2. Champ d'application : Adaptabilité d'Electre au
rating et au benchmarking
Bien que les méthodes Electre répondent
aux problèmes multicritères par une même procédure
(le surclassement), elles n'aboutissent pas forcément aux mêmes
résultats. La source de divergence se situe au niveau de l'exploitation
de la matrice de décision qui fait appel à des relations de
surclassement spécifiques. C'est pourquoi elles ne conviennent pas
toutes au rating et au benchmarking. Electre II, par exemple, n'a pas
été retenue car elle porte uniquement sur l'utilisation de vrais
critères (pas de seuils d'indifférence ni de
préférence). En revanche, Electre III, IV et Tri s'appuient sur
la notion de pseudo-critères qui permet de nuancer l'échelle des
préférences.
Le système de pondérations des
critères issu des procédures Electre III et Tri est sujet
à de nombreuses critiques concernant la subjectivité qu'il
implique. Néanmoins, il n'est pas plus objectif d'exploiter le
surclassement par Electre IV, où l'on a recours à des
paramètres artificiels fixés par l'analyste
(ëq,
ëc,
ëp,
ëv). Cette
méthode fonctionne par la comparaison directe entre les performances des
actions et les seuils, sans faire intervenir les poids des critères, ni
même le degré de surclassement. La démarche est d'autant
plus restrictive que l'exploitation du surclassement est limitée
à quatre relations de dominance (Sq,
Sc, Sp,
Sv).
Il est à noter qu'Electre IV est plus
adaptée aux enquêtes de terrain où l'évaluateur
élabore des questionnaires destinés à un panel d'experts
avec lesquels il reste en contact permanent. Les relations de surclassement
sont alors construites sur la base de considérations dites de bon sens,
issues d'un jeu de questions-réponses entre le décideur et
l'analyse. Cette méthode est donc moins adaptée aux processus de
rating et de benchmarking de type macroéconomique (évaluation de
la dynamique de croissance, de développement ou de transition),
où l'importance des critères joue un rôle-clé. Un
système de pondérations doit impérativement être
instauré. En somme, Electre IV ne convient pas à notre
application empirique.
La construction du surclassement dans Electre III et
Electre Tri part d'indices de concordance et de discordance permettant
d'intégrer l'aspect multidimensionnel de notre problématique.
Elle passe aussi par l'agrégation d'un système de
pondérations permettant de traduire l'importance des critères.
Ceci est utile à l'évaluation du niveau de développement,
de convergence ou de transition d'un échantillon de pays. Dans ce sens,
les procédures Electre III et Tri correspondent parfaitement à
l'application que nous envisageons de faire. Electre III répond à
une problématique de rangement et aboutit à un classement des
pays sur un axe unidimensionnel. Electre Tri répond à une
problématique d'affectation et donne lieu à une classification
des pays en catégories hiérarchisées.
La construction des relations de surclassement dans
Electre III correspond parfaitement au rating car elle résulte d'une
comparaison entre les actions. Dans Electre Tri, ces actions sont
positionnées par rapport à des normes préétablies,
ce qui correspond exactement au benchmarking. Dans ce dernier cas, les profils
de référence, qui sont en général inspirés
de situations concrètes, sont identifiés comme bonnes pratiques
(benchmarks) et donnent à la démarche davantage de
réalisme.
Rappelons que la critique dirigée contre ces
deux méthodes, à propos du manque d'objectivité de la
pondération, peut être contournée. Il suffit, par exemple,
d'identifier une relation de corrélation entre les critères et le
phénomène qu'ils sont censés représenter.
Concrètement, il s'agit d'élaborer une régression
linéaire simple ou multiple. Les indices de corrélation entre la
variable expliquée (le phénomène étudié) et
les variables explicatives (les critères) donnent directement une
équivalence en termes de poids. Ceux-ci sont ensuite
insérés dans les algorithmes d'Electre.
C'est en l'occurrence ce que nous envisageons de faire
au niveau de notre cas pratique (chapitre III). Pour le choix des variables
indépendantes, nous proposons de partir de la revue de
littérature relative au système de représentation
(chapitre I). Elle permet de mettre en exergue l'intensité du lien entre
la croissance économique et les différents facteurs du
développement.
Revenons à présent à l'analyse
critique et néanmoins constructive des méthodes
multicritères considérées. Notre objectif est de
rassembler, autant que possible, les arguments en faveur de notre postulat de
départ. Il s'agit de confirmer la compatibilité des
méthodes Electre III et Electre Tri aux procédures de rating et
de benchmarking.
a. Avantages et inconvénients d'Electre III
Electre III présente de nombreux avantages, en
particulier au niveau de l'information contenue dans la matrice de
décision. Celle-ci est exploitée de façon graduelle,
grâce à l'introduction de seuils d'indifférence et de
préférence. Les classements ainsi obtenus sont justifiés
par l'information disponible et les conclusions qui s'en suivent sont
fondées. Le résultat est d'autant plus nuancé que le
surclassement passe par plusieurs systèmes relationnels de
préférences. L'intersection des classements ascendant et
descendant donne lieu à un classement final plus robuste. Ce classement
est d'autant plus fiable qu'il n'est pas obtenu par la simple addition des
rangs intermédiaires.
Il passe par un procédé de distillation
qui agit comme un filtre sur le surclassement des actions. Electre III est
moins permissive qu'Electre II car elle introduit un nombre plus important de
paramètres. En effet, les indices de crédibilité, les
seuils de discrimination et les ë-qualifications
donnent de la subtilité au modèle. On passe de la simple
comparaison à la distillation pour réduire le nombre d'ex
æquo. En contrepartie, les algorithmes sont plus complexes et moins
accessibles aux non-initiés (opacité du procédé de
distillation).
D'un point de vue technique, l'intersection des
classements direct et inverse engendre un classement médian parfois
paradoxal : une action en tête du classement direct et en fin du
classement inverse16 a le même rang qu'une action en
tête du classement inverse et en fin du classement direct17.
C'est exactement le même problème qui s'est posé au niveau
d'Electre II.
Enfin, notons que les seuils d'indifférence et
de préférence d'Electre III sont fixés de façon
empirique par l'évaluateur et le décideur. Ces paramètres
n'ont pas de mode de calcul défini au préalable et sont par
conséquent exogènes au modèle. Nous remédions
à cette situation en proposant, dans le chapitre III, une
démarche de calcul systématique des seuils. Il s'agit
d'algorithmes permettant de les obtenir de façon intrinsèque et
d'en faire des paramètres endogènes.
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