b. Modéliser les problématiques d'aide
à la décision
« L'aide à la décision est
l'activité de celui qui, prenant appui sur des modèles clairement
explicités mais non nécessairement complètement
formalisés, aide à obtenir des éléments de
réponse aux questions que se pose un individu dans un processus de
décision, éléments concourant à éclairer la
décision et normalement à recommander, ou simplement à
favoriser, un comportement de nature à accroître la
cohérence entre l'évolution du processus d'une part, les
objectifs et le système de valeurs au service desquels cet intervenant
se trouve placé d'autre part » (Roy [1993], p.
21).
En d'autres termes, il s'agit de favoriser la mise en
cohérence du processus décisionnel avec les objectifs et
préférences du décideur, en s'appuyant sur un corpus de
théories (ensembles flous, surclassement), de concepts (critères,
actions, profils) et de procédures (sélection, affectation,
classement). Concrètement, le but est de construire un algorithme
(Electre, Prométhée) destiné à répondre
à la problématique initiale.
« Une décision est souvent un
processus chaotique, fruit de nombreuses confrontations entre les
systèmes de préférences de plusieurs personnes et fruit
(aussi) de toutes sortes d'interactions et de synergies » (Scharlig
[1985], p. 27).
Un nouvel élément est ajouté
à la définition de l'analyse multicritère. Il s'agit d'un
processus interactif où l'évaluateur et le décideur ne
cherchent pas à dégager une solution idéale. Ils tentent
d'intégrer ce processus et d'être aussi utiles que possible en
restant ouverts à la critique et aux remises en question. C'est une
démarche de coordination entre le processus d'évaluation et les
objectifs fixés, sans pour autant chercher une vérité
absolue, une solution optimale, et encore moins une réponse
définitive à un problème. Il est plutôt question
d'acquérir un moyen d'avancer dans le processus de décision, un
moyen d'assister le décideur et de l'aider à apporter des
éléments de réponse aux problématiques
posées. Dans ce sens, l'agrégation multicritère permet
d'élaborer, à partir de données, des indicateurs
directement utilisables dans la prise de décision.
Il est question de concevoir un modèle entrant
dans le cadre de l'analyse de données, aux côtés des
modèles descriptif (résumé des informations pour mieux les
comprendre), explicatif (définition des relations de cause à
effet entre les données) et prévisionnel (prévision des
évolutions d'un phénomène sur la base de données
antérieures). Mais en tant que modèle, il doit correspondre
à un système de représentation.
Les hypothèses et les critères sur
lesquels il s'appuie doivent permettre de traduire, comprendre et
évaluer les conséquences des alternatives proposées au
décideur. Le schéma général d'aide à la
décision est un circuit dont la première étape est la
modélisation (cf. encadré 14).
Encadré 14 : Schéma
général d'aide à la décision appliqué au cas
méditerranéen
Compte-rendu :
Emettre un avis quant à l'accomplissement du processus
de réformes et la bonne affectation des ressources destinées
à financer la transition.
Problématique :
Evaluer la dynamique de transition des PM, en tenant compte du
système de représentation imposé par le cadre actuel.
Mise en oeuvre Résolution
Source : Guessoum [2002], p. 13.
Modélisation
Interprétation
Modèle :
Résultats :
Affecter les PM à des catégories
représentatives des différents stades de développement et
évaluer la distance qui les sépare des profils de
référence.
Comparer les PM à des benchmarks sur la base de
critères politiques, économiques et sociaux, via les
procédures Electre.
Cette étape passe d'abord par l'analyse de la
question posée permettant de cerner le champ d'application, les
délais de l'étude et le système de valeur. La
modélisation suppose aussi la formulation d'une problématique
décisionnelle ayant pour conséquence un choix, un tri, un
rangement ou une description. Elle passe ensuite par l'agrégation des
décisions dans un langage choisi afin de comparer les alternatives. A ce
niveau, la dimension subjective entre en jeu car la quantification des
critères et le choix des échelles de mesure ne répondent
pas toujours à des techniques standard. Enfin, la modélisation
suppose la définition du domaine de variation des paramètres et
de leur degré d'incertitude. Il est utile de formuler les contraintes
par une liste exhaustive de critères couvrant les différents
aspects du problème posé.
L'étape de résolution est la phase
d'application empirique. On entreprend alors une démarche algorithmique
exacte s'appuyant sur une approche mathématique (programmation
linéaire). Autrement, on adopte une heuristique sans afficher de
méthode scientifique (modélisation des
préférences). Le processus se poursuit par la mise en application
de l'algorithme sélectionné, en utilisant des logiciels
adaptés. Il permet de désigner une solution unique ou un
sous-ensemble de solutions (choix). Autrement, il aboutit à un
classement (ordre) ou une classification (tri) des éléments du
problème. La phase de résolution aboutit enfin à une
analyse de sensibilité des résultats.
Cette étape permet de tester la robustesse du
modèle face à la variation des paramètres et de s'assurer
que les données ne sont pas biaisées. Une fois le résultat
obtenu et testé, il faut l'interpréter et le convertir dans un
langage accessible au décideur. L'analyste doit donc formuler une
recommandation sur la base des résultats obtenus. Il ne l'impose pas
mais la transmet à titre informatif au décideur. C'est à
ce dernier que revient le droit de trancher. La dernière étape du
schéma général d'aide à la décision est la
mise en oeuvre, à savoir l'application concrète de la
recommandation avec l'aval du décideur. Il est enfin utile d'effectuer
un suivi des conséquences de la décision, par des ajustements ou
des actions correctives. Au final, l'analyste, en collaboration avec le
décideur, identifie de nouveaux problèmes que peut susciter
l'application pratique de la décision. A ce stade, un circuit
décisionnel est de nouveau lancé en tenant compte des actions
correctives et ainsi de suite jusqu'à obtention d'un résultat
satisfaisant.
Avant d'enclencher un processus de décision, il
est important de bien cerner la question devant être traitée : il
faut formuler une problématique décisionnelle. Celle-ci suit une
typologie bien précise qui regroupe trois, voire quatre
procédures : le choix, le tri, le classement et la description (qui est
propre à Roy). Cette typologie permet d'opter pour la procédure
qui concorde avec la mise en oeuvre du processus d'évaluation. Rappelons
que chaque méthode relève d'une démarche qui correspond
à une problématique en particulier (cf. encadré
15).
Encadré 15 : Typologie des problématiques
de l'analyse multicritère
|
Type
|
Objectif
|
Démarche
|
Conséquence
|
á
|
Aboutir à un sous- ensemble restreint
d'actions.
|
Un processus de sélection :
|
Un choix :
|
L'homme d'étude sélectionne un
sous-ensemble d'actions candidates au poste de décision
finale.
|
Le décideur opte pour l'action la plus
satisfaisante du sous-ensemble proposé.
|
â
|
Aboutir à des catégories
hiérarchisées d'actions.
|
Un processus d'affectation :
|
Un tri :
|
Le décideur obtient des actions triées en
groupes allant du meilleur au moins satisfaisant.
|
L'homme d'étude affecte chaque action à une
catégorie préalablement définie.
|
ã
|
Aboutir à des classes d'actions
ordonnées.
|
Un processus de classement :
|
Un rangement :
|
L'homme d'étude regroupe les actions en classes
d'équivalence ordonnées selon les préférences du
décideur.
|
Le décideur dispose d'actions ordonnées de
la meilleure à la moins satisfaisante.
|
ä
|
Modéliser á,
â ou ã
par une matrice de décision.
|
Un processus cognitif :
|
Une description :
|
L'homme d'étude traduit les actions dans un
langage compatible avec le modèle, puis les résultats dans un
langage accessible au décideur.
|
Le décideur dispose d'une interprétation
des actions et conséquences dans des termes accessibles.
|
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Source : Roy et Bouyssou [1993], p. 31 ; Scharlig
[1985],
|
pp. 65-67.
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En se référant au tableau ci-dessus, il
apparaît que ä n'est pas une
problématique en soi, ce qui explique pourquoi aucun spécialiste
de l'analyse multicritère ne l'ait intégré dans le
processus de décision (exception faite de Roy). La description n'est pas
considérée au même titre que le choix, le tri ou le
rangement : ä n'est pas une fin, c'est un moyen.
Elle permet, après avoir opté pour
á, â ou
ã, de passer du langage du décideur
à celui du modèle (agrégation des données) puis du
langage du modèle à celui du décideur
(interprétation des résultats). De ce fait, la description est
une étape implicite qui se greffe spontanément à tout
processus d'évaluation. Elle contribue à résoudre le
problème de quantification des critères subjectifs, en mettant
à la disposition de l'évaluateur une procédure de passage
de l'état de fait à celui de chiffre.
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