Les contraintes de l'action humanitaire dans les situations de conflits armés: cas de la Côte d'Ivoire( Télécharger le fichier original )par Trazié Gabriel LOROUX BI Université de Cocody- Abidjan - Diplôme d'études supérieures spécialisées en droits de l'homme 2006 |
Paragraphe 2 : Les opérations de maintien de la paix et ONGhumanitaires : cohabitation difficileLes rapports entre Opérations de Maintien de la Paix et ONG humanitaires sont à l'image de ceux qui les animent conformément aux intérêts et buts à servir. Ces rapports qui s'analysent en une confusion des rôles (A), font certainement jaillir une image ternie de l'action humanitaire du fait de l'impact des actions des militaires sur l'humanitaire (B) A : Le chevauchement des opérations de maintien dela paix et ONG humanitairesL'opération de maintien de la paix est une activité qui consiste à modérer, à donner une chance à la paix, à réduire l'intensité des impacts d'un conflit par une tierce partie qui s'impose militairement entre les belligérants, soit de par leurs volontés soit sans leurs accords, c'est le cas de l'ONU CI. L'opération de maintien de la paix n'a pas été prévue par la Charte des Nations unies. C'est par interprétation de la Charte que ces opérations ont trouvé leur place, au point qu'aujourd'hui la doctrine reste partagée quant à leur fondement. Pour certains, elles sont placées sous le signe du chapitre VII186(*), pour d'autres le chapitre VI187(*). C'est une opération qui est apparue comme un mécanisme ad hoc créé par le Conseil de Sécurité pour répondre aux situations pour lesquelles les méthodes pacifiques de règlement des différends ont échoué sans qu'il soit possible de faire intervenir le chapitre VII avec l'usage de la force. C'est une opération qui est caractérisée par la neutralité. Ce caractère a exigé la mise à part des grandes nations et faire la part belle aux nations moins puissantes pour ce qui est des contingents militaires188(*). Le maintien de la paix n'est pas l'apanage du Conseil de Sécurité des Nations unies. Dès qu'une organisation est dûment constituée et bénéficie de la neutralité, elle est apte à le faire. Les grandes puissances le font également. C'est le cas de la France en Côte d'Ivoire par le biais de l'opération Licorne aux premières heures de la crise à la demande du chef de l'Etat avant de passer sous mandat onusien. Cependant depuis la fin de la guerre froide, l'action humanitaire a connu une double évolution. D'une part, elle se déploie sur des terrains restés jusqu'alors fermés à toute intervention extérieure, c'est-à-dire celui de l'Etat et d'autre part les militaires font leur entrée sur cette scène en tant que acteur. Cette nouvelle donne survient à une période où les ONG se voient reconnaître une place sur la scène internationale, naguère territoire exclusif des Etats. La scène humanitaire devenue exiguë, les différentes intentions, intérêts et objectifs qui guident chaque acteur humanitaire, crée une situation presque invivable qui retentit sur la qualité des actions sur le terrain. Certains humanitaires (ONG) s'offusquent de la présence des militaires sur leur terrain. Pour elles, la vocation première des militaires reste la défense de l'Etat et non l'intérêt vital des victimes. Pour MSF (Médecin Sans Frontière), le militaire devrait être le moyen permettant d'atteindre les objectifs humanitaires et non des concurrents sur le terrain. Pour répondre à la question de savoir si les armés risquent de devenir de vrais concurrents sur le marché ? Jean Christophe Rufin189(*) ancien vice président de MSF, pense que les armées par définition disposent des ressources de l'Etat, alors que les ONG en grande partie comptent sur des ressources privées. Ce qui pose problème c'est surtout la différence de mandat et de tradition. Les ONG sont liées par la neutralité et l'indépendance grâce auxquelles elles peuvent atteindre les victimes. Ce que les militaires n'ont pas. Ce faisant, ce chevauchement des acteurs crée une antipathie naturelle entre militaires et ONG. C'est le cas avec MSF depuis le Biafra jusqu'en Côte d'Ivoire. Ces rapports empreints de conflictualité, exigent des ONG de parvenir à une redéfinition explicite des rôles, et ce dans un contexte de « dérive de l'humanitaire provoquée par la grande confusion des opérations militaro-humanitaires de cette dernière décennie »190(*). Le chevauchement des acteurs humanitaires tend à compromettre la qualité de leurs actions. La crainte de l'assimilation de l'humanitaire au militaire est un aspect très récurrent dans les réserves évoquées à une coopération entre ONG et Service de Santé des Armées (SSA). L'image la plus éloquente de confusion reste celle que MSF diffuse partout pour illustrer la qualité de leur rapport : « l'aide humanitaire, ce n'est pas les soldats américains, au Kurdistan, avec le flingue d'un côté et le stéthoscope de l'autre. Il faut caractériser ces opérations pour éviter que, par défaut, on les catalogue d'humanitaires, pour ne pas confondre blouse blanche et uniforme »191(*) . Si les ONG sont tant réticentes à une quelconque coopération, c'est parce que la bévue des militaires retentit sur elles et compromet leurs actions. C'est du moins ce qui a été constaté après les évènements de novembre 2004 et de janvier 2006 auxquels il faut ajouter les pillages de la BECEAO et les cas de viols à Bouaké pour lesquels le contingent marocain de l'ONU CI a été mis en examen en juillet 2007.
* 186 Le chapitre VII de la Carte des Nations unies est relatif au règlement pacifique des différends actions en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression * 187 Chapitre VI - Règlement pacifique des différends. Ces deux chapitres sont les attributions du Conseil de sécurité. * 188 C'est le cas du contingent BANBAT en Côte d' Ivoire, fourni le Bengladesh * 189 Son analyse est tirée de, Militaires - Humanitaires, à chacun son rôle. Paris : complexe, 2002 (les livres du GRIP) * 190 Jean-Luc Bodin, « Humanitaire : une valeur à la hausse ou à la baisse ? », Action Contre la Faim le journal, octobre 1999, no 6, p. 1. * 191 Rony Brauman, cité par Isabelle Célerier, Les Médecins humanitaires, Hachette, Paris, 1995, p. 45. |
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