CHAPITRE I : REVUE DE LA
LITTERATURE
« Intérêt d'une perspective
multicritère pour comprendre les processus de croissance et de
développement »
INTRODUCTION IDENTIFIER LES COMPOSANTES DU SYSTEME
D'EVALUATION
Quelles sont les caractéristiques du cadre
économique actuel ? Quels en sont les nouveaux enjeux sociaux et
politiques ? Les paragraphes suivants tentent de mettre en exergue les
facteurs-clés définissant le contexte de
l'étude...
La réflexion théorique et empirique
relative à la construction d'un système de représentation
doit intégrer un certain nombre de principes échappant aux
approches microéconomiques néoclassiques, qui se focalisent
surtout sur l'équilibre de long terme (modèle d'équilibre
général ou partiel) et la structure des marchés
(économie industrielle). La société exerce une contrainte,
un pouvoir de coercition sur l'individu qui doit intérioriser les
principales règles et les respecter. Les comportements individuels sont
donc socialement déterminés. C'est pourquoi les approches
hétérodoxes présentent un intérêt
évident pour comprendre le fonctionnement de l'économie et
peuvent contribuer à la construction d'un système de
représentation fiable.
Il faut admettre que certaines dimensions
économiques ne peuvent être appréhendées que par des
approches macroéconomiques ou systémiques. Ainsi, il est possible
de cerner un phénomène en identifiant l'ensemble du
système dont il est une partie, c'est-àdire qu'il est
entièrement déterminé par le « tout » auquel il
appartient. Il suffit de connaître ce système de
représentation pour comprendre les propriétés de
l'élément étudié (Baslé et
Gélédan [1988]).
Le premier principe suppose que l'économie est
une partie du système socioculturel. Il faut donc intégrer la
dimension sociale pour comprendre l'économie. Le rôle des
solidarités, la culture des affaires et la coopération sont
autant de facteurs à mettre en exergue. Le second principe souligne
l'importance du cadre institutionnel et du rôle de la loi comme
clés de voûte pour étudier l'économie. Par
conséquent, une approche pluridisciplinaire s'avère
nécessaire. Le troisième principe permet de développer une
vision plus riche et plus complexe de la réalité. En effet, on ne
saurait comprendre pleinement l'économie sans prendre en compte la
hiérarchie, le pouvoir, les conflits, la répartition des
ressources et les écarts de développement. Enfin, le dernier
principe tient à la mise en place d'une méthodologie pragmatique
et inductive favorisant le réalisme et la pertinence. Il s'agit avant
tout d'un système d'observation fondé sur la
représentation et donc sur la modélisation, en vue de
l'interprétation des faits.
Dans le cas particulier des pays
méditerranéens, la démarche de transition instaurée
par le processus de Barcelone cherche à faire évoluer les pays
signataires vers une zone de libre-échange. Elle aspire aux principes
d'ouverture et de liberté économique dans le but de promouvoir
une croissance régulière et durable. Il faut donc définir
ce que l'on entend par « ouverture » et « croissance ». A
cet effet, une réflexion théorique doit être
envisagée en vue d'identifier les composantes du système de
représentation. Les critères d'évaluation doivent
refléter le contexte changeant dans lequel elle se déroule. La
réorganisation de la segmentation des marchés et des transactions
financières, la remontée de la gouvernance et du rôle des
institutions internationales, de même que l'intérêt
croissant pour le tiers secteur et le non-marchand sont quelques uns des points
caractéristiques de la dynamique économique actuelle.
Outre les critères traditionnels
(liberté, propriété, sûreté,
résistance à l'oppression...), des principes tels que les droits
de l'homme et la démocratie donnent lieu à l'adjonction de
critères supplémentaires au système de
représentation actuel. L'accès aux soins pour les plus
démunis et le droit à l'instruction pour les plus pauvres
contribuent notamment à la réduction des
inégalités. De même, le droit au travail est une
revendication légitime dans une société qui aspire au
plein emploi et au bien-être.
I. CONTEXTE GLOBAL LES MECANISMES DE CROISSANCE ET
DE DEVELOPPEMENT
A l'heure oh les pays en transition s'ouvrent aux
politiques de libre-échange, il est impératif d'en rechercher les
effets durables sur la croissance économique. Comment concevoir un
système de représentation multidimensionnel ? Les paragraphes
suivants permettent de faire le point sur les critères susceptibles
d'être corrélés à la croissance...
1. Les déterminants de la croissance : Comment
appréhender de tels indicateurs ?
Le développement peut être
appréhendé comme un processus d'expansion des libertés
réelles des individus. C'est la thèse défendue par Sen,
prix Nobel d'économie (1998), dans son ouvrage « Un nouveau
modèle économique ». En octroyant au développement
une dimension plus large, il ne se limite pas à la seule croissance des
revenus (mesurée par l'évolution du PIB), mais s'étend aux
engagements socio-économiques et aux libertés politiques. A
l'heure oh le monde connaît un niveau de prospérité
économique sans précédent, le fossé
inégalitaire n'a jamais été aussi prononcé. Il
s'agit donc de mettre à contribution les avancées sociales,
l'accessibilité à l'éducation et la santé, ainsi
que les principes démocratiques et la participation aux débats
publics.
La transition en tant que forme de
développement, tout au moins une volonté affichée d'y
parvenir, doit intégrer cette catégorie de critères. La
compréhension globale du processus de développement doit en outre
tenir compte des dimensions politique, économique et sociale, afin
d'apprécier simultanément le rôle des structures
supposées être impliquées dans la dynamique de croissance :
marchés, institutions, gouvernements et autorités locales, mais
également droits civiques et liberté d'expression. Plus encore,
cette approche intègre les valeurs sociales ainsi que les moeurs et
traditions susceptibles d'avoir une influence quelle qu'elle soit, sur les
libertés. Dans ce sens, Sen affirme que la liberté des
échanges économiques a des implications sur la vie sociale. Leur
prise en compte aboutit à une appréciation plus complète
du marché, de ses répercussions sur le développement
économique ainsi que les inégalités. Pour évaluer
la croissance, tous les arguments doivent être discutés afin
d'identifier les effets des facteurs influents (positifs / négatifs) et
de déterminer la nature des critères intégrés
(croissants / décroissants). Ainsi, l'utilisation d'un indicateur tel
que la privatisation dans un milieu qui ne profite pas des avantages du
marché, n'est pas significative pour estimer la croissance.
Concrètement, évaluer les niveaux de
développement des économies permet d'identifier leur dynamique de
croissance et de déduire en l'occurrence à quel rythme les pays
émergents rattrapent les niveaux de revenus de pays plus avancés.
Il est possible d'observer une telle évolution à partir de
variables représentatives du revenu comme l'accumulation de capital qui,
comparativement aux autres domaines de l'action publique, est en faveur de
l'épargne. Ce raisonnement a finalement conforté la pertinence
des recherches sur la croissance. Prenant appui sur les flux d'investissements
effectués dans plusieurs pays, une étude empirique montre que les
revenus convergent vers des niveaux différents, formant ainsi des
groupes en fonction du type de politique économique dominant (Barro et
Sala-i-Martin [1992]). Ce résultat renforce l'intérêt
d'analyser le rôle des décisions politiques dans un cadre de
croissance et fournit une base analytique solide.
Dans un tout autre registre, l'expérience des
politiques de stabilisation du FMI et des programmes structurels de la BM
montre que les conditions politiques et institutionnelles sont des facteurs
indispensables dans la réussite ou l'échec d'un processus de
réforme (Calame [2003]). L'exemple des pays d'Asie du Sud souligne
l'apport de l'Etat interventionniste et contraste avec l'échec des
politiques de substitution aux importations pratiquées ailleurs. On
suppose alors que l'hétérogénéité des
contextes culturels et l'homogénéité de la
répartition des revenus donnent aux gouvernements la possibilité
d'axer leurs politiques sur l'intérêt général. De
plus, l'exemple des pays asiatiques permet de constater que les gains de
productivité et l'accumulation du capital comme des moteurs de la
croissance.
Outre le fait qu'une corrélation existe entre
investissement et croissance, d'autres études montrent que
l'investissement est une conséquence de la croissance et non un
stimulant : les taux d'investissement ne font que s'adapter aux taux de
croissance (Borner et al. [2004], p. 21). Certes, le débat
reste sans issue, néanmoins il permet de souligner l'importance des
facteurs politiques, au sens où les variables institutionnelles influent
doublement sur le revenu : d'abord sur la productivité, puis sur les
taux d'investissement, enfin sur le niveau de revenu.
a. Les théories modernes de la croissance
Comment modéliser la croissance ? Les
politiques économiques ont-elles un effet permanent ou seulement
transitoire sur les taux de croissance ? Un effet très long, même
s'il est transitoire, peut être très proche d'un effet permanent.
Mais un effet permanent ne peut jamais approximer la situation d'un effet
transitoire qui persiste seulement cinq ans, voire dix ans, tout au plus. A un
niveau très global, les économies industrialisées ont
connu des taux de croissance significativement élevés au cours
des deux derniers siècles. North, à l'origine du
développement de la nouvelle économie institutionnelle, explique
que la croissance est en grande partie due à la
généralisation des droits de propriétés qui ont
permis aux individus de s'engager dans des projets d'investissement de long
terme (North [1997]).
Un certain nombre de faits stylisés
caractérisent la croissance économique de l'histoire
récente. Le premier fait est la variation considérable du revenu
par tête entre les économies. Rappelons que les pays pauvres ont
des revenus par tête qui atteignent à peine 5% de ceux des pays
riches. Le second est que les taux de croissance varient
considérablement entre les pays et ne sont pas nécessairement
constants dans le temps. Le troisième est que la position relative d'un
pays, du point de vue de la distribution mondiale des revenus par tête,
n'est pas irréversible (les pays riches peuvent devenir pauvres et
vice versa). Le quatrième fait suggère que le rendement
réel du capital n'est pas toujours strictement croissant ou
décroissant et que les parts des facteurs de production dans le revenu
n'ont pas de tendance particulière. Le dernier fait est que la
croissance en produit et en volume du commerce international sont
étroitement liées.
La question qui se pose alors concerne les
mécanismes économiques qui sont derrière ces faits
stylisés, autrement dit les moteurs de la croissance. Le débat
à l'origine du corpus des théories modernes
élémentaires a longtemps oscillé entre la création
des ressources et leur allocation. Ces théories abordent la dynamique
d'équilibre, les comportements concurrentiels, le lien entre les
rendements décroissants et l'accumulation du capital, la relation entre
le revenu par tête et l'accroissement de la population, ainsi que le
rôle du progrès technique et l'influence des monopoles. Rappelons
que la première théorie moderne émane de Solow (1956) qui
explique dans son modèle que la croissance provient d'un facteur
exogène, à savoir la technologie.
Dans les années 80, l'intérêt pour
les théories de la croissance s'est ravivé suite aux travaux de
Romer et Lucas qui ont intégré l'innovation et le capital humain
au coeur de la problématique de la croissance. Il s'agit des
théories de la croissance endogène. Par ailleurs, une analyse
plus fine a permis de faire apparaître la nature particulière des
idées en tant que bien économique, source de rendements
d'échelle croissants. L'innovation ne pouvant être produite que
dans une structure en concurrence imparfaite, les prix sont alors fixés
de manière à couvrir les coûts marginaux. Cet écart
récompense l'invention et stimule la dynamique de
croissance.
Toutefois, les hypothèses des modèles de
croissance endogène ont fait l'objet de sérieuses critiques,
notamment par Darreau (2003). Elles introduisent des restrictions qui
contraignent les paramètres à avoir des valeurs numériques
particulières et supposent la linéarité de la fonction de
production du facteur stimulant la croissance. Si ces modèles
prônent les solutions d'état régulier, c'est tout d'abord
pour une raison méthodologique car, après tout, quelle serait la
signification d'une perspective de croissance à taux décroissant
ou fluctuant ? L'autre raison est empirique et a pour but d'expliquer les
raisons de la croissance des pays développés depuis deux
siècles à un taux approximativement constant de 2,5%.
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