3. Le partenariat euro-méditerranéen : Point
sur l'état d'avancement des réformes
En 2005, le partenariat
euro-méditerranéen a fêté ses dix années
d'existence. Souvent critiqué pour son inertie, le processus de
Barcelone tient, malgré tout, une place à part dans l'ensemble
des politiques extérieures de l'UE. Lancé en novembre 1995, ce
projet économique régional est une initiative de stabilisation
originale qui se donne pour but de créer en Méditerranée
une aire de paix et de prospérité partagée, reposant sur
une interdépendance économique accrue. C'est en cela que le
partenariat reste un outil incontournable pour faire face aux tensions
régionales. Il prévoit essentiellement la mise en place d'une
zone de libre-échange entre l'UE et les PM. Ces derniers doivent
cependant accompagner l'ouverture commerciale par un effort de réforme
économique interne. Le programme qui leur est proposé est soutenu
par une enveloppe financière spécifique de 5,35 milliards d'euros
pour la période 2000-2006 (MEDA), auxquels s'ajoutent 7,4 milliards
d'euros de prêts de la Banque Européenne d'Investissement
(BEI).
L'idée d'une régulation à
l'échelle régionale a suscité un véritable
engouement pour la macro-régionalisation comme cadre favorable à
l'échange autant qu'à la régulation publique. La
perspective d'une zone euro-méditerranéenne comme région
économique, sans aller jusqu'aux aspects théoriques des ZMO,
s'appuie sur trois arguments. Le premier est de nature prospective,
fondé sur l'analyse de la localisation des activités
économiques et prône la tournure régionale de la
globalisation. Le second est un argument géographique qui décrit
l'ampleur des échanges économiques
transméditerranéens, souvent sous-estimés. Le dernier
argument relève de la prise de conscience récente des pouvoirs
publics européens quant à la nécessité d'une
politique régionale.
A ce sujet, les travaux menés par le Centre
d'Analyse et de Liaison des Acteurs de la Méditerranée (CALAM)
sur l'enseignement supérieur et la recherche ou encore sur la gestion de
l'eau démontrent la pertinence de l'option régionale dans
l'optimisation des biens publics. Cette vision est partagée par Michalet
pour qui l'intégration Nord-Sud favorise la réduction des
coûts de main-d'oeuvre, l'accès aux grands marchés
centraux, le développement d'une spécialisation intra-branche,
mais également la circulation des biens, des services et des capitaux
à travers des circuits internes à la région (Michalet
[2004]). La stabilité des conditions économiques
générales est alors assurée par l'ouverture
préférentielle des barrières nationales aux entreprises de
la région (utilisation de chartes de l'investissement).
Par ailleurs, la coordination des politiques publiques
à l'échelle régionale constitue un enjeu
géoéconomique et géopolitique de taille. Il s'agit, en
l'occurrence, d'un facteurclé en matière de formation, de
reconnaissance des diplômes et d'organisation des flux migratoires.
Rappelons que la coordination, en tant que procédé de
régulation des politiques nationales, assure à l'échelle
régionale un partenariat public-privé. Concrètement, on
estime que l'intégration économique entre l'Europe et ses voisins
méditerranéens reste insuffisante. On constate même un
décrochage par rapport aux Etats-Unis, notamment sur les quatre piliers
de la puissance (économie, technologie, culture, et leadership
militaire).
Pour des raisons de proximité, l'Europe est
particulièrement exposée aux effets négatifs de
l'insuffisance du niveau de développement des PM (migrations massives,
extrémismes religieux, prolifération d'armes, rattrapage
technologique difficile). Ceci affecte évidemment la coordination
économique, commerciale et culturelle euroméditerranéenne.
Concrètement, les accords d'association de Barcelone ont
été freinés durant les premières années du
processus de négociation par des difficultés politiques et
juridiques. Aujourd'hui, alors que certains pays tentent de pallier les
carences de leurs mécanismes de marché, d'autres souffrent encore
de pauvreté prononcée ou de monopole étatique rigide, le
tout ponctué d'une instabilité politique au Proche-Orient. Pour
se cantonner aux seules politiques de réforme, force est de constater
que la divergence la plus marquée, quant à leur état
d'avancement, oppose les pays fortement dotés en ressources naturelles
à ceux qui ne le sont pas.
a. Réformes dans les pays peu dotés en
ressources naturelles
Ce premier groupe de pays inclut l'Egypte, la
Jordanie, le Liban, le Maroc, ainsi que la Tunisie. Ces pays ont pour
particularité d'être relativement avancés dans
l'orientation générale des réformes. Etant donné
leur faible potentiel en ressources naturelles, ces économies ont
entamé une série de mesures en faveur de la libéralisation
du commerce plus décisives et plus crédibles. Après avoir
fait l'expérience d'une décennie d'ajustements progressifs de
l'industrie nationale, les pressions sur les marchés intérieurs
du travail visant la création de nouveaux emplois ont fait pencher la
balance en faveur d'une réforme accélérée. Nous
allons, dans ce qui suit, en aborder les différents aspects.
Tout d'abord, la réduction des barrières
tarifaires envisagée dans le cadre du processus de Barcelone,
jugée trop lente, a fini par réorienter les négociations
vers la réduction des bénéfices des partenaires
commerciaux en échange de propositions de réformes commerciales
accélérées. Dans cette optique, l'ouverture commerciale en
Tunisie a mis l'accent sur certains produits (biens d'équipement,
produits intermédiaires) et accentué la protection effective pour
d'autres.
Dans les autres pays du groupe, les tarifs moyens ont
globalement avoisiné les 30% en 2003 (36% au Maroc et 21% en Egypte), ce
qui représente plus du double de la moyenne des pays à bas revenu
et à revenu intermédiaire. Par conséquent, un
intérêt particulier a été accordé à
l'adoption d'une réduction tarifaire généralisée et
uniforme. Il s'agit aussi de simplifier la structure des tarifs, au vu des
accords régionaux d'échanges.
En parallèle, la suppression des
barrières non tarifaires a été progressive mais pas
totale. L'objectif à terme, serait de remplacer les barrières non
tarifaires par leur équivalent tarifaire en vue d'introduire davantage
de transparence et minimiser le lobbying en faveur des licences
à l'importation. En Tunisie, ces licences ont été
remplacées par des barrières administratives (cahiers de charge)
qui ne sont finalement qu'un autre type d'obstacle au commerce
extérieur.
Au Maroc, ce sont les normes qualitatives et les
contrôles techniques systématiques qui ont été
utilisés. Ils n'ont cependant aucune équivalence internationale
et n'offrent qu'une faible protection. Dans plusieurs pays, notamment en
Egypte, les procédures d'homologation sont longues et coûteuses.
Il reste encore des efforts à faire avant de s'aligner sur les principes
de l'OMC.
Il est à noter que le processus de
réduction tarifaire peut occasionner des pertes de revenu
(conséquences budgétaires) qui sont toutefois
récupérables grâce à l'impôt domestique (TVA).
Les pertes de fiscalité dues au commerce extérieur peuvent
générer une croissance totale plus rapide, surtout qu'elles sont
souvent surestimées. Au Maroc, par exemple, les recettes issues des
droits d'entrée sont une source importante de revenu pour le budget
national.
Elles ont été évaluées
à 4,2% du PIB en 1995, peu avant le processus de réduction
tarifaire imposé par l'accord d'association avec l'UE. Entre 1996 et
2000, ce chiffre est tombé à 3,3% du PIB, soit une perte
d'environ 1% en cinq ans. Cette perte a été compensée par
une hausse des importations de 25%, ce qui a permis aux droits d'entrées
de continuer à générer des recettes. Sur le plan des
réformes douanières, des progrès ont été
réalisés par le Maroc et la Jordanie. En Egypte et en Tunisie,
les procédures demeurent complexes et fastidieuses, les coûts de
transaction sont particulièrement importants pour les PME, les
inspections excessives et les périodes d'attente longues
(étranglement administratif).
Concernant le secteur des services
(télécommunications, transports, finances, éducation et
santé), des efforts restent à faire en termes d'ouverture
à la concurrence. Au Maroc et en Jordanie, les coûts de transport
portuaire et routier sont élevés. En outre, la privatisation du
transport aérien suscite une action d'urgence, notamment sur le fret. La
Tunisie doit davantage libéraliser ses télécommunications.
L'Egypte doit activement encourager la concurrence des banques
étrangères. Par ailleurs, le nombre de démarches
imposées lors du lancement de nouveaux projets est extrêmement
coûteux et supérieur à la plupart des normes
internationales. Tous les pays de la région doivent envisager une
déréglementation permettant de minimiser les procédures
bureaucratiques et les coûts de transaction pour les nouvelles
entreprises.
Pour finir, rappelons que les PM se
différencient aussi par la politique de change adoptée. La
Tunisie par exemple a un flottement contrôlé, avec pour cible un
taux de change réel. La Jordanie et le Maroc ont des taux de change
rattachés au dollar. Au Maroc, la surévaluation persistante du
taux de change a contribué à sa faible performance en
matière d'exportation dans les années 90. A présent, la
situation s'est améliorée. En Egypte, l'adoption d'un taux de
change flottant a contribué à la réduction de la
protection tarifaire. Une dévaluation a récemment permis de
protéger les industries d'importation. Au Liban, des ajustements
macroéconomiques soutenables sont nécessaires pour
bénéficier des avantages des réformes du commerce
extérieur.
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