Les contraintes de l'action humanitaire dans les situations de conflits armés: cas de la Côte d'Ivoire( Télécharger le fichier original )par Trazié Gabriel LOROUX BI Université de Cocody- Abidjan - Diplôme d'études supérieures spécialisées en droits de l'homme 2006 |
B : L'analphabétisme et la faiblesse du recours à lajustice par la populationLes Africains en général et en particulier les Ivoiriens, dans leur majorité sont indifférents voire hostiles à la justice étatique. Cela est peut être dû au fort taux d'analphabétisme60(*) en Côte d'Ivoire qui contraint la population à se réfugier dans sa culture61(*). La culture Africaine de « l'arbre à palabre » permet à l'Ivoirien de régler ses problèmes avec compromis de sorte que la grande famille Africaine continue de resserrer d'avantage ses liens. L'ivoirien préfère la voie négociée sur la base de l'équité et de justice plutôt que de subir la rigueur de la loi62(*). Ce refus « d'abandon » de la culture a plutôt compliqué la tache de l'Etat dans la mesure où tous les efforts dans le sens du rapprochement de la justice des justiciables se sont soldés par un échec. Ce constat d'échec trouve explication dans le fait que l'Africain ne se retrouve pas dans les institutions importées de l'occident, surtout les démêlés avec la justice qui signifient pour l'Africain un déshonneur qui affecte la dignité de l'Homme Noire. Le juge Kéba M'Baye s'en est fait largement écho quand il exprime la pensée du Sénégalais en ces termes « La fierté du paysan sénégalais est de dire : je n'ai jamais mis les pieds dans un tribunal ou commissariat de police »63(*) ; il en est de même pour l'Ivoirien. Côtoyer la justice est autant déshonorant pour l'Africain qu'il a même l'impression d'être contre l'autorité, vice versa. Ce qui est fort inconcevable. En effet, le justiciable Africain comme Ivoirien évite d'attaquer en justice la décision de l'administration dans la mesure ou cela est interprété comme s'attaquer à l'autorité en question (Président de République ou autres autorités administratives). Au delà de la peur naturelle et culturelle de la justice, un facteur non moins signifiant a plutôt creusé l'écart entre les justiciables et la justice. En effet la politisation de la justice a été le catalyseur de cette friction. Les actes des hautes autorités politiques ont terni l'image de marque de la justice de sorte que les justiciables s'en sont détournés au profit des compromis. Ainsi dans l'affaire Gnadré Téti et autres, le Président de la République feu Félix Houphouët Boigny a « invalidé en dernier ressort » l'arrêt de la Cour Suprême en ces termes : « ... j'ai décidé de limiter les effets de la Cour Suprême...aux seuls candidats admis...sont autorisés à prêter serment et renvoyés à l'exercice de la profession d'avocat, dès la prochaine rentrée judiciaire 1985-1986, après réception de la présente lettre »64(*) . Cette décision a révélé que nos autorités politiques notamment le Président de la République se croit au dessus de la loi et mélange politique et justice. Ainsi il est à conclure qu'en Côte d'Ivoire, la proportion de la population qui a véritablement accès à la justice est très faible, en raison de l'ignorance des procédures à suivre, de l'éloignement géographique des tribunaux et encore et surtout du manque de moyens financiers. L'assistance judiciaire, prévue par la loi, n'est pratiquement jamais utilisée par les justiciables et est méconnue de la plupart des justiciables65(*). Pour ceux qui choisissent d'y recourir, la lourdeur et la complexité de la procédure sont dissuasives. Le recours aux avocats est rare à cause du coût élevé des honoraires, des frais et de la concentration de la justice à Abidjan. Cette forte ignorance de la population doublée de la politisation de la justice a conduit à instaurer l'impunité au plus haut sommet de la justice et même à la généraliser. * 60 La conférence générale de l'UNESCO réunie en 1958, définie l'analphabète comme une personne incapable de lire et écrire en le comprenant un exposé simple et bref des faits en rapport avec sa vie quotidienne. Pour l'auteur, le taux d'analphabétisme chez les adultes était de 96% en 1962, de 89% en 1970, il atteint actuellement les 51,4%.Mais le contenu de cette notion a évolué, elle désigne tout individu «incapable d'exercer toutes les, activités pour lesquelles l'alphabétisation est nécessaire au bon fonctionnement de son groupe et de sa communauté et aussi pour lui permettre de continuer à lire, écrire et calculer, en vue de son propre développement et de celui de sa communauté». * 61 TANO Yolande, «l'inaptitude juridique de l'analphabète» in Studi Giuridici italo-ivoriani, Atti del convegno Macerata 21-23 marzo 1991, Milano Dott A. Giuffrè editore, 1992 p 253. Le système juridique moderne est fondée sur l'écrit... il est évident que l'analphabète est désavantagé en raison de son état. Se sentant inapte à la chose de droit, il préfère se détourner de la justice moderne au profit de celle villageoise. * 62 DEGNI-SEGUI R op cit p148 * 63 Kéba M'Baye, Le droit en déroute, liberté et ordre social, ED. de la Balonière, 1969, p90 * 64 Arrêt de la Cour Suprême de Côte d'Ivoire, Chambre Administrative du 8 février 1985 : annulation des résultats de l'examen du Certificat d'Aptitude à la Profession d'Avocat et la lettre administrative du Président de la République aux Garde des Sceaux Ministre de la Justice le 18 septembre 1985 (lettre n°662/PR/CAB) * 65 Rapport des Nations Unies sur le système judiciaire en Côte d'Ivoire 28 juin 2007 |
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