2. Les stratégies de croissance : Quelles sont les
variables explicatives de la croissance ?
Il existe une importante littérature sur les
déterminants de la croissance économique. Sur le plan
théorique, l'étude des canaux de transmission par lesquels
certains facteurs affectent la croissance a permis de mieux comprendre les
postulats de base proposés par les modèles néoclassiques.
Une attention particulière a été accordée à
des questions comme les économies d'échelle, le progrès
technologique, l'importance des échanges, le rôle des institutions
et les inégalités. Sur le plan empirique, des auteurs comme
Salai-Martin ont tenté de mesurer le rôle des facteurs de
croissance en comparant les stratégies et les performances d'un
échantillon de pays.
Dans son article « I just ran four million
regressions » (Sala-i-Martin [1997]), l'auteur a recensé dans
la littérature près d'une soixantaine de variables
supposées avoir un impact significatif sur la croissance
économique. Est-ce pour autant que toute stratégie de croissance
doit porter sur chacun de ces critères ? Il est évident qu'il
n'existe pas de démarche unique et universelle permettant de
définir une stratégie optimale de croissance et de définir
les seuils à partir desquels chaque facteur est considéré
comme trop élevé, trop faible, ou idéal pour le processus
de développement économique.
Une étude menée en 1997 par Benhabib et
Spiegel a permis de mettre en avant le lien existant entre les
caractéristiques d'une économie et son niveau de croissance. Les
auteurs considèrent que les taux d'accumulation des facteurs sont
suffisants pour évaluer la dynamique de croissance. Toutes les autres
variables telles que l'instabilité politique, la répartition du
revenu et le développement des marchés financiers sont
considérées comme auxiliaires. Leur impact passe par
l'investissement en capital physique et humain mais n'est pas très
significatif. C'est pourquoi l'identification des facteurs contraignant chaque
étape du processus de développement reste un défi majeur
à relever dans l'analyse de la croissance.
a. Repenser le Consensus de Washington
L'historique de la croissance mondiale
révèle des transformations significatives en termes
d'amélioration du niveau de vie des économies émergentes.
Notre intérêt pour la croissance part de l'hypothèse
implicite que la compréhension de ses mécanismes doit permettre
un sursaut comparable dans les PVD.
La pensée économique relative au
développement a connu un changement de tendance à la fin de la
décennie 70 avec la remise en question des théories
néoclassiques. Les crises qui se sont succédé durant les
années 80 ont plongé les PVD dans des programmes d'ajustement
structurel menés sous l'égide des grandes institutions
financières internationales.
En parallèle, l'éclatement du bloc
soviétique a instauré un sentiment de réticence
vis-à-vis des politiques de planification centralisée, favorisant
ainsi l'approche entérinée par les Etats-Unis avec le Consensus
de Washington. Ce principe utilisé pour la première fois par
Williamson dans son article << What Washington means by policy
reform? », met en avant dix principes élémentaires :
discipline budgétaire, réorientation de la dépense
publique, réforme fiscale, libéralisation financière,
compétitivité du taux de change, libéralisation des
échanges, attraction des IDE, privatisation, réduction des
barrières aux échanges et protection des droits de
propriété (Williamson, [1990]).
Cette première génération de
réformes entre dans le cadre des programmes d'ajustement structurel sur
lesquels l'auteur porte un regard critique, notamment à l'issue de son
article << What should the World Bank think about the Washington
Consensus? » (Williamson [2000]). Il s'agit d'une stratégie
fondée sur trois piliers : la privatisation des moyens de production au
sens large, l'ouverture du pays à la concurrence internationale et la
libéralisation du secteur financier. L'auteur ne remet pas en cause les
fondements théoriques de cette stratégie, mais la façon
dont elle a été appliquée.
En effet, l'économie de marché peut sous
certaines conditions mener au développement économique et social
des pays à faible croissance. La logique du libre-échange suppose
que la liberté est l'acteur principal dans la sphère
économique mais elle doit savoir laisser place à l'intervention
de l'Etat pour pallier les défaillances structurelles. Le principe d'une
justice indépendante et efficace est indispensable si l'on veut lutter
contre la corruption, véritable déviance d'un marché
livré à lui-même. Il s'agit aussi d'instaurer un
contrôle afin de tempérer la libre concurrence et de veiller
à la mise en place d'un filet de protection sociale pour modérer
les méfaits du chômage. L'idée est de réformer
l'architecture financière et commerciale en plaçant les
problèmes de pauvreté et de développement au coeur des
préoccupations internationales. C'est ce que l'on qualifie de <<
mondialisation à visage humain » (Stiglitz [2002]).
A présent, l'enjeu est d'assurer la transition
d'un Consensus de Washington vers un << post » Consensus de
Washington. Dans son article << Goodbye Washington Consensus, hello
Washington confusion », Rodrik souligne que les pays qui ont
accepté et adopté les directives du Consensus, notamment en
Amérique Latine, n'ont pas atteint les progrès escomptés.
L'écart de croissance entre ces pays et ceux des autres régions
émergentes s'est creusé. Leurs performances après
l'application de ces mesures ont été moins satisfaisantes que
dans les années 80 et 90. En revanche, ceux qui ont mis en oeuvre
d'autres politiques, en l'occurrence des recommandations fondées sur
leur propre situation intérieure, ont enregistré de meilleures
performances économiques.
Pour illustrer ses propos, Rodrik cite
l'expérience de la Chine, de l'Inde et du Vietnam, dont les taux de
croissance se sont accrus durablement et de manière significative. Il
est à noter que ces pays ont opté pour des réformes de
leurs politiques commerciales très différentes de celles
conseillées par les institutions financières internationales
(libéralisation). Ils se sont néanmoins très rapidement
intégrés dans l'économie mondiale en dépit de la
fragilité de leur situation économique. Dans le cas du Vietnam
par exemple, il s'agissait d'un embargo, ce qui était loin des standards
de la libéralisation économique (Rodrik [2006], pp.
2-3).
Ces exemples n'ont pas manqué de susciter la
controverse sur le bien-fondé du Consensus de Washington et ont
éveillé un scepticisme envers toutes les recommandations
économiques qui ne tiennent pas compte des circonstances propres
à chaque pays. Il est essentiel de définir des arrangements
institutionnels en matière fiscale, bancaire ou commerciale, en vue de
concevoir une stratégie de développement efficace. Chaque
gouvernement doit alors établir un diagnostic pour identifier les
contraintes qui freinent la croissance, choisir les secteurs prioritaires
d'intervention et enfin, définir les directives permettant
d'alléger ces contraintes.
L'analyse empirique contribue fortement à
l'élaboration de politiques de développement adaptées aux
besoins de chaque pays. Il n'est donc pas pertinent d'inciter les PVD à
appliquer uniformément des stratégies de croissance
arbitrairement considérées comme de « bonnes pratiques
». Il faut instaurer une liberté politique afin de donner une marge
de manoeuvre décisionnelle aux gouvernements et de leur laisser la
latitude de définir les stratégies les mieux adaptées
à leurs profils respectifs.
Tout semble indiquer que la stratégie de
croissance doit tenir compte des différences entre les modes
opérationnels des pays dont les efforts se sont soldés par un
succès et ceux dont les réformes ont échoué.
L'adjonction de recommandations comme la gouvernance d'entreprise, la
corruption, la flexibilité du marché du travail et
l'indépendance des banques centrales dans le contrôle de
l'inflation a conduit à une sorte de Consensus de Washington «
augmenté » (Rodrik [2004]).
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