II. ATTRACTIVITE ECONOMIQUE UN DECOUPAGE TENANT
COMPTE DES NOUVEAUX ENJEUX
Entre croissants et décroissants, quantitatifs
et qualitatifs, quels critères doivent être pris en compte ? Les
paragraphes suivants proposent une revue de la littérature, à la
fois théorique et empirique, permettant de justifier la sélection
des critères d'évaluation...
1. Les mécanismes d'ouverture : Quel cadre favorable
au développement ?
Les notions d'attractivité économique et
de cadre incitatif sont au coeur de la théorie du développement.
Elles sont étroitement liées à la volonté de
réaliser des perspectives de croissance suffisantes pour passer le cap
de la transition économique avec succès (cf. annexe 1).
Les modèles de développement issus des courants de pensée
néoclassique et libérale, partent de ce principe commun. La seule
différence est que la structure chargée de définir et de
mettre en oeuvre ledit cadre incitatif, est soit l'Etat, soit le marché.
L'histoire du développement montre que les prémisses de ce
concept remontent aux analyses de Smith et de Schumpeter. Il était alors
question de cerner la nature de l'expansion économique et d'en
identifier les causes.
La théorie du développement a
évolué avec l'intégration de critères comme la
pauvreté ou la qualité de vie, à l'issue d'études
quantitatives en partie menées par Clark, dans les années 40.
Leur champ d'analyse était toutefois restreint car limité aux
Etats-Unis et à l'Europe. Ce n'est qu'après la seconde
moitié du 20ème siècle que les
économistes ont manifesté un vif intérêt pour les
PVD récemment indépendants : de nouvelles préoccupations
telles que la reconstruction ou le développement étaient au coeur
du débat. L'investissement s'est distingué comme
facteur-clé de création d'emplois et les conditions salariales
ont été utilisées par l'Etat comme instrument de
contrôle de la main-d'oeuvre. L'idée était de
privilégier les industries à fort potentiel de
développement, à travers un enchaînement de programmes,
sous l'égide d'un système centralement planifié
pensé par l'Etat.
Les gouvernements des PVD étaient alors
convaincus que le recours à des moyens publics d'incitation (licences
d'importation, privilèges fiscaux, réductions tarifaires) pouvait
stimuler l'investissement privé. La planification avait
été bien pensée, mais sa mise en pratique a
échoué essentiellement à cause des dysfonctionnements au
sein des gouvernements conservateurs chargés de l'exécution des
programmes. La conséquence a été de privilégier les
systèmes de prix relatifs et les mécanismes de marché
comme moteurs de l'investissement et de l'épargne.
Les institutions internationales ont fini par mettre
en place des politiques de développement, allant parfois jusqu'à
se substituer aux gouvernements des pays en transition, après avoir
souligné leur difficulté à mener une politique
d'attractivité économique efficace.
Ce vif intérêt pour l'ouverture
économique comme unique moyen d'assurer une croissance durable s'est
généralisée dans le monde en développement avec la
constitution d'espaces économiques, à commencer par les zones de
libre-échange. Aujourd'hui, le bilan est mitigé pour ce qui est
de la convergence des PVD. Le Mercosur et l'Asie du Sud-Est (Asean) ont
dépassé depuis longtemps les premiers stades de
l'intégration économique. Les PECO en sont à la phase de
zone monétaire, du moins, pour ce qui est des dix nouveaux membres admis
au sein de l'UE. Enfin, les PM en sont au processus d'association avec l'UE et
n'ont pas encore satisfait les objectifs de libre-échange.
a. Processus de transition et liberté
économique
L'économie du plan a été
appliquée dans de nombreux pays, bien au-delà des
frontières de l'Europe de l'Est, en l'occurrence la Chine, Cuba ou
encore les PM. Les principes sur lesquels s'appuyaient ces économies
allaient de la nationalisation presque totale des entreprises à la
planification administrative. Les systèmes centralisés ont fait
preuve d'une performance relative sur le plan social grâce aux
mécanismes de subvention mais se sont révélés
impuissants sur le plan économique, ce qui a impulsé un
changement de tendance vers l'ouverture et la libéralisation des
échanges. C'est en 1990 et dans les PECO qu'une véritable rupture
a eu lieu avec les régimes centralisés, marquant le passage
définitif à l'économie de marché. A partir de
là, le qualificatif « économies en transition » a
été attribué par l'OCDE aux pays d'Europe de l'Est, puis
s'est répandu à d'autres systèmes centralisés,
notamment en Méditerranée.
La transition est une expérience longue et
coûteuse, d'autant que les structures des économies
centralisées ne les ont pas prédisposées à basculer
vers une régulation décentralisée (Crouzet [2000]). Ce
processus peut prendre effet selon une cadence plus ou moins rapide, allant du
big-bang économique à une approche plus
modérée. Dans tous les cas, il s'agit d'opérer un ensemble
d'ajustements massifs, à commencer par l'exposition du système de
production national à la concurrence étrangère
(instauration des prix relatifs et réduction des barrières aux
échanges). Il faut aussi démanteler les réseaux
d'entreprises défaillantes et non rentables par des procédures de
mise en faillite. Enfin, il est indispensable d'assainir le système
bancaire et de restructurer l'architecture financière dans le sens de
l'open market. La société est alors tiraillée
entre deux secteurs : la sphère publique qui favorise la dimension
sociale et la sphère privée qui prône la liberté
économique. Par conséquent, les réformes s'accompagnent
nécessairement de déséquilibres dont l'étendue et
la durée sont proportionnelles au mode de transition entrepris. A
travers l'expérience des PECO, tout semble indiquer qu'une transition
n'est supportable et efficace que lorsque les réformes sont
généralisées au plus vite, saisissant l'opportunité
de l'interdépendance des marchés pour mettre en place des
politiques complémentaires.
Graphique 2 : Corrélation entre PIB par
tête et ouverture économique (2005)
Graphique 1 : Evolution du taux d'ouverture et du
PIB par tête (1960-2003)
Graphique 3 : Corrélation entre PIB par
tête et liberté économique
Source : Hulsman et al. [2005], p. 45.
Source : Hulsman et al. [2005], p. 39.
Source : Miles [2006], p. 22.
Encadré 2 : Liberté économique,
ouverture et dynamique de croissance
Dans une certaine mesure, l'accélération
du processus d'ouverture est la seule issue envisageable pour
crédibiliser l'Etat réformateur et éviter de compromettre
les autorités exécutives compétentes. Dans ce sens, la
théorie économique du libre-échange semble indiquer que
l'adoption d'une politique d'ouverture associée à un cadre
institutionnel de qualité constitue un moyen efficace en faveur de la
croissance. Ce résultat est notamment corroboré par Heritage
Foundation dont l'indice de liberté économique mesure
l'impact de l'intervention du gouvernement sur la prise de décision
économique (consommation, production, investissement, emploi). Ceci
suppose que l'influence de l'Etat sur le choix d'une politique
économique a un impact direct sur le niveau de croissance.
De nombreux pays semblent encore réticents
à jouer le jeu de l'ouverture : chacun cherche à minimiser les
barrières aux échanges de ses partenaires commerciaux, tout en
maintenant un contrôle rigide au niveau de ses propres frontières.
En réalité, les faits montrent que la libéralisation
commerciale engendre des externalités positives au niveau des politiques
économiques et en termes de compétitivité. Les pays les
moins ouverts sur les plans économique, politique et social sont loin de
constituer un cadre attractif favorable à la mobilisation des
ressources, notamment en matière d'investissement et
d'emplois.
Concrètement, une étude empirique
réalisée par la BM a permis de retracer l'évolution du
commerce mondial (imports + exports / PIB) et celle de la croissance
économique (PIB par tête) sur une période de quarante ans
(1960-2003). Cette étude a permis de démontrer que les pays ayant
entamé une dynamique d'ouverture active (libéralisation des
échanges de biens et de facteurs) ont enregistré une croissance
économique plus forte que les pays ayant imposé des
barrières au commerce extérieur (politiques tarifaires ou
restrictions qualitatives). En outre, il apparaît que la croissance et la
liberté économique augmentent de façon simultanée
(cf. encadré 2).
D'un point de vue qualitatif, si le
développement économique des années 80 a été
synonyme de diversification industrielle, il en a été autrement
durant la dernière décennie. L'ouverture commerciale des PVD
s'est accompagnée d'une spécialisation dans les industries
à faible valeur ajoutée. L'enfermement dans de telles structures
n'a pas permis le transfert attendu de savoir-faire, ni l'obtention de nouveaux
avantages comparatifs. L'efficience et les mécanismes de marché
n'ont donc pas fonctionné de façon optimale (Tahri-Joutei [2004],
p. 281).
Le libre-échange n'a pas apporté de
modifications prononcées au niveau des structures de production, y
compris en Méditerranée. En dépit du succès des
politiques d'ouverture au niveau de la réduction tarifaire et de la
promotion des IDE, les programmes de réforme ont quelque peu
échoués en matière de développement. Ils se sont
essentiellement focalisés sur la seule perspective du
libre-échange. L'absence d'une modernisation sociale et politique a fini
par réduire l'efficacité du processus de transition. De
même, la réalité de la structure institutionnelle a
entravé la mise en place de politiques économiques
appropriées (Miles [2006]). Afin de se faire une idée de
l'ampleur du phénomène d'ouverture au niveau mondial, il est
utile d'exposer la cartographie de la liberté économique
élaborée par Heritage Foundation (cf.
encadré 3).
Encadré 3 : Indice de liberté
économique (2006)
Source : Miles [2006], Maps.
L'indice de liberté économique engendre
une bipolarité dans le monde : les pays de la Triade sont
qualifiés de très libres et classés << free
» ou << mostly free », alors que les PVD sont
considérés comme peu libres, à savoir << mostly
unfree » ou << repressed ». Dans ce sens, il a
été démontré que le niveau de PIB par tête
est d'autant plus élevé dans un pays que celui-ci est
économiquement libre. Suivant cette logique, la prospérité
est liée à la liberté économique et à une
faible intervention de l'Etat. Cette logique est également
adoptée par Frazer Institute. Elle est toutefois
contestée par d'autres organismes pour lesquels un commerce
bénéfique est encadré par de solides institutions
soutenues par des politiques publiques (Gwartney et Lawson [2003]).
Enfin, concernant les inégalités
relatives aux questions sociales, le 20ème siècle a
été marqué par une croissance moyenne remarquable des
revenus, mais ceux-ci ont été inégalement répartis.
L'amélioration de la qualité de vie n'a donc pas touché
toutes les populations avec la même intensité et l'écart
entre les riches et les pauvres s'est fortement creusé : le PIB par
tête du quart le plus riche de la population a sextuplé, tandis
que celui du quart le plus pauvre a moins que triplé (cf.
encadré 4).
Les inégalités de revenu se sont
manifestement aggravées à tel point que même dans les pays
industrialisés la contestation a été en faveur de
l'annulation de la dette des PVD. Elle s'est traduite par l'idée
d'instaurer une taxe dont les prélèvements seraient
alloués à l'aide au développement. En somme, l'opinion
internationale reconnaît les phénomènes d'exclusion et
relance le débat sur la question des acquis sociaux.
Encadré 4 : Inégalités en termes
de répartition du revenu (2000)
Source : PNUD [2005], p. 18.
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