de transfert de
gènes entre espèces animales, végétales et
humaines. Ces considérations sont pour la plus part basées sur
les religions.
D'une façon générale, les biotechnologies
suscitent beaucoup de questions qui n'ont pas toujours de réponses
adéquates75. Ces questions en suspens renforcent la
conviction des acteurs de la société civile de
l'impérieuse nécessité d'appliquer le principe de
précaution, considéré par eux comme un droit de l'homme,
dans les biotechnologies.
75 Exemples de quelques questions en suspens : quel
est le niveau d'engagement du Burkina Faso pour assurer sa souveraineté
nationale en termes de capacités scientifiques en biotechnologies ? N
n'y a-t-il pas de risques de disparitions des exploitants familiaux ? Comment
le Burkina Faso compte gérer le problème de droit de
propriété intellectuelle ? Etc.
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DICE Limoges 2010
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mise en ~uvre du principe de précaution au BURKINA FASO.
B) Principe de précaution, un droit fondamental de
l'homme en matière de biotechnologies modernes
Pour les détracteurs des biotechnologies modernes, cette
technologie constitue une forme de colonisation. Une colonisation scientifique
et culturelle. Pour eux, le niveau de développement du Burkina Faso ne
lui permet pas d'être autonome dans la maîtrise de cette
technologie et même s'il en avait les capacités techniques, les
conventions avec les firmes étrangères de promotion des
biotechnologies modernes l'en empêcherait. Le pays doit constamment se
faire assister par les dépositaires de cette technologie, ce qui limite
sa capacité d'opérer des choix libres. Aussi, ces
biotechnologies, constituent une forme de colonisation
culturelle car elles poussent les paysans à abandonner
leur méthode culturale pour essayer de s'approprier des techniques qui
leurs sont complètement étrangères. Or les techniques de
ces firmes sont complexes et doivent être appliquées de
façon stricte pour assurer un bon rendement. Cela parait difficile
compte tenu du taux élevé de l'analphabétisme au sein des
producteurs. En plus des difficultés liées à la
maîtrise des techniques de production, il faut ajouter la
dépendance du pays vis-à-vis des firmes industrielles dans
l'acquisition des semences.
Ce tableau très peu reluisant quant à l'avenir de
l'agriculture burkinabè, ajouté aux incertitudes quant à
l'innocuité des biotechnologies modernes et l'ensemble de ses produits
dérivés sur la santé humaine et sur l'environnement,
affirment avec force la nécessité d'une protection de la
population à travers des mesures de précaution. La constitution
du Burkina Faso énonce la nécessité de protéger
l'environnement et la santé des populations. De même plusieurs
textes, nationaux et internationaux en vigueur au Burkina Faso, font
état du lien entre développement durable et protection de
l'environnement. Le principe de précaution, consacré aussi bien
par les dispositions internes que celles internationales, offre cette
protection fonctionnelle de l'environnement sans compromettre les efforts de
développement. Ce principe protège les intérêts des
Etats pauvres notamment par le renversement partiel de la preuve, mais
également permet d'instaurer à l'intérieur des Etats une
démocratie participative assez dynamique.
Pour les détracteurs des OGM, ce principe est une
nécessité, un droit fondamental dont la mise en cuvre ne doit
être conditionnée ou opposé à de
Application du droit international au plan interne : examen de la
mise en ~uvre du principe de précaution au BURKINA FASO.
quelconques velléités de développement.
On ne peut, au nom du développement mettre en péril la
santé humaine et la diversité biologique. Cette position a
été défendue par le professeur Jean Didier Zongo,
président de la coalition de veille face aux OGM, lors d'une sortie
médiatique contre la décision du gouvernement d'autoriser la
production à grande échelle du coton
transgénique76. Pour lui, la décision gouvernementale
viole les lois en matière de biosécurité et il convient de
tirer une sonnette d'alarme pour amener la population à prendre ses
responsabilités et exiger le respect des droits conférés
par les textes légaux.
Pour les acteurs de la société civile, il est
claire que le principe de précaution est le principe qui peut le mieux
protéger la population contre les effets néfastes des
biotechnologies modernes en général et les OGM en particulier.
76 Journal l'opinion n° 472 du 25 au 31 octobre
2006.
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