I. FONDEMENTS THEORIQUES EVALUER PAR L'ANALYSE
MULTICRITERE
Le choix d'une méthodologie d'évaluation
dépend de l'approche adoptée lors de la collecte des informations
et de la modélisation des faits. Il est donc indispensable de cerner les
apports théoriques et empiriques de l'analyse multicritère,
comparativement aux méthodes d'optimisation...
1. Principes de l'aide à la décision : De
l'optimisation à l'analyse multicritère
Avant l'émergence d'une logique
multicritère, les problèmes de décision se ramenaient en
général à l'optimisation d'une fonction économique.
Cette approche avait l'avantage de déboucher sur des modèles
mathématiques clairement posés mais qui ne reflétaient pas
forcément la réalité. C'est alors que les méthodes
d'analyse multicritère se sont substituées à
l'optimisation. A l'occasion de la conférence de l'Université de
Caroline du Sud, la première rencontre scientifique internationale
spécialisée dans l'analyse multicritère a
été organisée en 1972. Dix ans plus tard, une unité
de recherche a été mise en place avec un groupe d'analystes aux
centres d'intérêt hétérogènes. Ce fut tout
d'abord un climat d'incompréhension qui s'est instauré, du fait
de la diversité des origines scientifiques des pionniers de l'analyse
multicritère.
Loin d'établir une parfaite synergie, c'est
plutôt un choc des cultures qui a pris place, notamment entre le principe
<< decision making » de l'école anglo-saxonne et
l'optique << decision aid » de l'école
européenne. Il était difficile de faire accepter de nouvelles
approches dans un milieu alors dominé par des postulats prônant la
rationalité, l'optimalité et le quantitatif. Le premier courant,
fondé sur des principes axiomatiques issus des travaux de Von Neumann et
Morgenstern, ne remet pas en question les trois postulats prédominants
de cette époque, tandis que le second courant les discrédite
totalement. Au-delà des divergences entre les écoles
multicritères considérées comme antagonistes, une
perspective d'intégration a progressivement été
instaurée dans le sens d'une complémentarité plutôt
que d'une concurrence injustifiée (Bana-e-Costa [1993]).
Il a fallu disposer d'un ensemble cohérent
d'instruments théoriquement bien fondé (d'où l'importance
de son axiomatisation) et pratique (d'où l'importance de sa validation).
Pour Bana-e-Costa, l'émergence de l'aide multicritère à la
décision tient à un processus de réflexion
méthodologique articulé autour de trois concepts-clés :
imbriquer les éléments objectifs et subjectifs, introduire une
démarche constructiviste d'apprentissage et instaurer une
interactivité entre les parties impliquées dans la
décision.
Ces trois principes offrent à l'utilisateur
davantage de finesse et de subtilité dans la définition du
système de représentation et l'agrégation des
indicateurs.
<< L'aide multicritère à la
décision ... foisonne de nuances qui, contrairement au monopole du
simplexe en programmation linéaire, permettent l'élaboration de
nombreuses méthodes, voire de variantes de méthodes. Mais face
à cette abondance, comment choisir ? » (Ben Mena [2000], p.
91).
L'objectif du présent chapitre est de
répondre à cette interrogation. A première vue, nous
pouvons avancer que le choix de la méthode dépend des moyens
techniques de l'évaluateur et du budget du décideur. Il
dépend aussi de la qualité et de la quantité des
informations disponibles, du type de résultat souhaité... En
outre, l'expérience de l'évaluateur tout autant que les
connaissances éventuelles du décideur en matière d'analyse
multicritère sont déterminantes.
Nous allons, dans un premier temps, introduire un bref
rappel théorique concernant les origines et les fondements de l'analyse
multicritère. Comment se présente un modèle d'aide
à la décision et quel type de problématiques permet-il de
traiter ? Dans un second temps, nous allons nous intéresser aux concepts
de base qui constituent ce domaine. Quels sont les apports de l'analyse
multicritère comparativement aux techniques dites classiques
d'optimisation ? Enfin, nous allons exposer un échantillon de
méthodes susceptibles de répondre à une
problématique d'évaluation.
<< Adopter l'optique multicritère, en
matière de décision, c'est avant tout prendre ses distances
vis-à-vis de l'optimisation. C'est aussi quitter la recherche
opérationnelle classique pour rejoindre l'aide à la
décision. C'est encore abandonner les méthodes «dures»
pour des méthodes plus «douces». Mais c'est surtout la
critique de l'optimisation qui est importante. Elle est à l'origine de
l'optique multicritère » (Scharlig [1985], p. 15).
Les bases de l'analyse multicritère sont
inspirées des méthodes d'optimisation et plus
précisément de leur critique. En effet, ces méthodes
permettaient de traiter uniquement les problèmes qu'il était
possible d'isoler de leur contexte. A la fin des années soixante et
après une période d'hégémonie de quinze ans, la
recherche opérationnelle ou << management scientifique » a
essuyé une vague d'échecs (Bouyssou [2003]). Ackoff, pionnier de
l'optimisation qui s'est consacré au développement de ces
techniques, a finalement abouti à une sérieuse remise en
question. L'auteur démontre qu'un problème de décision
peut être abordé selon trois optiques (Ackoff [1981]).
L'approche << resolve » solutionne
un problème et obtient une réponse satisfaisante par le bon sens.
C'est une méthode clinique subjective courante dans le domaine de la
gestion. L'approche << solve » résout un
problème et aboutit à une solution optimale par une
démarche analytique. Il s'agit d'une méthode scientifique
objective que l'on retrouve en recherche opérationnelle. Enfin,
l'approche << dissolve » permet de décomposer le
contexte de l'évaluation et d'en modifier les paramètres pour les
ajuster au problème traité. Cette approche, fondée sur la
synthèse, relève de l'expérimentation.
Il apparaît clairement que les questions
auxquelles est confronté un décideur, qu'il soit à la
tête d'une structure microéconomique ou d'un Etat, ne se
cantonnent pas à la recherche de solutions optimales. L'aide à la
décision ne se limite pas à dissoudre un problème dans son
environnement mais doit permettre de s'adapter à celui-ci. L'objectif
final est d'atteindre une solution acceptable ou réalisable, compte tenu
de cet environnement et des possibilités qu'il offre. La démarche
méthodologique adoptée pour ce faire doit allier les aspects
qualitatifs et quantitatifs des critères introduits dans le
système de représentation.
a. Critiquer l'optimisation pour raisonner en
multicritère
La recherche opérationnelle a
épuisé ses ressources car on lui a attribué une mission
trop ambitieuse, à savoir la prise de décisions optimales en
toutes circonstances. Dès lors, une série de travaux allant
à l'encontre des fondements de l'optimisation ont alimenté la
critique. Pour commencer, les articles << Il faut désoptimiser la
recherche opérationnelle » (1965) et << Critique et
dépassement de la problématique de l'optimisation » (1977)
de Roy sont incontournables en la matière. En somme, l'auteur remet en
question le postulat suivant : tout problème de décision aboutit
au moins à une solution optimale réalisable à partir du
moment où l'on y consacre le temps et les moyens nécessaires.
L'existence d'une telle solution repose sur trois hypothèses
(contraintes implicites) : globalité, stabilité et
complète comparabilité transitive. Cependant, elles ne sont pas
toujours vérifiées.
La première hypothèse permet de
désigner une solution optimale unique parmi un ensemble d'actions
potentielles. Elle suppose que ce résultat englobe tous les aspects du
problème posé et suffit, à lui seul, à
répondre aux attentes du décideur. Il y a donc une contrainte de
globalité car les décisions envisageables sont souvent
complémentaires. La réalité est plus complexe. La seconde
hypothèse suppose que les solutions répondant à la
problématique initiale ne sont pas remises en question au cours de
l'étude. La décision optimale n'est affectée ni par les
constats internes ni par les effets externes. Il y a donc une contrainte de
stabilité puisqu'au fur et à mesure de l'avancement du processus
décisionnel, de nouvelles idées jaillissent. L'interaction entre
l'analyste et son environnement permet d'exclure ou d'inclure des
critères. La dernière hypothèse permet de comparer les
actions sur la base de la préférence stricte et de
l'indifférence. Elle stipule que ces deux relations sont
nécessairement transitives. Il y a donc une contrainte de
complète comparabilité transitive, à savoir que le
processus de décision peut aboutir à une situation
d'incomparabilité ou de préférence faible. Les relations
entre deux actions ne sont pas toujours radicales.
Ces faits prouvent finalement que la marge de
manoeuvre de la recherche opérationnelle est limitée, en raison
des contraintes mathématiques requises par la modélisation des
faits, le plus souvent simplificatrices à l'excès. Cette
façon de procéder peut manquer d'efficacité face aux
problèmes de décision où l'intuition joue un rôle
majeur. Ainsi, une simple analyse coûts / bénéfices montre
très vite ses limites et son inadéquation pour traiter des
problèmes complexes tels que l'évaluation des politiques de
réformes.
Quels facteurs sont en faveur de la croissance ? Quels
critères garantissent un cadre légal efficient ? Ou encore,
comment financer le développement ? Il s'agit des principaux
thèmes qui peuvent être abordés en amont d'un processus de
transition. Dans cet intérêt, l'analyse multicritère
propose un éventail varié de méthodes où finesse
d'esprit et subtilité sont omniprésents. Sur le plan empirique,
notre intérêt porte sur l'évaluation des pays
euro-méditerranéens. Il s'agit d'un terrain d'application
favorable pour tester l'adaptabilité des méthodes
multicritères aux problèmes macroéconomiques.
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