b. Identification des écarts et évolution
des performances
Après avoir examiné le contenu des
différentes classes issues de la CAH, nous avons constaté que
celles-ci comptaient autant de pays d'Europe de l'Est que de pays
sudméditerranéens. Nous pouvons donc avancer que les pratiques
sur le plan du cadre légal économique ne divergent pas entre les
deux régions. Par ailleurs, nous avons remarqué que sur
l'indicateur global (regroupant les sept familles de critères) les
profils de référence se situaient au sein de la catégorie
1. Il s'agit a priori du groupe de pays les plus performants. Le
tableau ci-dessous donne la composition des classes en fonction des zones
géographiques PM8, AC10 et PVA3. Il spécifie, en outre, les
classes auxquelles appartiennent les profils de références
(cf. encadré 9).
Les niveaux de dissimilarité intra-classe des
dendrogrammes 1.a. à 8.a. et 1.b. à 8.b. (cf. annexe 5)
nous ont permis de déterminer les distances entre les profils et les
éléments de la classe 1. Nous avons retenu au niveau de chaque
dendrogramme, les branches qui sont au voisinage des profils de
référence. Les résultats montrent que les pays les plus
performants en termes de bonnes pratiques sur le plan global sont la Hongrie et
Israël. Les autres pays, en revanche, se distinguent individuellement dans
un domaine en particulier. C'est le cas de la Lettonie, de la Lituanie et de la
Slovénie pour les lois sur les monopoles et la concurrence.
Avec des gouvernements de moins en moins
interventionnistes dans l'activité économique, ces pays ont
flexibilisé leurs politiques de concurrence et cassé les
monopoles. En outre, ils ont bénéficié d'une
régulation de qualité permettant un contrôle minimal mais
suffisant des prix. En République Slovaque, c'est le domaine douanier
qui a été favorisé avec une politique commerciale
efficace, notamment pour ce qui relève des barrières
tarifaires.
La Jordanie se démarque en matière de
réglementation du marché du travail, notamment en ce qui concerne
les lois régissant le salaire minimum et la prime de chômage. Sur
la réglementation du marché des capitaux, le pays possède
un système de contrôle à l'entrée et à la
sortie des flux d'investissement ainsi que sur les taux de change. En
matière d'IDE, la Jordanie réalise des performances
satisfaisantes au niveau de son code des investissements, ainsi que sur celui
du traitement des filiales étrangères, de la disponibilité
des sources de financement et de la redistribution des revenus. Le Liban
réalise des performances satisfaisantes sur le plan de la
réglementation du système bancaire. La gestion administrative est
plus flexible, notamment grâce à une intervention moins
prononcée du gouvernement dans l'activité des banques (locales ou
étrangères). Concernant les lois régissant l'accès
aux sources de financement étrangères et la convertibilité
en devises, le Liban présente également des performances
favorables.
La Tunisie se démarque au niveau de
l'environnement des affaires, avec un cadre attractif où le gouvernement
tente de faire preuve de plus d'efficacité : réduction des
blocages bureaucratiques, amélioration de la qualité du service
public et promotion du système juridique. Le pays se distingue en
matière de droits de propriété et pratique un
contrôle sévère sur la corruption. Il possède, par
conséquent, une part de marché parallèle parmi les plus
faibles de l'échantillon étudié. La Turquie, qui continue
à alimenter les débats au sujet de son éventuelle
adhésion au sein de l'UE, présente des performances anormalement
faibles (proches de celles de la Roumanie et de l'Egypte), en partie dues
à la crise bancaire et financière du début des
années 2000.
Pour finir, nous avons relevé qu'entre 1995 et
2003, les PECO se sont remarquablement rapprochés des standards
européens et ont vu leur taux d'occupation dans la classe de
référence s'accroître de 80% à 90%. En 2003, ces
pays ont enregistré en moyenne un degré d'ouverture comparable au
niveau européen7. Ceci correspond à la mise en place
de politiques commerciale et de concurrence favorables, et concorde
parfaitement avec le passage à l'Union des vingt-cinq.
En somme, nous pouvons avancer que l'organisation du
milieu des affaires suit globalement quatre directions. L'une d'entre elles est
considérée comme référence et les performances des
pays y appartenant (principalement des PECO) côtoient celles des
meilleures pratiques dans le monde. Pour les trois autres catégories, le
chemin à parcourir en matière de réglementation de
l'activité économique est encore long.
7 Le ratio (importations + exportations) / PIB est de 83%
pour les PECO et de 99% pour l'UE, selon les bases de données du
PNUD.
Encadré 9 : Composition des classes en fonction
des zones géographiques (2003)
AC10 PM8 PVA3 ~ Profils de
référence
Source : Guessoum [2005a], p.
13.
Par ailleurs, le positionnement des groupes de pays
autour de la classe 1 détermine l'écart séparant les
différentes catégories (chacune reflétant une pratique),
de la classe 1 (le cadre légal attractif). A cet effet, le niveau de
dissimilarité inter-classe donne l'ordre dans lequel les branches des
dendrogrammes ont été reliées. Les résultats
indiquent que les classes 2, 3 et 4 sont aussi loin les unes que les autres de
la classe de référence. Ceci s'explique par le rapprochement des
pratiques des trois classes sur les lois régissant la concurrence, le
cadre des affaires et les droits de propriété. Dans ces domaines,
les pays qui ne font pas partie de la catégorie de
référence semblent réglementer lourdement
l'activité économique, réduisant l'efficacité des
institutions et le niveau de productivité. Un rapport émis par la
BIRD explique à ce sujet que les pays qui réglementent le plus
(émergents pour la plupart) sont paradoxalement ceux pour lesquels la
capacité de mise en application des lois et les moyens de contrôle
de l'Etat sont les plus faibles. Par conséquent, une
réglementation excessive est considérée comme un facteur
de blocage (Banque Mondiale [2004]).
Sous un angle dynamique, notre étude montre que
la répartition des pays a gagné en
homogénéité entre 1995 et 2003. En début de
période, les pays euro-méditerranéens sont répartis
de façon équitable sur les quatre catégories (cf.
annexe 5, dendrogramme 8.a.). En fin de période, seuls les PECO et
Israël sont regroupés dans la même catégorie que les
profils de référence (cf. annexe 5, dendrogramme 8.b.).
En outre, l'évolution du contenu de chaque classe montre que les pays
tendent à converger. En effet, la moyenne des distances entre les
éléments d'une classe et son centre de gravité a
diminué. Bien que cette baisse reste minime (de l'ordre de 5%), elle
signifie que la mise en pratique des politiques économiques tend
à s'uniformiser au sein des catégories.
Les résultats escomptés vont finalement
dans le sens de la convergence des politiques nationales au service d'enjeux
communs et confortent les autorités dans la mise en oeuvre de programmes
collectifs. A l'issue du processus d'ouverture, les PM ont été
confrontés à un choc externe qui les a conduits à
réformer leur cadre légal économique à des
degrés sensiblement différents. A l'heure où certains
gouvernements effectuent un travail de fond sur le plan institutionnel (cas de
la Tunisie), d'autres commencent à peine à dresser un agenda de
réformes (cas de la Syrie). En définitive, l'organisation du
milieu des affaires suit quatre directions. L'une d'entre elles est
considérée comme référence, puisque les
performances des pays qui en font partie (essentiellement des PECO),
côtoient celles des meilleures pratiques (70ème centile
mondial, moyenne de l'UE, moyenne de l'OCDE).
Au-delà de l'évaluation du cadre
institutionnel euro-méditerranéen par une double approche
comparative et dynamique, l'apport principal de cette étude de cas est
de mettre en avant l'intérêt des critères subjectifs. En
effet, lorsque l'objet de l'évaluation présente des aspects
qualitatifs, les avis et jugements émis par les spécialistes sur
le terrain deviennent incontournables. L'évaluation du cadre
légal économique présente ces spécificités,
dans le sens où la quasi-totalité des critères pris en
compte sont qualitatifs. L'introduction de tels paramètres a
été concrétisée par le biais d'échelles de
mesure numériques facilitant leur manipulation au sein d'une application
empirique.
Enfin, rappelons que le choix des critères,
qu'ils soient de nature quantitative (objectifs) ou qualitative (subjectifs),
n'est pas totalement neutre et suppose l'émission d'un jugement par
l'évaluateur. En vue de retranscrire le plus fidèlement possible
ce qu'il veut « faire dire » à son modèle, l'analyste
peut se référer aux indicateurs des organismes
spécialisés : Fraser Institute pour la liberté
économique, World Economic Forum pour la
compétitivité, Transparency International pour la
corruption... Il est, de ce fait, tenu de faire preuve de pertinence, tant sur
le choix des indicateurs que sur celui de leur source de
provenance.
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