b. Réflexion sur la croissance et
l'équité
Pourquoi l'exploitation du capital physique et humain
ainsi que la répartition des qualifications ne sont-elles pas
équitables ? Un premier élément de réponse consiste
à dire que les pays à faibles revenus ont non seulement un niveau
insuffisant de capital et de qualification mais aussi une de
productivité faible dans l'utilisation de ces facteurs.
Dans ce contexte, il faut souligner le rôle des
institutions, du droit et des politiques publiques qui déterminent la
structure économique dans laquelle les individus produisent et
échangent. Si celle-ci encourage la production, l'économie
s'enrichit, mais si elle incite à la dispersion des ressources, les
conséquences peuvent être dramatiques.
On distingue alors deux tendances dans
l'évolution de la répartition globale des revenus. D'une part, la
convergence des économies initialement à faibles revenus qui sont
passées au stade de revenus intermédiaires avec un niveau de vie
proche de celui des pays industrialisés. D'autre part, la divergence des
économies à faibles revenus par rapport à
l'évolution du revenu médian global. De toute évidence,
une telle divergence n'est pas soutenable à long terme car elle va
à l'encontre des principes de l'équité et peut provoquer
de l'instabilité politique dans le monde. Ce fait a été
constaté durant les trente dernières années dans les pays
arabes, où le taux de croissance annuel moyen du revenu par habitant a
été d'à peine 0,2%, alors qu'il était de 2,6% en
Asie du Sud-Est et de 5,6% en Asie de l'Est (PNUD [2005]).
Ce biais en matière de croissance
économique s'explique sans doute par la détérioration et
l'instabilité des termes de l'échange depuis le début des
années 90 ainsi que par l'éclatement de conflits
dévastateurs dans certains pays. Gelb, économiste en chef
à la BM pour la région Afrique, explique à ce sujet que
les pays ne sont pas tous exposés avec la même intensité
aux crises internationales. Prenons l'exemple de la région Afrique du
Nord et Moyen-Orient. Si la plupart des pays à faibles revenus ont
été moins directement touchés par l'instabilité des
marchés financiers et de capitaux, ils ont néanmoins
été frappés par d'autres effets comme la chute des
exportations hors hydrocarbures, notamment à cause de l'émergence
des pays asiatiques (ONU, [1998]).
Nous devons par conséquent admettre que la
croissance reste une affaire non résolue, au sens où il n'existe
pas de « recette miracle » unique est universelle permettant
d'élaborer une stratégie optimale de croissance. L'idée un
peu simpliste véhiculée par des modèles de construction
linéaire alliant capital et travail pour atteindre une forte
productivité n'est pas suffisante. La prise en compte des
caractéristiques spécifiques à chaque pays est un facteur
déterminant dans la capacité à interagir avec les
stratégies de croissance. C'est pourquoi le choix des priorités
et des méthodes pratiques de mise en oeuvre exige une série
d'analyses au cas par cas. Cette nouvelle approche permet de suggérer
une autre piste à suivre concernant les stratégies de
développement : complémentarité entre croissance à
long terme et équité.
Il existe toutefois une opposition traditionnelle
entre la notion d'efficience économique qui stimule la croissance et
celle d'équité supposée découler d'une politique de
redistribution. Cette dernière peut certainement réduire les
inégalités mais pas sans freiner la croissance. Pourtant, en
présence de distorsions et de dysfonctionnement sur les marchés,
on peut concevoir des politiques de redistribution efficientes.
Considérons par exemple, le cas des pays méditerranéens
où la majeure partie de la population n'a pas accès au
crédit. De ce fait, l'investissement, même s'il est hautement
profitable pour la société, ne peut être engagé (en
2005, le crédit au secteur privé représente environ 11% du
PIB en Algérie et en Syrie, contre 60% en Egypte et en
Tunisie).
Face à cette imperfection du marché du
crédit, il existe des politiques pour favoriser l'équité
et promouvoir la croissance. Deux solutions sont envisageables :
améliorer le fonctionnement du marché du crédit
(subventions pour les micro-crédits) ou renforcer la capacité
à emprunter des individus exclus du marché (accumulation de
capital). Bien que la première solution soit plus accessible, il s'agit
dans les deux cas de processus de redistribution des richesses participant
à l'accroissement de la production totale. Le même argument peut
être employé dans d'autres domaines comme l'éducation, la
santé et l'équité des droits politiques. Une
société au sein de laquelle persistent de graves
inégalités prive une large fraction de sa population active d'un
savoir dont elle aurait besoin pour accroître sa productivité et
son niveau de vie.
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