b. Système de pondérations et principe de
trichotomie
Une nouvelle variante des méthodes
multicritères de classement a permis de remettre en question la
nécessité d'un système de pondérations. Lors de la
réunion du groupe EuroMulti (1980), Roy a esquissé les principes
majeurs d'une procédure de rangement sans introduire de
pondérations aux critères : il s'agissait d'Electre IV. Il l'a
ensuite appliquée avec l'aide de Hugonnard (1981) sous forme d'une
séquence de systèmes relationnels emboîtés de type
(S, R). Cette séquence est limitée à
quatre relations de surclassement, notées : Sq
(quasi-dominance), Sc (dominance canonique),
Sp (pseudo-dominance) et Sv
(veto-dominance). Chaque relation admet un surclassement de degré moins
élevé que la relation qui la précède :
Sq c Sc
c Sp c Sv
(cf. encadré 23).
Encadré 23 : Construction et exploitation du
surclassement dans Electre IV
- Construire les relations de quasi-dominance, de
dominance canonique, de pseudo-dominance et de veto-dominance :
ai Sq ak <=>
V j : non (ak Pj ai) et non (ak Qj
ai).
ai Sc ak <=>
3 j : non (ak Pj ai) avec la possibilité
d'avoir : ak Qj ai.
ai Sp ak <=>
3 j : non (ak Pj ai) et Card {j :
ak Qj ai} < Card {j : ai Qj
ak}.
ai Sv ak <=>
V j : pas de veto en faveur de ai et les
écarts (eij -- ekj)
favorables à ak ne dépassent pas
vj.
- Fixer des indices de crédibilité
(2q,
2c,
2p,
2v) liés aux
niveaux de dominance, tels que :
2q >
2c > 2p >
2v et 2q = 1. Ces indices sont
artificiels car ils ne sont pas calculés sur la base des degrés
de surclassement (puisqu'il n'y a pas d'indices de concordance et de
discordance).
- Calculer la
2q-qualification de
chaque action ai : q
2q (
ai ) = Card {ak E A
: ai Sq ak} -- Card
{ak E A : ak Sq
ai}, puis déterminer le premier distillat du classement descendant
: D1 = {ai E A : Max{
q2q (ai )
}}.
- La classe Cl1 est en tête du classement
descendant si D1 ne contient qu'un seul élément.
Autrement, réitérer l'opération sur les
éléments de D1, en utilisant la relation
Sc, et ainsi de suite.
- Reprendre les mêmes étapes sur
l'ensemble A\D1 en utilisant la relation
Sc, en vue de dégager la seconde classe
(Cl2), et ainsi de suite. Mais contrairement au processus de
distillation d'Electre III, qui se poursuit jusqu'à épuisement de
l'ensemble A, celui d'Electre IV s'arrête avec la relation
Sv.
- Procéder par analogie à la
distillation ascendante, en remplaçant la fonction Max par une
fonction Min. Enfin, construire un classement final à partir
des deux classements précédents avec la même
méthodologie qu'Electre III.
Source : Roy et Bouyssou [1993], pp.
426-428.
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La suppression des poids signifie qu'Electre IV est
une méthode purement ordinale où les seuils de concordance et de
discordance n'ont pas lieu d'être. Il s'agit d'une simplification qui
permet de pallier le manque d'objectivité émanant de la mise en
place du système de pondérations. Un tel raisonnement implique
qu'aucun critère ne doit être favorisé par rapport aux
autres. Ce même argument qui prône la neutralité joue en
défaveur de la méthode car la logique suivie pour concevoir les
algorithmes d'Electre IV est peu accessible, du moins, pour le décideur.
En effet, comment expliquer qu'aucun des critères ne soit
favorisé, sans pour autant associer cette idée à
l'équipondération ?
En définitive, il est essentiel de laisser une
marge de manoeuvre dans l'estimation de l'importance de chaque critère.
Il faut donc préserver les mécanismes d'attribution des poids
pour faire apparaître les effets des critères sur le
résultat final. Il faut aussi pouvoir introduire la notion de <<
benchmark », autrement dit, les exemples de bonnes pratiques avec lesquels
les actions sont comparées. Dans ce sens, une autre variante d'Electre
permet justement de tenir compte de tels facteurs. Il s'agit de la notion de
<< profil de référence » introduite par Electre
Tri.
Dans sa toute première version, le tri a
été modélisé par la trichotomie, principe mis au
point par Roy et Moscarola (1976). Il suppose l'intervention de trois
catégories prédéterminées : les actions
immédiatement jugées satisfaisantes, les actions
immédiatement jugées mauvaises et les actions inclassables qui
nécessitent un complément d'informations. Depuis, cette
répartition a évolué vers des algorithmes comprenant
autant de catégories que l'évaluateur le souhaite. On parle alors
d'Electre â ou encore d'Electre Tri mise au
point par Yu (1992) et permettant d'affecter les actions à des classes
hiérarchisées (Belacel [2000], p. 7).
L'une des caractéristiques principales de la
méthode se situe au niveau de construction des relations de
surclassement. Il ne s'agit pas de comparer les actions entre elles, mais de
les affecter à des catégories
prédéterminées, après les avoir positionnées
par rapport à des profils de référence.
Concrètement, les performances des actions sont comparées aux
performances des profils. Par conséquent, l'attribution de chaque action
à une catégorie se fait indépendamment de celle des autres
actions et n'influe pas sur leur affectation. Précisons qu'Electre Tri
introduit, comme les méthodes précédentes, un
système relationnel de préférences de type (S,
R).
La construction du surclassement consiste en la mise
en place d'un modèle de préférences permettant de comparer
les actions de A à des standards prédéfinis
bh (postes de référence). Il les affecte ensuite
à des classes hiérarchisées Ch
(catégories), en utilisant des normes préétablies
c(bh) (profils de
référence).
La procédure d'affectation commence alors par
la définition des catégories Ch (h
?{1...l}) de façon ordonnée, de
sorte que C1 reçoive les actions les plus
satisfaisantes (en tête de liste) et Cl recueille les
actions les moins satisfaisantes (en fin de liste). Chaque poste de
référence bh est déterminé de
manière à ce qu'il caractérise la borne inférieure
de la catégorie Ch et la borne supérieure de
la catégorie Ch+1 (il y a donc moins de
profils que de catégories).
Il faut ensuite constituer pour chaque poste
bh son profil de référence
g(bh). Celui-ci est un vecteur composé des
performances de bh sur les critères cj
:
g(bh) =
(g1(bh), g2(bh) ...
gn(bh))
Il suffit de délimiter chaque catégorie par
un plancher bh (profil bas de Ch) et un
plafond bh-1 (profil haut de Ch).
A partir des seuils d'indifférence, de
préférence et éventuellement de veto, les algorithmes
d'Electre Tri procèdent au calcul des indices de concordance, de
discordance et des degrés de surclassement. La méthodologie
utilisée pour ce faire suit la même logique que dans Electre III.
La seule différence est que l'action ak et sa performance
ekj sont remplacées par le profil
bh et sa performance bhj.
A gauche les formules sont relatives aux
critères croissants, et à droite elles concernent les
critères décroissants. Le calcul du seuil de concordance global
et du degré de surclassement est commun aux deux types de
critères :
n
)
h
ðj c
j (a i,b
ð j
j =1
c(ai , ak), si ?
j : dj(ai , ak) =
c(ai , ak) 1c ( a ,
bh)
dj (a b h)
: ( , ) ( , ) 1 ( , )
?> , si ? j:
dj(ai , bh) >
c(ai , bh)
i - c a b
h
j d j a i b c a
b
h h i
i
Encadré 24 : Construction et exploitation du
surclassement dans Electre Tri
Le deroulement de l'algorithme d'Electre Tri s'appuie
essentiellement sur les six conditions de validite du surclassement suivantes
:
- Condition d'unicite : une action ai
appartenant à une categorie Ch ne peut être
affectee à autre categorie.
- Condition d'independance : l'affectation d'une action
ai à une categorie Ch n'est influencee par
et n'a d'influence sur aucune autre affectation d'une quelconque action
à une quelconque categorie.
- Condition de conformite : les actions appartenant
à une categorie Ch sont delimitees par deux postes
de references bh-1 et bh
(avec gj(bh) <
gj(bh-1) si cj est un
critère croissant), tel que : [ai S bh et
non(bh S ai)] et [bh-1 S
ai et non(ai S bh-1)].
- Condition de monotonicite : chaque action ai
qui en surclasse une autre appartient à une categorie plus en amont :
ai S ak =
(ai?Ch`) et
(ak?Ch?) / h`
= h?.
- Condition d'homogeneite : les actions ai
appartenant à la même categorie Ch (avec :
h`= h = h?) sont
bornees par le haut et par le bas :
S ai , non(ai S
bh`-1) , bh` R
ai
bh`-1
ai?Ch
ai S bh?,
non(bh?S ai),
bh``-1 R ai
- Condition de stabilite : la suppression d'un poste
de reference bh n'affecte que les categories qu'il delimite
(Ch+1au plafond et Ch au
plancher). Les actions qui s'y trouvent sont reunies au sein d'une même
categorie Ch*. Les autres categories preservent
leur contenu prealable et ne subissent aucun changement. Par consequent, une
modification partielle n'affecte pas la stabilite globale du
modèle.
Pour attribuer chaque action ai à la
categorie Ch qui lui correspond, il suffit d'employer l'une
des deux procedures suivantes :
- Affectation pessimiste : l'objectif est de tester
l'affirmation ai S bh
(h?{1...l}) à partir d'une
logique
conjonctive, telle que : ai?
|
C ? h- =
Min{h : ai S bh}.
h -
|
- Affectation optimiste : l'objectif est de tester
l'affirmation bh >- ai
(h?{l...1}) à partir d'une logique
disjonctive, telle que : ai? C h+
? h+ = Max{h :
bh-1 >- ai}. Sachant que la relation
>- est definie ainsi : bh >-
ai ? bh S ai et
non(ai S bh).
L'utilisation de l'une ou l'autre des deux methodes,
depend du caractère prudentiel de l'approche. Le plus important etant
que l'ensemble des actions, une fois trie, verifie les six conditions
mentionnees ci-dessus.
Source : Roy et Bouyssou [1993], pp.
389-400.
Un niveau de coupe ë?[0
, 1] est fixé et tient, à peu de choses près, le
même rôle que l'indice de crédibilité et de
discrimination d'Electre III (2j et
s(2j)). Enfin, le surclassement des actions
ai sur les postes de référence bh
est défini de telle sorte que :
ai S bh ?
ó(ai , bh) =
ë.
Il est à noter que plusieurs procédures
permettent d'exécuter un tri. Celles-ci aboutissent à des
répartitions d'autant plus différentes que le nombre de postes de
référence est grand. Elles ont toutefois pour point commun six
conditions essentielles à la validation du processus d'affectation
(cf. encadré 24).
Dans les paragraphes précédents, nous
avons exposé le contenu des méthodes de classement et de tri,
ainsi que le déroulement de leurs algorithmes respectifs. A
présent, nous allons les examiner sous un angle critique. Pour ce faire,
nous allons relever les points forts et les points faibles des méthodes
Electre à partir desquels il sera possible d'opter pour les
procédures correspondant aux principes de rating et de
benchmarking.
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