Les contraintes de l'action humanitaire dans les situations de conflits armés: cas de la Côte d'Ivoire( Télécharger le fichier original )par Trazié Gabriel LOROUX BI Université de Cocody- Abidjan - Diplôme d'études supérieures spécialisées en droits de l'homme 2006 |
Section 2 : Une incorporation lacunaire des normes internationalesdans l'ordre juridique ivoirienLes instruments textuels qui présentent des lacunes d'incorporation sont aussi nombreux que diversifiés. Toujours est-il qu'ils sont portés par le droit positif, c'est à dire le « droit applicable à la société ivoirienne » . L'incorporation incomplète et imparfaite du DIH résulte, d'une part, de la contrariété de certaines dispositions constitutionnelles avec les exigences du DIH (paragraphe 1) et d'autre part, de la contrariété de certaines dispositions législatives et réglementaires avec les exigences du DIH (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La contrariété des normes constitutionnelles avecles exigences du DIHLes contrariétés des normes constitutionnelles avec les exigences du DIH sont à double niveau. Il s'agit d'une part de relever ses incompatibilités avec le statut de la Cour Pénal Internationale(A), ce qui nous permettra de mieux apprecier la timidité de la constitution vis à vis des exigences du DIH(B). A: La contrariété de la Constitution avec le statut deRomeBien que n'ayant pas encore ratifié le statut de la Cour pénale internationale, la Côte d'Ivoire par le biais de son Président de la République a pris un acte de reconnaissance48(*) de la compétence de la CPI conformément à l'article 12 - 3 du statut de Rome. Cependant, cette déclaration ne vaut pas ratification du statut et vise des faits commis antérieurement à son dépôt. Néanmoins la constitution du 1er août 2000 en ses articles 68, 93, 109, 110, 117 et 132 prend manifestement le contre-pied des principes définis par le statut de la CPI. Le statut de Rome49(*) en son article 27 ne fait pas de distinction ; il ne tient pas compte de la qualité officielle des personnalités de l'Etat50(*). En effet, l'article 132 de la constitution accorde aux membres du Comité National de Salut Public(CNSP)51(*) une immunité contraire à toute répression des infractions aux droits de l'Homme commises lors des événements ayant entraînés le changement de régime intervenu le 24 Décembre 1999. Il en est de même des articles 68, 93, 109, 117 qui accordent respectivement une immunité totale aux députés, aux membres du Conseil Constitutionnel, au Chef de l'Etat, au médiateur de République pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions. Par ces articles, selon madame Kouablé Gueu Clarisse52(*), il est question de protéger la charge publique confiée à ces personnalités. Ces articles sont contraires au défaut de pertinence liée à la qualité officielle des autorités étatiques, règle essentielle du DIH énoncée par l'article 27 du statut de la CPI, parce qu'ils prévoient des immunités de poursuite accordées à certaines personnalités de l'Etat en leur garantissant une protection contre toute poursuite judiciaire, toute procédure d'accusation et de jugement spécial. La responsabilité politique, qui selon le doyen MELEDJE, signifie « l'obligation du titulaire d'un mandat politique de répondre de son exercice (actes, paroles, écrits) devant celui ou ceux de qui il le tient ; ce qui emporte l'obligation pour le gouvernant de quitter le pouvoir, s'il n'a plus la confiance de celui de qui il exerce53(*) », a toujours manqué à la Côte d'Ivoire au point ou tout est permis, même l'inadmissible est consigné dans la norme suprême ( art 132). La qualité officielle de l'auteur des infractions au DIH (chef d'Etat ou de gouvernement, membres de gouvernement ou du parlement54(*), de représentant élu ou d'agent d'un Etat) ne saurait faire en principe faire disparaître sa responsabilité comme semble insinuer ces articles de la constitution. D'ailleurs, cette qualité officielle ne saurait à aucun moment être un obstacle à l'exercice de la compétence de la Cour. La convention de Vienne sur le droit des traités en son article 60 est plus explicite. La convention prescrit que l'extinction d'un traité ou la suspension de son application, tiré de l'exeptio non adempleti contractus énoncé par « les paragraphes 1 à 3 ne s'applique pas aux dispositions relatives à la protection de la personne humaine contenues dans les traités de caractère humanitaire, notamment aux dispositions excluant toute forme de représailles à l'égard des ces personnes protégées par les dits traités ». Après la décision du conseil constitutionnel sur la compatibilité entre le statut de la Cour pénale internationale et la constitution ivoirienne55(*), une révision constitutionnelle respectant la procédure prévue viendra certainement corriger les contrariétés de la présente constitution avec les exigences du statut de Rome. La ratification de cet instrument viendra accroître les potentialités de la protection des droits humains en Côte d'Ivoire et permettra d'étendre cette « conformisation » aux dispositions législatives et réglementaires concernant l'humanitaire.Ce qui permettra à l'arsenal juridique ivoirien d'être moins timide face au DIH. * 48 Le 18 avril 2003, la Côte d'Ivoire a déposé une déclaration auprès de la Cour pénale internationale reconnaissant la compétence de celle-ci pour les crimes commis sur son territoire depuis le 19 septembre 2002. C'est en février que le Greffe de la Cour a confirmé que cette déclaration avait été bien reçue. * 49Le Statut de la cour pénale internationale adopté du 15 au 17 juillet 1998 à Rome en Italie et entré en vigueur le 1er juillet 2002 * 50 Art 27 du statut de Rome « ...s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'État ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un État, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu'elle n'exonère le gouvernement ou constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne ». * 51 CNSP désigne la junte militaire dirigée par le général Robert GUEI, ayant pris le pouvoir et qui a été à la base de la naissance de la 2e république par l'adoption référendaire de la présente constitution. * 52 Kouablé Clarisse Gueu, le statut de la Cour pénale internationale devant le Conseil Constitutionnel ivoirien : commentaire de la décision cc n°002/cc/SG du 17 décembre 2003 relative au contrôle de conformité du traité de Rome de la Cour pénale internationale à la Constitution ivoirienne du 1er août 200, in Revue ivoirienne de droit n° 38-2007 p112-149 * 53 Doyen MELEDJE Djedjro, «Responsabilité des acteurs politiques sous thème du cadre institutionnel intermédiaire », Forum de dialogue national organisé en septembre 2006 à Grand Bassam * 54 Le précédent posé par l'affaire Essoh Lath ne donne pas d'assurance quant à lever l'immunité diplomatique. En effet, l'Assemblée Nationale à qui il était demandé de lever l'immunité parlementaire d'un député de la majorité au pouvoir, soupçonné d'avoir assassiné sa concubine, refuse en raison des liens de parenté existant entre le de cujus et le Ministre de la justice. L'un des parlementaires, ancien Ministre, déclare sans détour en juillet 1993 : c'est envoyer un député à l'abattoir que de laisser la justice suivre son cours. Voir le commentaire du professeur Dégni-Ségui, Les droits de l'Homme en Afrique Noire Francophone, théorie et réalité .p150 * 55 Le Conseil constitutionnel ivoirien par décision cc n°002/cc/SG du 17 décembre 2003 relative au contrôle de conformité du traité de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale à la constitution ivoirienne de 2000, déclaré la constitution non conforme. Ce qui induit sa révision si la Côte d'Ivoire veut ratifier le traité. La situation du moment donne de constater que cette révision n'est à l'ordre du jour. |
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