3. Etude de cas 2 : Adopter une stratégie par
rapport aux agences de rating
La succession des crises, due notamment à
l'expansion des mouvements de capitaux à l'échelle internationale
durant la décennie 90, a mis en évidence une sensibilité
croissante des pays aux variations économiques externes réelles
et monétaires. Ces bouleversements financiers survenus en
conséquence d'une ouverture économique accrue se sont, pour la
plupart, transformés en crises internationales. C'est au coeur de ce
contexte d'instabilité que le concept de risque-pays est devenu une
préoccupation majeure, entraînant en parallèle une forte
demande d'informations concernant son évaluation : le rating est devenu
un outil incontournable. La notation des risques encourus à
l'échelle internationale est élaborée par des organismes
spécialisés issus de différents secteurs
d'activité.
Ceux-ci sont en majeure partie des agences de rating
(Fitch, Moody's, S&P, PRS), pour le reste il
s'agit d'assureurs-crédit (COFACE), de cabinets de consulting (BERI,
NSE, EIU) ou de journaux financiers (Institutional Investor,
Euromoney)8.
Le contenu informationnel du rating permet aux parties
exposées au risque mais aussi à celles qui en sont à
l'origine de mieux l'appréhender. En effet, les notes sont un instrument
tactique, tant pour les émetteurs de titres que pour les investisseurs
attendant un retour sur capitaux. Elles permettent aux entreprises de
diversifier leurs sources de financement et d'en optimiser le choix, mais ne
peuvent être utilisées dans le traitement de problématiques
de grande envergure. Trop synthétiques, les ratings des agences ne
peuvent pas aider à la prise de décision macroéconomique.
Les processus de notation ne sont pas transparents et sont qualifiés de
« boites noires », même si, paradoxalement, les notes qui en
sont issues continuent à influencer les tendances de l'économie
mondiale.
L'objectif de la présente étude de cas
est de mettre au point un comparatif entre les méthodologies
employées par les organismes de notation. Pour ce faire, nous avons, en
premier lieu, établi un parallèle entre les différentes
approches du risque-pays. En second lieu, nous avons examiné le contenu
des systèmes d'évaluation des agences de notation, à
savoir les familles de critères et les échelles de notes. En
dernier lieu, nous avons effectué un test de convergence sur les
ratings. Il semble a priori que les agences de notation, du moins
celles que nous avons intégrées dans notre cas pratique
(Fitch, Moody's, S&P), ont des grilles
d'évaluation similaires (notes alphabétiques de long terme et de
court terme). Leurs zones de couverture ainsi que leur typologie des risques se
ressemblent. Il reste à savoir si ces systèmes convergent
réellement sur les résultats.
a. Typologie du risque-pays et critères de
notation
Compte tenu du nombre d'agents économiques
ayant recours à la notation, du nombre de structures proposant
l'élaboration des ratings, ainsi que du nombre d'approches à
travers lesquelles le risque-pays est décomposé, un panel
d'analyses est proposé à ce sujet. Les divergences
éventuelles entre les résultats émis par les agences de
rating ont pour principale origine trois facteurs : les critères
utilisés pour définir les risques, la méthodologie
employée pour les évaluer et les notes qui leur sont
attribuées. Nous allons nous pencher sur chacun de ces facteurs en nous
servant d'exemples concrets.
Les critères sur lesquels s'appuient les
analyses du risque-pays sont pour la plupart d'ordre quantitatif (ratios),
directement issus de sources nationales (Banque Centrale, Ministère des
Finances) ou internationales (BM, FMI, OCDE). D'autres critères
notamment liés à la dette gouvernementale ou à
l'endettement externe, s'inspirent de données estimées à
partir de séries statistiques. Ce type d'indicateurs permet de disposer
d'informations chronologiques quant aux performances des économies et
aux caractéristiques de leurs structures. Celles-ci peuvent mettre en
évidence d'éventuelles tendances et faire ressortir certains
évènements cycliques. Cependant, les analyses du risque-pays se
basent aussi sur des critères d'ordre qualitatif.
8 L'annexe 6 donne une typologie des organismes de rating
et de leurs indicateurs.
Outre les données numériques, soulignons
que les différents avis et jugements émis par les experts, bien
que subjectifs, sont consultés. Ainsi, chaque indicateur résulte
de l'interaction entre précision des analyses quantitatives et
complexité des faits réels. Afin de pouvoir cerner la notion de
risque-pays et d'en saisir les composantes, trois points de vue sont
généralement adoptés : le type d'acteur économique
touché par le risque, la nature du risque et le type de crise conduisant
au risque (Gautrieaud [2002], pp. 3-16). Dans la première approche, la
définition du risque-pays consiste à se positionner du
côté de l'entité économique nationale qui en subit
les conséquences, à savoir les banques, les investisseurs ou les
exportateurs. Ceci donne lieu à trois catégories de risque
affectant les transactions internationales qu'il est possible de
protéger par des contrats d'assurance (COFACE, NSE) :
- Le risque bancaire se manifeste par des incidents de
paiement liés au comportement de l'Etat débiteur (politique
nationale restrictive sur le montant des devises ou les sorties de capitaux).
Il peut aussi toucher un emprunteur privé (mauvaise gestion de
l'activité ou environnement défavorable) et prend la forme d'un
retard de paiement pouvant aller jusqu'au non-remboursement des
intérêts ou du principal. Enfin, les banques s'exposent au
risque-pays à partir du moment où elles interviennent dans une
opération de financement internationale.
- Le risque financier (pour les investissements de
portefeuille) ou industriel (pour les IDE) est généralement
provoqué par un acte souverain. Il s'agit essentiellement du
contrôle exercé par l'Etat sur les filiales d'une firme ou sur la
gestion de titres financiers (Marois [1990], p. 9).
- Le risque commercial est inhérent aux
opérations d'exportation. Il se manifeste sous forme de coût
d'opportunité lors de la fermeture d'un marché étranger
pour des raisons politiques, ou sous forme de non-recouvrement des
créances détenues sur un importateur étranger, à
l'issue de mesures prises par l'Etat d'accueil comme l'interdiction de
transférer des devises aux non-résidents (Marois [1990], p.
10).
Dans la seconde approche, le risque-pays est
défini par rapport à l'entité économique qui en est
à l'origine. C'est la nature du risque qui est mise en avant car il y
est apprécié en fonction des caractéristiques du
débiteur étranger qui le provoque :
- Le risque souverain ou de non-transfert est
lié aux défaillances de l'Etat, son incapacité ou son
refus de recouvrir ses créances. Si l'Etat tente de s'acquitter de sa
dette, mais est dans une incapacité financière passagère,
la volonté du pays n'est pas remise en cause. En revanche, si l'Etat
fait preuve d'une volonté affichée de ne pas restituer les sommes
dues, les termes originaux du contrat d'endettement sont
renégociés (modification de l'échéance et des taux
d'intérêt).
- Le risque systémique est provoqué par
les défauts de paiement des agents qui se répercutent directement
sur la solvabilité générale des pays. Les crises de la
décennie 90 illustrent parfaitement l'ampleur du phénomène
: les défaillances privées internes ont d'importantes
répercussions à l'échelle nationale puis internationale
(effet boule de neige et contagion).
La dernière approche met en avant le fait
générateur des crises et définit le risque-pays en se
focalisant sur l'origine des événements qui ont
déclenché ces crises. L'idée est d'apprécier le
climat général des affaires pouvant modifier les termes des
contrats :
- Le risque politique n'est pas toujours
associé à la volonté des Etats de ne pas honorer leurs
engagements financiers. Les guerres, les révolutions, les émeutes
sociales ou encore les grèves sont autant d'événements qui
peuvent déstabiliser une économie. D'autres obstacles viennent
entraver le bon déroulement des opérations internationales
(barrières douanières, confiscation de biens,
nationalisations...).
- Le risque économique et financier est
lié à l'incapacité de l'Etat à rembourser ses
dettes en raison de l'insuffisance du niveau des agrégats
macroéconomiques (croissance du PIB, solde budgétaire,
investissement, épargne...) ou de la défaillance des secteurs
bancaire et boursier.
Les frontières séparant ces
différentes approches restent quand même floues. C'est pourquoi
chaque agent économique touché par le risque, peut avoir recours
à une institution spécialisée dans son segment
d'activité. Les agences de rating par exemple, s'occupent du risque
souverain, la COFACE s'intéresse au risque commercial, NSE aux risques
des exportateurs et des investisseurs industriels, et les banques au risque
bancaire. La typologie des critères de notation dépend de
l'optique à travers laquelle le risque-pays est
approché9.
Par ailleurs, un système de poids permet de
mettre l'accent sur les critères plus importants. Les
pondérations varient aussi selon le niveau économique du pays
concerné par le rating : les pays industrialisés se
caractérisent par une stabilité structurelle, ce qui n'est pas le
cas des PVD. De plus, la disponibilité des données
utilisées dépend de ces deux types de configuration : les
économies développées disposent d'informations
détaillées concernant la politique fiscale, alors que les
économies émergentes disposent plutôt de données
relatives à la dette externe et à la balance des paiements. Au
niveau de la répartition des critères, la plupart des agences de
notation se rejoignent sur les échéances des titres émis
ainsi que sur les principaux thèmes abordés. Deux grands axes
reviennent en général, à savoir la sphère politique
et le domaine économico-financier (cf. encadré
10).
Sur ce dernier point, il est possible de dresser une
liste des facteurs spécifiques entrant dans la composition du
risque-pays. A cet effet, une étude montre que les critères
peuvent être regroupés au sein de 24 catégories
synthétiques, dont 13 touchent essentiellement au domaine
économico-financier, alors que les 11 autres relèvent de la
sphère politique. Les facteurs récurrents au sein du premier axe
sont « Compte courant et balance des paiements » et « Niveau
d'endettement ». Les facteurs « Comportements et anticipations des
agents » et « Environnement politique » sont les plus
fréquents au sein du second axe (cf. annexe 7, tableau
1).
9 Une fiche synthétique regroupant les
entités spécialisées dans la notation (typologie et
secteur d'activité) est introduite en annexe 6.
Par ailleurs, cette étude montre que les
organismes de rating utilisent globalement autant de critères
quantitatifs (objectifs) que qualitatifs (subjectifs). Les données sont
réparties de manière équitable entre ordinal (notation
alphabétique) pour les agences de rating et scalaire (notation
numérique) pour le reste des institutions. Enfin, pour ce qui est des
sources d'informations, elles proviennent essentiellement de bases de
données officielles (cf. annexe 7, tableau 2). Ceci semble
jouer en faveur des organismes de notation par rapport à ce qui leur est
reproché en matière de transparence. Rappelons toutefois que ce
problème n'intervient que bien plus loin dans le processus de rating :
l'utilisation d'une « black box » se fait lors du traitement
des intrants.
Encadré 10 : Thématiques communes aux
évaluations du risque-pays
Risque politique
Risque interne
Risque externe
/ Conflits externes
I Influence provenant de l'étranger
Croissance du PIB
/ Niveau de développement économique
I Revenu par tête
/
Politiques monétaire et fiscale
I Part des investissements dans le PIB /
Inflation
/
I Indicateurs de la dette externe
Equilibre externe
I Balance des paiements
Source : Bouchet et al. [2003], pp.
109-110.
Economie domestique
I Efficacité des politiques
/ Marché parallèle / Corruption
I Instabilité politique
/ Conflits internes
Risque
économico- financier
I Solidité du système bancaire
En définitive, il est essentiel que les
analyses du risque-pays soient précédées d'études
sur le potentiel de marché. Il s'agit de démarches connexes qui
prennent en compte une série de critères ayant trait au niveau de
développement économique. Les facteurs utilisés à
cet effet relèvent de la structure démographique, du
marché de l'emploi, de la production, des transactions commerciales, du
poids du secteur privé, de l'équilibre de l'offre et de la
demande, ainsi que de la croissance. On y retrouve, entre autres, des
indicateurs macroéconomiques tels que le PIB, le solde courant, les flux
de capitaux, le taux d'inflation et le taux de chômage. Tous ont pour
objectif de faire le point sur la situation des pays, sans forcément
émettre de notes. L'ensemble de ces indicateurs est à titre
informationnel et peut servir de base au processus de benchmarking.
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