Chapitre II : exemple illustratif de l'application du
principe de précaution : les biotechnologies modernes au BURKINA
FASO
Le Burkina Faso est un pays essentiellement agricole où
environ 85% de la population tirent ses moyens de subsistance de l'exploitation
de la terre et des autres ressources naturelles. L'agriculture est le moteur de
l'économie en contribuant pour 35,4% au produit national brut (PNB). Le
pays a donc opté d'améliorer la production agricole en entrant
dans les biotechnologies modernes.
Le Burkina Faso utilise trois générations de
biotechnologies58 avec une importance marquée pour les
biotechnologies traditionnelles, reflétant ainsi le faible niveau de
maîtrise des biotechnologies modernes. Cependant depuis maintenant une
dizaine d'années, le pays a fait une entrée remarquable dans les
biotechnologies modernes notamment en matière agricole.
L'article 3,§1 du protocole de Cartagena sur la
prévention des risques biotechnologiques, définit les
biotechnologies modernes comme étant « ...de l'application de
techniques in vitro aux acides nucléiques y compris la recombinaison de
l'acide désoxyribonucléique (ADN) et l'introduction directe
d'acides nucléiques dans des cellules ou organites (ainsi que) la fusion
cellulaire d'organismes n'appartenant pas à une mrme famille
taxonomiquekqui surmontent les barrières naturelles de la physiologie de
la reproduction et la sélection de type classique ». les
biotechnologies sont également définies comme «
l'application de techniques de recombinaison de l'acide nucléique et la
fusion cellulaire in vitro qui franchissent les barrières physiologiques
naturelles de la reproduction ou de la recombinaison, autrement que par la
reproduction et la sélection naturelles ». Les biotechnologies
modernes constituent pour le Burkina Faso, un progrès incontestable, un
immense espoir au regard de leurs nombreuses applications. Mais elles peuvent
constituer une menace sérieuse pour la santé humaine,
l'environnement et en particulier la diversité biologique, si leurs
effets ne sont pas bien maîtrisés. C'est pourquoi, un cri d'alarme
a été lancé par la communauté internationale
dès l'avènement des
58 Biotechnologies traditionnelles, biotechnologies
conventionnelles et biotechnologies modernes.
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biotechnologies modernes, invitant les Etats à mettre en
place une biosécurité pour la gestion des risques réels ou
potentiels susceptibles de survenir de par ces biotechnologies modernes.
Ces risques sont très souvent inconnus ou incertains au
regard des connaissances scientifiques et techniques. L'état des
connaissances scientifiques et techniques des Etats
sous-développés ne leur permet pas d'agir avec promptitude, de
quantifier le degré de gravité et la probabilité de
survenance des risques. C'est pourquoi, il a été
recommandé, l'utilisation du principe de précaution pour
anticiper sur les risques. Ce principe est contenu le droit interne
burkinabè de l'environnement ainsi que dans les instruments
internationaux ratifié par le pays comme la convention sur la
diversité biologique (RIO 1992) et son protocole additionnel sur la
prévention des risques biotechnologiques (Montréal, 29 janvier
2000). On remarque donc, avec l'avènement des biotechnologies modernes
au Burkina Faso, d'énormes préoccupations sur la
nécessité de préserver la diversité biologique et
la santé humaine. Est-ce à dire, que le Burkina Faso ne dispose
pas de l'encadrement juridique, institutionnel et technique suffisant pour une
saine application de ces technologies (section I) ? Le principe de
précaution a-t-il reçu application dans le contexte des
biotechnologies modernes au Burkina Faso ? Comment l'application du principe
est t'elle perçue aussi bien par le gouvernement que par les
organisations de la société civile (section II).
Section I : l'avènement des biotechnologies
modernes au Burkina Faso
Le Burkina Faso est entré dans les biotechnologies
modernes autour des années 2000, avec l'autorisation de
l'expérimentation du coton transgénique. L'Etat a conclue en
juillet 2003, une convention avec deux firmes américaines, Monsanto
(pour le coton Bt Bollgard II) et Syngenta (pour Vegetativ insecticidal
proteine coton)59. La signature de ces conventions a
constitué le point de départ de l'expérimentation du coton
transgénique pour une période de cinq (5) ans. Cette
expérimentation a débuté en milieu confiné dans
deux stations de l'Institut National
59 Institut du sahel. Etat des lieux de la
règlementation, des directives, de l'autorisation et de la circulation
des OGM dans le sahel, mai 2004, p. 10.
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de l'Environnement et de Recherche Agricole (INERA) que sont :
Faraoba, près de la ville de Bobo-Dioulasso et Kouaré,
près de la ville de Fada N'Gourma.
Cette technologie qui a attiré l'attention des
autorités burkinabè compte tenu des prévisions de
rendements plus élevés et de résistance à la
prédation, a néanmoins suscité dès son
entrée, des interrogations. Ces interrogations sont justifiées
d'une part, par l'absence ou l'insuffisance d'un cadre juridique (paragraphe I)
et d'autre part, par la non intégration de la population et des acteurs
de la société civile à la prise de la décision
d'autorisation des expérimentations (paragraphe II).
Paragraphe I : l'absence d'un cadre juridique et
institutionnel préalable
Le Burkina Faso est entré dans les biotechnologies
modernes pour trois raisons essentielles. Il y a tout d'abord le
récurrent problème de sécurité alimentaire compte
tenu des déficits constants de la production
céréalière nationale. On a ensuite, une forte tendance
à l'adoption de système moderne de production et enfin le
désir des autorités de ne pas rester en marge de la
mondialisation. Le Burkina Faso a donc opté de rendre compétitifs
les produits d'exportations pour ainsi pallier le déficit
céréalier. Cette noble idée s'est traduite par une
entrée hasardeuse dans les biotechnologies modernes en raison de
l'absence de cadre juridique préalable pour une meilleure application de
cette technologie (A) mais aussi, de l'absence d'institutions adéquates
pour la gestion des risques probables de ces biotechnologies (B).
A) L'absence de textes juridiques internes
L'introduction des biotechnologies et notamment du coton
transgénique s'est faite dans un contexte particulier, un contexte de
vide juridique. En effet, les autorisations d'expérimentation en milieu
confiné ont été accordées aux firmes
américaines sans que le Burkina Faso ne se dote d'un cadre juridique
national de prévention des risques biotechnologiques. Or, ce cadre est,
pour les principes internationaux et les conventions internationales en
matière de biotechnologies (d'ailleurs ratifiés par le Burkina
Faso), un préalable indispensable à toute
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introduction, utilisation et diffusion des biotechnologies. C'est
bien plus tard que se mettra en place le cadre juridique de la gestion des
biotechnologies au Burkina Faso.
Cette construction juridique a connu des insuffisances. La
première tentative d'encadrement juridique s'est opérée en
juin 2004 par l'adoption d'un décret portant sur les règles
nationales en matière de sécurité en
biotechnologie60. Ce décret a été adopté
à la veille de la conférence internationale sur les sciences et
les technologies tenue à Ouagadougou en juin 200461. Cette
conjugaison des dates laisse entrevoir donc une volonté des
autorités de prouver à la communauté internationale,
l'existence d'un cadre de gestion des biotechnologies au Burkina Faso. La
deuxième limite de ce décret liée à la valeur de la
forme juridique utilisée dans la hiérarchie des normes compte
tenu de l'importance de la question des biotechnologies. Du point de vue
politique et social, les organismes Génétiquement modifiés
(OGM) posent une cruciale question de choix de société en raison
de ses conséquences potentielles sur l'environnement, la santé
humaine et même la sécurité alimentaire. En bonne
démocratie, il appartient au peuple d'opérer de tel choix par une
loi à travers ses représentants qui siègent à
l'Assemblée Nationale (AN). D'ailleurs, la constitution du Burkina Faso
du 11 juin 1991, par son article 101 fait entrer la détermination des
principes fondamentaux de la protection de l'environnement, dans les
compétences du pouvoir législatif. La troisième limite de
ce cadre juridique est liée à la compétence même du
pouvoir règlementaire. Ce pouvoir ne peut édicter des sanctions
pourtant nécessaires pour assurer le respect des procédures
établies par le décret. De telles sanctions relèvent du
pouvoir législatif.
Les insuffisances de ce décret ont conduit à la
mise en place d'un véritable cadre juridique de gestion des risques
biotechnologies à travers l'adoption de la loi n° 005-2006/AN du 17
mars 2006 portant régime de sécurité en matière de
biotechnologie au Burkina Faso. Cette loi au champ d'application
vaste62, est venue combler le déficit juridique en
règlementant l'utilisation des biotechnologies pour ainsi
60 Décret n°
2004-262/PRES/PM/MECV/MAHRH/MS du 18 juin 2004 portant adoption de
règles nationales en matière de sécurité en
biotechnologie.
61 Conférence internationale sur «
l'exploitation de la science et de la technologie pour accroître la
productivité en Afrique : perspectives ouest africaines »
Ouagadougou, 21-23 juin 2004.
62 La loi couvre les produits issus des
biotechnologies modernes ainsi que, toutes les opérations ou utilisation
des OGM (mise au point, expérimentation, diffusion, stockage,
élimination, destruction, mouvements transfrontières et
transit.
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minimiser leur impact négatif
éventuel63. La loi soumet les opérations relatives aux
OGM, à une autorisation préalable mais également au
respect des mesures de biosécurité une fois l'autorisation
acquise. Elle institue également, une double responsabilité,
civile et pénale, pour ainsi contraindre à plus de respect des
mesures édictées. La loi de 2006 se présente comme une
réponse aux inquiétudes émises quant aux dangers
réels ou potentiels des biotechnologies au Burkina Faso. Cette loi est
l'une des rares, à prendre en compte le principe de précaution
explicitement64
« l'absence de connaissances scientifiques ne doit pas
être interprétée comme un indicateur de linexistence de
risque ». La loi impose une évaluation des risques pour toute
activité relative aux OGM pour identifier les risques probables et
évaluer les probabilités que ces risques se produisent. Aussi il
faut gérer les risques identifiés, analyser les coûts et
bénéfices liés aux risques identifiés en
considérant les alternatives à l'introduction des OGM. Cette
prise en considération du principe de précaution a conduit
à la mise en place des institutions de gestions des biotechnologies.
Au-delà de cette loi, d'autres textes juridiques viennent
compléter le dispositif national. Ce sont entre autres :
- La loi portant ratification du plan d'action mondiale sur les
ressources phytogénetiques pour l'alimentation et l'agriculture ;
- La loi de 2OO4, portant ratification des statuts de l'Agence
Africaine de Biotechnologies (AAB) ;
- La loi sur les semences (2005) ;
- Les conventions de recherche pour l'expérimentation du
coton Bt et Vip, signées avec MOSANTO et SYNGENTA en 2003 ;
- La loi sur les contaminations des champs etc.
B) L'absence d'institutions
adéquates
L'entrée du Burkina Faso dans l'ère des
biotechnologies modernes s'est opérée en l'absence d'un cadre
scientifique et technique adéquat65.
63 Garané. A et Zakané. V, droit de
l'environnement burkinabè, précité, p.152.
64 Voir articles 15-16 de la loi de 2006
65 Garané. A et Zakané. V, droit de
l'environnement burkinabè, précité, p.150
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Cette absence d'organes spécialisés dans le domaine
des biotechnologies n'occulte pas l'existence dans le pays de nombreux cadres
de recherches scientifiques. En effet, depuis longtemps le Burkina Faso s'est
inscrit dans une dynamique de programme action dans ses politiques de
développement endogène. De nombreux laboratoires sont mis en
place ainsi que des centres de recherche comme le CNRST et l'INERA. Ce dernier
institut a d'ailleurs beaucoup contribué à l'application des
biotechnologies conventionnelles à travers le système de
l'amélioration des semences et des embryons. Il a aussi servi de cadre
de lancement des biotechnologies modernes car c'est sur deux de ses stations
que cette expérimentation a débuté. Mais, malgré
l'existence de nombreux laboratoire travaillant dans le domaine des
technologies, force est de reconnaitre qu'il ressort d'une évaluation de
l'état des lieux en 2004 que « la capacité en
biotechnologie du Burkina Faso reste globalement faible en raison de l'absence
d'activités de recherches susceptibles de rendre opérationnel le
personnel »66. Cette lacune institutionnelle constitue une
grosse faiblesse dans l'application des biotechnologies dans la mesure
où cette technologie nécessite de grandes capacités
scientifiques. L'évaluation des risques potentiels avérés
et ceux non avérés, l'étude comparative des rapports
coûts/avantages, doivent être une routine dans l'utilisation des
biotechnologies modernes, pour impulser un développement propre,
respectueuse des valeurs sociales des populations et prenant en compte la
conservation de la diversité biologique et la protection de la
santé humaine.
Cependant, avec l'avènement de la loi de 2006 portant
régime de sécurité en matière de biotechnologie au
Burkina Faso, le déficit institutionnel a quelque peu été
corrigé. En effet, le décret a consacré la création
de plusieurs organes en matière de sécurité en
biotechnologie. Conformément à l'article 19 du protocole de
Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, la loi a mis
en place un cadre institutionnel avec un organe délibérant
à savoir l'Agence Nationale de Biosécurité (ANB). Cet
organe fait office d'autorité compétente en matière de
biosécurité. Il collabore avec des organes consultatifs à
savoir ; l'Observatoire National de
66 Institut du sahel. Etat des lieux de la
règlementation, des directives, de l'autorisation et de la circulation
des OGM dans le Sahel, mai 2004, p.13.
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mise en ~uvre du principe de précaution au BURKINA FASO.
Biosécurité (ONB) chargé de la veille et de
l'éducation en matière de biosécurité67
; le Comité Scientifique National de Biosécurité (CSNB)
chargé de l'évaluation des risques et enfin le Comité
Scientifique Interne de Biosécurité (CSIB) institué au
sein des départements ministériels concernés par la
question.
Il y a donc à partir de la loi de 2006, une floraison
d'institutions à telle enseigne que la question de leur
effectivité se fait de plus en plus présente. Cette loi corrige
également les errements législatifs des années 2003-2004,
ce qui laisse croire à l'application de procédures plus
démocratiques que par le passé.
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