CONCLUSION GENERALE
Le moment le plus difficile de la rédaction d'un
travail scientifique est sans conteste celui où le chercheur est
appelé à conclure.
En effet, comment simplifier sans dépouiller ?
Comment amoindrir sans déformer ? Comment tout exprimer sans tout
dire ?
Conscient des enjeux ci - haut, notre tâche a
été donc à ce niveau de conclure sans céder
à l'horrible tentation de vouloir tout dire.
Aussi, la présente conclusion se veut-elle simple et
concise. Elle reposera le problème ayant fait l'objet de notre
recherche, survolera les analyses exposées tout le long de ce
mémoire, rappellera le sort des hypothèses formulées
à l'introduction avant d'ouvrir les horizons aux chercheurs
ultérieures que la question intéressera.
Nous sommes parti d'un constat déplorable. Le
débat autour du projet ``Etats-Unis d'Afrique'' a, durant quasiment un
siècle, été dépourvu de dimension
stratégique. Il s'engouffrait dans une tergiversation scolastique entre
les maximalistes.
Pour sortir de ce cercle vicieux, nous avons proposé un
nouveau paradigme plus stratégique : le néo panafricanisme.
Ce recadrage du débat nous a permis de nous évader de la vieille
querelle panafricaniste et de poser des questions pratiques.
Nous nous sommes demandé comment les africains
devaient-ils procéder in concreto afin de réaliser les
Etats-Unis d'Afrique.
A ce questionnement, nous avons formulé deux
hypothèses que nous avons vérifié respectivement dans
chacune des parties du présent mémoire en ayant recours à
la méthode juridique successivement dans ses approches prospective
tendant vers l'élaboration d'un droit nouveau et
exégétique fondée sur un raisonnement de lege
ferenda et une véritable critique législative.
D'après la première hypothèse, la mise en
place d'un Etat panafricain serait la stratégie la mieux adaptée
à la construction des Etats-Unis d'Afrique.
La vérification de cette hypothèse a
appelé une question préalable à savoir : Quel genre
d'Etat les africains peuvent-ils mettre en place qui puisse rencontrer la
nature pluri - identitaire du continent ?
En réponse à cette question préalable,
nous avons proposé le dépassement de l'illusion et l'Etat nation
véhiculé par l'occident et l'investissement dans l'Etat -
multinational fondé sur une logique de segmentation
hérité des sociétés africaines pré -
coloniales.
Après avoir vidé cette question
préalable, nous avons mis à l'épreuve notre
première hypothèse de recherche en la plaçant face aux
enjeux de la construction de l'Etat multinational en Afrique.
A ce niveau, les questions de la succession d'Etats, de la
résistance des souverainetés au supra étatisme et de la
fragilité des Etats post coloniaux nous ont révélé
le caractère aléatoire d'une telle entreprise.
Ce dénouement nous a amené à falsifier
notre première hypothèse.
En effet, à l'issue de nos analyses, l'Etat
multinational, quoi qu'apparaissant idéalement comme le modèle -
type d'organisation politique susceptible de contenir le caractère pluri
identitaire de l'Afrique n'est pas opérationnalisable au stade actuel et
ne doit pas se décréter sans se construire.
D'après notre seconde hypothèse, en vue de
réaliser les Etats-Unis d'Afrique, la stratégie la mieux
indiquée serait la rénovation de la gouvernance régionale
de type Union Africaine.
Afin de vérifier cette hypothèse, il nous a
fallu proposer des innovations à apporter au cadre de fonctionnement de
l'Union Africaine. Pour ce faire, une question préalable s'est
posée une fois de plus. Celle de savoir quels sont à l'heure
actuelle les éléments dysfonctionnels de l'Union Africaine sous
forme de variables structurelles.
Nous avons décelé la marginalisation et la
subordination de la commission au profit des organes représentatifs des
Etats-membres, la monstruosité juridique du parlement panafricain ainsi
que la virtualité de certains organes prévus par l'Acte
constitutif mais inopérationnels jusqu'à ces jours.
Ainsi, avons-nous constaté, ce n'est qu'en agissant sur
ces variables à travers le rééquilibrage des pouvoirs au
profit de la commission, la rationalisation du parlement panafricain et la
concrétisation des organes techniques spécialisés que l'on
pourra réussir à rénover l'Union Africaine et à
faire d'elle une préfiguration des Etats-Unis d'Afrique.
Sans nous écarter de la vision stratégique de
l'Unité d'Afrique prônée par le néo panafricanisme,
nous avons ici aussi étudié les enjeux de la rénovation de
l'Union Africaine et déterminé les conditions dans lesquelles le
plan d'Addis-Abeba qui prévoit la création d'une
``Autorité'' de l'Union d'ici 2012 pourra se réaliser dans la
perspective des Etats-Unis d'Afrique.
Nous avons découvert à l'issue des analyses
ci-dessus que la rénovation de l'Union Africaine était une
tâche opérationnalisable à court terme, qu'elle avait une
base juridique dans l'Acte constitutif de l'Union et qu'elle pouvait tendre
vers la réalisation des Etats-Unis d'Afrique.
Ceci nous a amené à corroborer notre seconde
hypothèse d'après laquelle la rénovation de la gouvernance
régionale serait une stratégie appropriée pouvant
réaliser à long- terme les Etats-Unis d'Afrique.
Au dénouement du présent mémoire, nous
avons face à nous des résultats épars qui semblent avoir
un certain nombre de rapports entre eux et desquels il ressort une certaine
cohérence dont nous ne soupçonnions pas l'existence lorsque nous
formulions nos hypothèses de recherche.
Examinons cela de plus près :
Si l'hypothèse de l'Etat a été
falsifiée c'est à cause du fait que l'Etat multinational, bien
qu'apparaissant comme modèle-type de réinvention de
l'Unité Africaine, son opérationnalisation a soulevé
quelques problèmes délicats et a paru quelque peu
aléatoire à l'heure actuelle.
Cependant, les vertus de la rénovation de l'Union
Africaine font d'elle un moyen de renforcement de la cohésion des Etats
africains et non une fin en soi. Non seulement une telle rénovation
pourra dévoiler aux Etats africains les avantages de la gestion commune
d'une part des souverainetés mais aussi, elle atténuait les
effets de la fragilité des Etats africains en les revigorant et à
travers la coopération dans le domaine de la recherche scientifique, en
laissant à l'intelligentsia un temps et une opportunité pour que
celle-ci travaille sur la question.
Remarquez donc que les effets escomptés de la
rénovation de l'Union Africaine résolvent des préalables
qui font défaut à l'opérationnalisation de l'Etat
multinational. Il faut rappeler ici que la pertinence de ce dernier et son
adéquation à l'Afrique n'ont pas été remises en
cause. Seule son opérationnalisation a posé problème.
Une telle opérationnalisation, nous l'avons
démontré, ne réussirait qu'après que les
intellectuels aient eu le temps et les moyens de bien cerner tous les contours
de la multinationalité afin de la dépouiller de tous les
inconnus ; et après que les Etats africains soient devenus moins
fragiles.
L'Union faisant la force, la gouvernance régionale
rénovée et empreinte de bonne gouvernance pourrait vider les
préalables ci-dessus en renforçant les actions communautaires
dans les domaines tels que la défense, l'industrie, la santé et
la recherche par exemple.
Ceci ouvre la voie à une nouvelle hypothèse que
nous laissons à la merci des générations
postérieures. Il pourrait se trouver parmi nos lecteurs, des chercheurs
passionnés qui pourront éventuellement étudier les
rapports entre nos deux hypothèses. Ils pourront se poser des questions
du genre :
« Dans quelles conditions la rénovation de la
gouvernance régionale de type Union Africaine pourra-t-elle mettre en
place à long terme un environnement sur lequel pourrait se bâtir
aisément l'Etat multinational africain ? »
En d'autres termes, ils se demanderont dans quelles mesures la
rénovation de la gouvernance régionale et la mise en place de
l'Etat multinational en Afrique pourraient constituer respectivement un moyen
et une fin.
En sus, la myopie intellectuelle ayant été
brisée par ce travail qui ouvre simultanément plusieurs questions
stratégiques autour de l'idée Etats-Unis d'Afrique, l'afro
pessimisme devient donc injustifié.
Nous pensons sincèrement avoir donné du grain
à moudre aux politiques et aux intellectuels du continent en nourrissant
un vieux débat qui, puisqu'il revêt une dimension
stratégique, renaît des ses cendres et cherche à s'adapter
aux airs du temps actuel.
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