b. Bilan de la situation dans les pays du
Moyen-Orient
En Jordanie, l'activité économique a
été soutenue par la demande intérieure et par
l'accroissement des exportations et du tourisme. Cette évolution a
touché d'autres secteurs (production, transport, hôtellerie...) et
s'est poursuivie en 2006 avec l'amélioration de la solvabilité
des entreprises. Les allègements de la dette et les transferts officiels
ont permis de contenir le besoin de financement extérieur. En
contrepartie, la reprise de l'économie s'est accompagnée d'une
forte augmentation des importations, affectée par les prix
pétroliers qui ont contribué au déficit courant. La
réduction des déficits budgétaires et de la
dépendance vis-à-vis de l'aide internationale reste le principal
enjeu pour les autorités jordaniennes. Cette perspective
nécessite une accélération des restructurations dans le
milieu des entreprises. Un tel objectif est difficile à mettre en oeuvre
dans un contexte social marqué par des niveaux de pauvreté et de
chômage élevés.
Sur le plan politique, un remaniement
ministériel a eu lieu en octobre 2004, suivi d'un changement de
gouvernement en avril 2005. Les autorités en place ont été
chargées d'accélérer le processus de réformes en
réponse aux frustrations populaires. Leurs revendications portaient sur
la lutte contre la pauvreté et le chômage ainsi que sur
l'amélioration des conditions de vie dans les zones rurales. Dans cet
intérêt, la priorité a été accordée
aux secteurs de l'éducation et de la santé ainsi qu'à la
réorganisation du cadre légal en faveur de la privatisation et
des IDE.
Lors du Sommet Arabe (Alger, mars 2005), la Jordanie a
proposé de réactiver l'initiative de paix lancée en mars
2002. Ceci a été interprété comme une tentative
poussant à la normalisation avec Israël sans conditions
préalables. Par conséquent, l'évolution de la situation
géopolitique régionale, entravée par l'incertitude, risque
de peser sur le tourisme et les investissements.
Au Liban, la montée du prix des hydrocarbures
au début de l'année 2004 a été à l'origine
d'une série d'émeutes dans la banlieue Sud de la capitale. Ce
dérapage inattendu a été interprété comme un
signe révélateur de la profondeur de la crise sociale et
politique dans le pays. Elle s'est amplifiée depuis, jusqu'à
exploser avec l'attentat contre le Premier Ministre en février 2005.
Sous la pression combinée du peuple libanais et de la communauté
internationale, accusant Damas d'avoir commandité cet attaque, les
troupes syriennes ont dû quitter le pays.
Ces bouleversements politiques ont eu un impact
négatif sur le tourisme et les investissements, même si la
croissance du PIB s'est stabilisée autour de 6% entre 1995 et 2005. La
Banque Centrale a pu maintenir la parité de la monnaie locale avec le
dollar et éviter un défaut de l'Etat, au détriment de
larges ponctions dans ses réserves. Le risque souverain a
augmenté en raison du niveau excessif de la dette publique (dont
près de la moitié était libellée en
devises).
En somme, le redémarrage de l'économie
libanaise et la reconstitution de réserves en devises dépendent
de la capacité du pays à restaurer la confiance des consommateurs
et des investisseurs. La mise en oeuvre de réformes pour assainir les
comptes publics est une priorité permettant de mobiliser l'aide
internationale. Le nouveau gouvernement s'en est donné les moyens,
notamment avec le recul de l'influence syrienne compte tenu des pressions
internationales.
En Syrie, la forte hausse des cours du baril a
favorisé les exportations et relancé l'activité
économique en 2005. Elle a de plus compensé les pertes issues du
blocage des échanges avec l'Irak. La baisse des taux
d'intérêt a stimulé la consommation des ménages et
l'investissement. Bien que le taux de croissance ait été maintenu
autour de 3% entre 2001 et 2006, il dépend principalement d'exportations
encore très orientées. Cette situation incite les
autorités syriennes à poursuivre une politique budgétaire
de soutien à la croissance par les dépenses
publiques.
Il est à noter que si les cours
pétrolier venaient à baisser, il générerait un
endettement croissant. Dans ce cas, la politique budgétaire
expansionniste risquerait de ne plus être soutenable et la situation
financière extérieure pourrait devenir vulnérable. Dans ce
sens, la réforme s'est tournée vers l'assainissement des comptes
publics, la diversification de l'activité économique et le
développement du secteur privé. Les autorités se sont
engagées dans cette voie, notamment par le lancement du
10ème plan quinquennal visant la promotion de
l'économie sociale de marché (juin 2005). Ce programme global de
modernisation a été livré à la fin de
l'année 2005 avec pour perspective de créer une place
boursière à l'horizon 2006.
En tout état de cause, la situation
économique du pays reste préoccupante et le processus d'ouverture
prend du temps compte tenu des résistances internes. Les tensions
régionales ont créé un climat d'hésitation chez les
investisseurs. Le niveau de chômage, bien qu'il ait affiché un
taux officiel de 11,7% en 2005, se situe en réalité à 25%,
voire 30% (le pays a dû faire face au retour imprévu de 300 000
travailleurs syriens provenant du Liban). De même, la rupture avec les
marchés irakien et libanais, ainsi que l'épuisement
inévitable des ressources pétrolières (près de 70%
des recettes extérieures), n'arrangent en rien la situation.
Sur les plans politique et sécuritaire,
après trois décennies de présence au Liban, les troupes
syriennes se sont partiellement repliées en 2000 (passant de 40 000
à 14 000 soldats) puis totalement retirées en avril 2005, suite
à l'assassinant du Premier Ministre libanais. Cet
évènement inattendu a été l'élément
déclencheur d'une crise internationale et régionale, à
l'issue de laquelle le régime de Damas a capitulé
(résolution 1559 de l'ONU parrainée par la France et les
Etats-Unis). Enfin, au niveau des libertés, le cheminement vers le
multipartisme a été entravé, notamment après qu'un
forum de discussion organisé en mai 2005 par l'opposition au parti
« Baas » ait été interdit.
Nous allons à présent traiter le cas
particulier d'Israël et de la Turquie. Ces deux pays diffèrent du
reste de l'échantillon, non seulement au niveau du développement
économique (puisqu'ils n'ont pas le statut de PVD), mais aussi sur le
plan des perspectives (puisque leur processus de réforme est plus
avancé). Les préoccupations de ces deux « outsiders
» sont davantage tournées vers l'UE et les Etats-Unis que vers le
reste des PM.
Israël a renoué avec une croissance
vigoureuse dynamisée par une forte propension à consommer, un
besoin de financement contenu ainsi que des niveau d'IDE et d'exportation
élevés. En effet, le taux de croissance a progressé de
1,3% à 4,3% (2003- 2004). Parallèlement, les réserves de
change importantes ont limité la vulnérabilité du pays aux
crises de confiance et le recul significatif des actions terroristes a
constitué un terrain propice à la reprise économique. Le
programme d'assainissement des finances publiques a directement
contribué à la baisse du déficit budgétaire et de
la dette publique. Ce projet a toutefois été lourd de
conséquences, à commencer par l'augmentation puis le maintien du
taux de chômage à 10% (2000-2005) et l'appauvrissement des milieux
populaires. Il s'en est suivi une crise des municipalités qui se sont
retrouvées dans l'incapacité de rémunérer leur
personnel en raison de restrictions budgétaires (réduction des
subventions).
Au niveau politique et sécuritaire, la
poursuite des débats autour de Gaza s'est accompagnée d'une
activité militaire ininterrompue et les dépenses militaires n'ont
guère varié (environ 8% du PIB entre 1995 et 2005). En
Cisjordanie, le taux de croissance de la population juive a été
cinq fois plus élevé que celui enregistré en Israël.
Cette évolution a été soutenue dans les régions
proches de la « ligne verte » séparant Israël de la
Cisjordanie (14 000 citoyens supplémentaires en 2004). L'objectif
à terme est de rattacher 9,5% de cette zone aux territoires
israéliens par l'édification d'une barrière de
séparation (620 kilomètres dont le tiers est déjà
en place).
Cette stratégie d'annexion rampante a
été jugée par la Cour de Justice de La Haye comme
contraire au droit international (juillet 2004). En revanche, elle a
bénéficié de l'indulgence américaine et de sa
reconnaissance envers l'existence des grands centres urbains
créés par Israël au-delà de la « ligne verte
» (avril 2005).
En somme, l'économie israélienne dispose
d'un fort potentiel mais son développement est conditionné par
l'apaisement durable des tensions avec les Autorités Palestiniennes, la
poursuite de l'ajustement des finances publiques et le maintien d'une
conjoncture internationale favorable. Le risque de défaut a
été atténué par les Etats-Unis qui ont garanti une
partie du programme d'emprunts publics. En dépit de
l'amélioration des relations israélo-palestiniennes et de la
constitution d'un gouvernement d'union nationale, le risque politique demeure
relativement élevé.
En Turquie, la stabilisation amorcée depuis
2003 a été confirmée par une croissance
élevée (8,9% en 2005) qui s'explique en partie par l'augmentation
des exportations et des gains de productivité. Le taux d'inflation s'est
stabilisé autour des 10% en 2005, alors qu'il atteignait des sommets
entre 1995 et 2000 (80% en moyenne). La stabilisation de l'économie,
autrefois caractérisée par une forte inflation et une croissance
volatile, est en cours de concrétisation. La qualité de gestion
des entreprises a été satisfaisante et le nombre d'incidents de
paiements est resté stable, voire inférieur à la moyenne
mondiale. Seulement, cette rémission n'a pas permis de résorber
le chômage.
Sur le plan financier, les ratios d'endettement
extérieur ont contribué à réduire le poids de la
dette publique depuis la crise de 2001. Ces performances ont été
maintenues par une politique budgétaire restrictive, un bilan positif
des réformes structurelles et une restructuration du secteur bancaire
dont la fragilité tend à décroître. Toutefois,
l'ampleur du besoin de financement en devises, à travers un
déficit courant en hausse, a obligé la Turquie à
s'endetter massivement. Cette dépendance aux afflux de capitaux à
court terme a rendu la situation financière vulnérable à
la hausse des taux d'intérêt américains. De même, la
dette est globalement composée de crédits à court terme et
demeure à un niveau considérable (près de 40% des
exportations en 2005).
La priorité a été accordée
à la promotion d'un cadre attractif pour les IDE, jusque-là
relativement modestes par rapport aux autres PM. En effet, les IDE vers la
Turquie représentaient 3,4% de la FBCF en 2005, alors que la moyenne de
la zone se situait autour de 23%. A l'issue du Sommet des Chefs d'Etat et de
Gouvernement de l'UE (Bruxelles, décembre 2004), il a été
convenu de la reprise des négociations en vue d'une éventuelle
adhésion (octobre 2005). Cette initiative a donné lieu à
de nombreuses réformes en vue de parfaire les objectifs de
Copenhague.
L'ancrage à l'Europe a permis de
réformer l'administration fiscale et la sécurité sociale,
consolider le système bancaire et privatiser les entreprises d'Etat. De
même, les liens entretenus par le gouvernement turc avec le FMI ont
abouti à une réduction du niveau des crédits.
Plus récemment, l'élargissement de l'UE
avec l'entrée de dix nouveaux membres, dont l'Etat de Chypre que la
Turquie ne reconnaît pas, a finalement conditionné l'issue des
négociations. Le Conseil européen a ainsi émis une
réserve quant à la possibilité d'adhésion. De
même pour les clauses envisageant l'attribution de dérogations ou
de garanties dans les domaines de l'agriculture, des politiques structurelles
et de la libre circulation des facteurs. Dans un tout autre registre, la
Turquie a été en désaccord avec les Etats-Unis sur le
dossier irakien, redoutant une prise de contrôle des ressources
pétrolières par les Kurdes. En dépit des tensions, le pays
compte mettre en place une politique régionale active au Moyen-Orient et
entend jouer le rôle de médiateur dans le conflit
israélo-palestinien.
Dans le cadre de nos évaluations, Israël
s'est distingué par ses performances qui ont été à
la hauteur de celles des PECO. En revanche, la Turquie a souvent
été classée en catégorie 3. A ce sujet, rappelons
qu'entre 1995 et 2005, nous n'avons pas observé de progrès
saisissant dans les performances des PM (hors Israël), ni de changement de
catégorie, du moins pas en évolution relative. Ceci est sans
doute dû à une amélioration des profils stimulée par
le processus d'adhésion des PECO à l'UE. Ces benchmarks se sont
avérés être de moins en moins à la portée des
PM (cf. encadré 52).
Au final, le bilan des réformes a
désigné la Jordanie et la Tunisie comme pays les plus
avancés dans le processus avec des résultats encourageants. Ces
pays se sont ouverts au commerce extérieur et ont amélioré
le climat de l'investissement. A un niveau inférieur, le Maroc et
l'Egypte ont pris des mesures pour réformer les échanges et
l'investissement. Parmi les économies dépendant des revenus des
hydrocarbures, l'Algérie et la Syrie ont également entamé
une réouverture de leurs régimes commerciaux et encouragé
l'investissement privé. Parallèlement à leur engagement
avec l'Europe, les PM ont accordé un intérêt particulier au
commerce intra-régional, notamment avec la Zone Panarabe de
libre-échange et la création d'associations commerciales
régionales plus restreintes. Globalement, ils ont manifesté leur
enthousiasme quant à la possibilité d'adhérer à
l'OMC, et certains pays comme la Jordanie ont même signé des
accords de libre-échange avec les Etats-Unis.
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