2. Etude de cas n° 2 : Converger vers une zone
monétaire au Mercosur
En 1991, le traité d'Asunción marque le
début du processus d'intégration économique en
Amérique Latine, avec la création du Mercosur. Il s'agit d'une
zone de libre-échange réunissant l'Argentine, le Brésil,
le Paraguay et l'Uruguay qui entreprennent une baisse initiale des tarifs
douaniers de 40%. Dès janvier 1995, la zone se transforme
progressivement en marché commun par la libre circulation des facteurs,
la convergence des tarifs ainsi que la coordination des politiques
macroéconomiques. En 1996, le Chili et la Bolivie intègrent le
Mercosur comme membres associés. Enfin, c'est à l'occasion du
Conseil du Marché Commun de Montevideo (décembre 1997) que la
perspective d'évoluer vers une union monétaire est
envisagée et éveille l'intérêt de nombreux
économistes (Eichengreen [1998], Belke et Gros [2002]).
Le Mercosur est caractérisé par
d'importants avantages comparatifs dans le secteur agricole et l'industrie
textile, même si le secteur des services est peu développé.
Le marché de la zone est dynamique et la plupart des échanges
s'opèrent avec l'UE et les Etats-Unis. Chaque pays a
évolué vers la libéralisation de son économie,
passant par une ouverture prononcée aux marchés des capitaux
internationaux. Ceci leur a permis de bénéficier de flux
financiers externes pour palier le manque d'épargne interne. Toutefois,
la volatilité du marché due aux comportements spéculatifs,
conjuguée à des niveaux d'endettement externe et de chômage
alarmants, a créé de l'instabilité dans la région
(crise du réal brésilien en 1999, crise argentine en
2001...).
A la lumière des critères de convergence
définis pour le Marché Commun Européen (fin des
années 80), nous proposons d'analyser la capacité du Mercosur
à évoluer vers une ZMO. En plus des critères traditionnels
définis dans le cadre d'une ZMO, nous avons introduit de nouveaux
indicateurs monétaires et financiers tenant compte du contexte de
globalisation et de l'ouverture aux marchés internationaux des capitaux.
Au final, notre objectif est de comparer la situation des pays
d'Amérique Latine à celle des pays européens dont le
projet d'union monétaire a abouti.
Le modèle européen de la période
précédent le traité de Maastricht (1986-1991) constitue
une base de comparaison (benchmark) pour évaluer le degré de
convergence des pays du Mercosur. Il permet d'estimer la capacité de la
zone à abandonner les instruments de taux d'intérêt et de
taux de change pour évoluer vers une union monétaire. D'un point
de vue technique, nous avons utilisé les méthodes d'analyse
multicritère pour positionner les pays d'Amérique Latine par
rapport aux profils européens (benchmarking par Electre Tri), puis de
les classer (rating par Electre III)23.
Avant toute chose, il est utile de revenir sur les
principaux enseignements théoriques relatifs à la stabilisation
des économies émergentes lors de l'adoption de taux de change
fixes (cf. annexe 13). Cette revue de la littérature nous a
permis de réunir les critères d'évaluation au sein de deux
grandes familles faisant référence à la théorie des
ZMO. Le premier axe, intitulé << critères traditionnels
», contient six éléments (cf. encadré 31) et
le second axe, intitulé << nouveaux critères », en
contient sept (cf. encadré 32).
L'échantillon des pays concernés par
l'étude de convergence est composé des économies membres
du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay), mais
également des partenaires associés (Bolivie et Chili). Le but est
de disposer d'un ensemble assez large à partir duquel nous identifierons
les pays les plus aptes à évoluer vers une union
monétaire. Le poids attribué à chaque critère
dépend de l'importance qui lui est accordée ou de
l'intensité de son impact sur les économies traitées.
L'échelle des pondérations varie de 1 à 5 et permet
d'accentuer l'effet d'un critère sur le classement (cf.
encadrés 31 et 32). Nous avons insisté sur l'importance de
la seconde famille de critères car les fragilités
financières sont à l'origine des crises de change de la
décennie 90. En effet, ces variables macro-financières ont, en
majeure partie, joué un rôle déterminant dans la
crédibilité de la politique des taux de change des pays
émergents.
23 L'étude comparative entre l'évolution
actuelle du Mercosur et celle de l'UE avant le traité de Maastricht
s'inspire de l'un de nos articles (Gimet et Guessoum [2003]).
Encadré 31 : Critères traditionnel de
convergence au Mercosur
- Taille de l'économie (poids = 1) :
mesurée par le PIB, en millions de US$. Il s'agit d'un critère
décroissant car ce sont surtout les petites économies qui
commercent avec le reste du monde qui ont intérêt à fixer
leur taux de change et donc à intégrer une zone
monétaire.
- Mobilité du travail (poids = 4) :
mesurée par la différence en valeur absolue entre le taux de
chômage de chaque pays et le taux de chômage moyen de la zone
étudiée. Il s'agit d'un critère décroissant car la
mobilité du travail est révélée par un faible
écart de taux de chômage entre les pays de la
région.
- Ouverture commerciale (poids = 2) : mesurée
par le part des importations et des exportations dans l'économie. Il
s'agit d'un critère croissant car une ouverture prononcée permet
en cas de choc asymétrique de rétablir l'équilibre externe
par des effets de compensation au niveau des exportations et des importations,
sans troubler l'équilibre interne.
- Intégration des marchés financiers
(poids = 4) : mesurée par la différence en valeur absolue entre
le taux d'intérêt du pays et un taux de référence.
Cette référence est calculée à partir de la moyenne
des 3 taux d'intérêt les plus faibles de la région
augmentée de 2 points. Ceci est inspiré de la méthode
utilisée pour définir le critère de convergence de taux
d'intérêt du traité de Maastricht. Il s'agit d'un
critère décroissant car une parfaite mobilité des capitaux
au niveau de la région suppose un écart minimum entre les taux
d'intérêt de chaque pays.
- Convergence des taux d'inflation (poids = 4) :
mesurée par le différentiel du taux de croissance de l'IPCH
(indice des prix à la consommation harmonisé) du pays par rapport
à une référence. Cette référence est
calculée à partir de la moyenne des 3 taux de croissance de
l'IPCH les plus faibles de la région augmentée de 1.5 points.
Ceci est inspiré de la méthode utilisée pour
définir le critère de convergence de taux d'inflation du
traité de Maastricht. Il s'agit d'un critère décroissant
car la stabilité monétaire nécessaire lors de l'adoption
d'un régime de change fixe passe par le maintien du taux d'inflation
à un niveau faible.
- Diversification de l'économie (poids = 2) :
mesurée par la valeur ajoutée du secteur industriel, en
pourcentage du PIB. Il s'agit d'un critère croissant car lorsque le
poids du secteur industriel est important, celui du secteur agricole diminue,
ce qui permet de minimiser la probabilité d'un choc externe majeur
venant déstabiliser l'économie.
Source : Gimet et Guessoum [2003], p.
9.
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Concrètement, l'évaluation que nous
avons élaborée se décline en deux étapes. La
première est une procédure de benchmarking et consiste à
appliquer Electre Tri de manière globale sur tout l'échantillon.
La seconde est une démarche de rating et vise à appliquer Electre
III de manière partielle sur les sous-échantillons issus du tri
(car l'échantillon initial sera fragmenté). Cette démarche
prend en compte les six pays d'Amérique Latine et concerne les
périodes 1996 et 2001. Il s'agit donc d'une statique comparative
(cf. annexes 13 et 14).
Rappelons que les deux méthodes
appliquées ont en commun les performances des actions ainsi que les
pondérations des critères. Néanmoins, les seuils
d'indifférence et de préférence sont différents,
étant donné qu'Electre III opère sur des sous-ensembles de
pays qui doivent être comparés entre eux, alors qu'Electre Tri
opère sur l'échantillon complet de pays qui doivent être
comparés à des profils. Par ailleurs, cette dernière
méthode introduit des paramètres qui lui sont propres : les
performances des profils de référence.
Encadré 32 : Nouveaux critères de
convergence au Mercosur
- Epargne nationale (poids = 5) : mesurée par la
part de l'épargne dans l'économie. Il s'agit d'un critère
croissant car le manque d'épargne d'un pays suppose une
dépendance importante vis-à-vis des capitaux
internationaux.
- Endettement externe (poids = 4) : mesuré par
le ratio dette externe à court terme sur réserves internationales
dans l'économie. Il s'agit d'un critère décroissant car un
pays est lourdement freiné par une dette externe trop importante par
rapport à son stock de devises. En effet, dans ce cas, celui-ci voit
augmenter son risque d'illiquidité, et de fait, sa
vulnérabilité face à une éventuelle attaque
spéculative.
- Volatilité du marché financier (poids
= 4) : mesurée par le rapport entre les IDE et les investissements de
portefeuille. Il s'agit d'un ratio opposant les capitaux de long terme aux
capitaux de court terme. Ce critère est croissant car une part
importante des IDE est bénéfique pour le développement de
la zone.
- Réserves internationales dans
l'économie (poids = 3) : mesurées par le ratio réserves
internationales sur M2. Il s'agit d'un critère croissant car un stock de
réserves internationales important est nécessaire pour
répondre à une demande éventuelle de devises
étrangères (paiement des importations, sorties massive de
capitaux étrangers suite à une perte de confiance des
agents...).
- Risque d'illiquidité (poids = 4) :
mesuré par le poids des crédits domestiques par rapport à
M2. Il s'agit d'un critère décroissant du fait des
difficultés liées à un excès de crédit par
rapport aux liquidités disponibles dans le pays.
- Contrôle des mouvements de capitaux (poids =
3) : mesuré par le poids des flux de capitaux de court terme
(investissements de portefeuille) par rapport au PIB. Il s'agit d'un
critère décroissant traduisant le risque inhérent à
une quantité importante de mouvements de capitaux de court terme
volatils (il y a un manque de contrôle des flux).
- Déficit de la balance courante (poids = 2) :
mesuré par la part, en pourcentage, du solde courant dans le PIB. Il
s'agit d'un critère croissant car un déficit de la balance
courante peut être interprété comme une source de
fragilité du pays au yeux des investisseurs
étrangers.
Source : Gimet et Guessoum [2003], p.
9.
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a. Déroulement du benchmarking par Electre
Tri
Le benchmarking que nous avons réalisé
permet de répertorier les pays du Mercosur en trois catégories :
meilleures performances (30%), performances moyennes (40%), mauvaises
performances (30%). Elles sont délimitées par deux profils
:
- Profil 1 : déterminé à partir
du 70ème centile d'une série composée des douze
pays membres de la zone euro. Un pays qui surclasse le profil 1 réalise
de meilleures performances que 70% des économies européennes
prises en compte.
- Profil 2 : déterminé à partir
du 30ème centile de la même série
précédente. Un pays qui surclasse le profil 2 et qui est
surclassé par le profil 1 réalise de meilleures performances que
30% des normes européennes. Si un pays est surclassé par le
profil 2, il fait partie des économies qui sont surclassées par
70% des normes européennes.
Les seuils de préférences faible et
forte permettent de comparer les performances des pays d'Amérique Latine
avec celles des benchmarks européens. La méthodologie
utilisée suppose l'existence de deux seuils de préférence
faible et deux seuils de préférence forte liés aux profils
1 et 2. Ces seuils peuvent varier d'une période à l'autre, selon
l'évolution des performances des actions et des profils.
Comme pour l'étude de cas relative aux PM, nous
avons utilisé des fonctions statistiques pour calculer les seuils
(moyenne, écart-type, maximum et minimum). De la même
manière, nous avons défini le seuil de préférence
faible sur chaque critère par l'écart en valeur absolue entre le
profil 2 et le maximum des performances. Parallèlement, le seuil de
préférence forte s'inspire de l'écart en valeur absolue
entre le profil 1 et le minimum des performances. Nous avons également
utilisé les écarts moyens entre les performances des actions et
des profils 1 et 2.
L'ensemble de ces valeurs a servi de support à
la détermination des seuils définitifs. Ceux-ci ont
été validés après juxtaposition des performances
des actions avec celles des profils. Précisons enfin que nous n'avons
pas introduit de seuils de veto. Il s'agit de la même démarche
empruntée lors l'application empirique précédente
(étude de cas 1). Le
niveau de coupe utilisé lors de
l'exécution des algorithmes de tri est ë
= 0,76. Celui-ci convient à notre analyse et permet au modèle de
rester stable. En effet, les résultats ne subissent aucune variation sur
l'intervalle [0,745 ; 0,805] pour 1996 et sur l'intervalle [0,710 ; 0,805] pour
2001. Au terme des procédures d'affectation, nous avons obtenu une
classification des pays du Mercosur sur deux catégories seulement
puisque la classe 1 est restée vide (cf. encadré
33).
Encadré 33 : Comparaison des pays du Mercosur
aux benchmarks européens
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1996
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2001
|
Catégorie 1
|
Catégorie 2
|
Catégorie 3
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Catégorie 1
|
Catégorie 2
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Catégorie 3
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Argentine Chili Paraguay
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Bolivie Brésil Uruguay
|
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Bolivie Uruguay
|
Argentine Brésil
Chili Paraguay
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Source : Gimet et
|
Guessoum [2003], p. 11.
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Il est à noter que les critères de
convergence vers une ZMO évoluent en raison des changements qui
affectent le contexte économique et les marchés financiers. C'est
pourquoi il est essentiel d'étudier l'évolution des positions
relative et absolue des pays du Mercosur par rapport aux normes
européennes entre le début et la fin de la période
étudiée. Concrètement, nous allons comparer les
performances de 1996 à celle de 2001, en utilisant respectivement les
profils de 1986 et 1991 (c'est l'approche relative). Nous allons
également comparer les performances de 1996 à celle de 2001, en
utilisant les profils de 1986 uniquement (c'est l'approche
absolue).
En définitive, nous avons relevé autant
d'évolutions dans le sens de la progression que dans celui de la
régression (cf. encadré 34). A première vue, il
pourrait s'agir d'une éventuelle convergence au sein du Mercosur. Pour
confirmer ce résultat, il suffit d'identifier la nature des
évolutions en fonction des classes24.
24 Si les éléments de la classe
supérieure progressent et ceux de la classe inférieure
régressent, l'écart augmente et les éléments
divergent. Si les éléments de la classe supérieure
régressent et ceux de la classe inférieure progressent,
l'écart se réduit et les éléments
convergent.
Il apparaît que les pays qui évoluent
dans le sens positif (progression) appartiennent tous à la
catégorie 3, alors que les pays qui évoluent dans le sens
contraire (régression) font partie de la catégorie 2. Il y a bien
une convergence en Amérique Latine.
Encadré 34 : Evolution du contenu des
catégories en Amérique Latine
Catégorie 1 Catégorie 2 Catégorie
3
Catégorie 1 Catégorie 2 Catégorie 3
Catégorie 1 Catégorie 2 Catégorie 3
Catégorie 1
Catégorie 2
Début de période Fin de période
Position relative Position absolue
Source : Gimet et Guessoum [2003], p.
13.
Catégorie 3
Début de période Fin de période
Il reste à comparer l'évolution des
catégories avec un arrière-plan fixe puis variable. Sur les
graphiques des positions relative et absolue (cf. encadré 34),
nous avons superposé, deux à deux, les catégories. Les
résultats montrent que les pays de la catégorie 2
améliorent leur position relative comparativement à la position
absolue. Ces pays évoluent donc plus vite que les standards
européens de l'époque. En revanche, les pays de catégorie
3 sont quasiment aux mêmes niveaux sur les plans relatif et absolu. Ces
pays évoluent donc en phase avec les normes de
référence.
En somme, les pays du Mercosur évoluent
à un rythme satisfaisant par rapport à la dynamique
européenne mais semblent converger vers le bas. Les crises survenues
durant la dernière décennie, notamment la crise asiatique suivie
de la dévaluation du réal brésilien, y ont fortement
contribué. Ces crises ont constitué un facteur de
dégradation de la situation économique et financière des
pays, pourtant performants en début de période.
Ainsi, la convergence évoquée n'est pas
celle qui était espérée car les pays de catégorie 2
ont enregistré une baisse de leurs performances plus prononcée
que l'amélioration des performances des pays de catégorie 3. Les
évolutions des pays ont été, dans la plupart des cas,
accompagnées de changements de catégorie dans les deux sens. Par
conséquent, il y a eu certainement une convergence à un moment
donné, mais elle ne s'est pas stabilisée. Il y a eu inversement
des positions, une sorte de retour à la situation initiale avec
seulement une permutation des contenus respectifs des classes.
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