7.2.2. Des pistes d'actions pour des systèmes
d'élevage durables
Au terme de cette recherche sur les ressources pastorales, les
pratiques pastorales et les stratégies qui les sous-tendent et en
considérant le contexte tel qu'il apparaît que peut-on dire des
conditions qui pourraient permettre un élevage durable ?
L'élevage extensif (sédentaire ou mobile) est-il viable et
durable dans le terroir de Kotchari ? Si non quels sont les ajustements
nécessaires qui doivent être opérées en son sein et
dans le système global étudié ? Quelle
pourraient être les conséquences de ces
ajustements sur le devenir des écosystèmes du terroir et des
réserves voisines ? En d'autres termes, il s'agit de répondre
à la question : « comment garantir la mobilité
d'élevage tout en l'adaptant au contexte local ? »
Une gestion adaptative qui prend appui sur la
maîtrise des effectifs
En se basant sur l'état actuel des pâturages du
terroir, on peut dire que certaines des pratiques mises en oeuvre par les
éleveurs et les autres acteurs sont durables. On s'attendait, en effet,
face aux effectifs de bétail observés sur le terroir, à
des niveaux de dégradation des unités pastorales, notamment
celles les plus anthropisées (UPP3, UPP4, UPP5 et UPP6), plus
élevés. Toutefois, la situation d'ensemble ne pourrait être
durable (c'est-à-dire efficace sur le long terme) que si les effectifs
de bétail présent sur le terroir étaient
maîtrisés, comme l'explique bien César (1994). En effet, le
problème central de la gestion des écosystèmes
pâturés tient à l'équilibre entre les pressions
d'exploitation et l'état des ressources. Ce problème a longtemps
été réduit à celui d'une gestion des troupeaux et
des espaces qui se fondait sur la notion de capacité de charge.
Cependant la pertinence d'une telle approche est maintenant fortement
contestée, surtout en contexte de non-équilibre (Ellis &
Swift, 1988 ; Grouzis, 1988 ; Behnke & Scoones 1992 ; Magda et al.
2001 ; Hatfield & Davies, 2006 ; Wane, 2006 ; Allen et al. 2011)
comme c'est le cas ici108. Sans revenir sur la controverse qui
entoure une telle notion (voir l'encadré II-1, page 34 pour plus de
précision), rappelons simplement que dans les environnements instables
(César, 1992 & 1994 ; Hatfield & Davies, 2006) la
quantité de matière sèche produite varie
considérablement dans l'espace et le temps avec le régime des
pluies ; il devient alors risqué et trompeur (Daget & Godron, 1995)
de baser toute approche de gestion sur celle-ci. Nos résultats montrent,
en effet, que les unités pastorales dans le terroir n'ont pas les
mêmes potentialités et ne sont pas au même niveau de
dégradation et on ne voit pas comment en système ouvert on peut
proposer des mesures ciblées de gestion de charge.
Dans le contexte qui est le notre, marqué par une forte
variation dans la distribution spatio-temporelle des ressources et une non
appropriation de celles-ci, la gestion des écosystèmes
pâturés peut se faire selon l'approche de gestion adaptative
(CEMAGREF, 2008) ; celle-ci, mise en oeuvre dans le cadre de la gestion
intégrée de populations d'ongulés sauvages et de leur
habitat, s'appuie sur le suivi d'indicateurs biométriques (qui
renseignent sur l'état corporel des animaux composant les troupeaux) et
biologiques (qui renseignent sur l'évolution des
écosystèmes). En effet, avec le risque de dégradation des
ressources fourragères, la gestion d'ongulés sauvages circulant
librement dans des espaces limités présente certains points
communs avec celle des troupeaux dans les systèmes d'élevage
pastoral. Pour cette faune, la solution aujourd'hui adoptée en Europe
est le déstockage du surplus d'animaux dès que des signaux
négatifs viennent à être observés quant à
l'état d'équilibre des milieux. C'est pourquoi, un
préalable serait de veiller à la maîtrise des effectifs,
à partir de là les indicateurs deviennent de bons outils de
gestion. Parallèlement à
108 Selon la carte phytogéographique de Fontes &
Guinko (1995), notre terroir se trouve dans le district de la Pendjari (zone
sud soudanienne). Cependant, avec la descente des isohyètes et le
régime climatique en cours (voir chapitre 3 ; paragraphe 3.2.1 ; page
45), nous sommes plutôt en contexte de semi-aridité et les
écosystèmes évoluent selon un processus de
non-équilibre.
251
cette gestion adaptative, des ajustements à divers
niveaux des systèmes d'élevage sont nécessaires, ils
pourraient s'inspirer des pratiques locales dont certaines font
déjà la preuve de leur durabilité. Il convient donc d'en
faire l'inventaire pour déterminer celles qui sont à encourager
parce que compatibles avec les dynamiques biologiques en cours.
Les pratiques locales comme porte d'entrée pour
toute intervention
Les troupeaux du terroir sont de grande taille et cette
tendance se renforce. Or, on sait que les grands effectifs sont dommageables
pour les animaux composant les troupeaux en même temps que pour les
écosystèmes pâturés (Daget & Godron, 1995 ;
Boutrais, 1996). En effet, quand la concurrence est ainsi accrue, les animaux
modifient leur comportement alimentaire, ils ne sélectionnent plus les
herbes, ce qui se ressent dans la qualité des rations
prélevées et donc des performances surtout qu'en plus, en de
pareilles circonstances, les distances parcourues sont plus importantes. Par
ailleurs, aucune herbe n'est préservée et les équilibres
sont plus vite rompus.
Les différents groupes d'éleveurs
étudiés ont montré une tendance à l'allotement de
leurs troupeaux, à l'homogénéisation des espèces
(sauf chez les Gourmantchés) vers celles les plus économiques
(bovins et ovins ou bovins seuls) et à la sélection de races
rustiques comme la Barbaji et la Gurmaji qui tendent à
dominer dans les troupeaux locaux. Si cela est à encourager du point de
vue du bien être de l'animal qui arrive à se satisfaire sur de
courtes distances (gains optimisés), il n'en va pas forcément de
même pour l'état biologique de la ressource. En effet, les animaux
peu exigeants ont un comportement alimentaire peu sélectif et
prélèvent presqu'entièrement la ressource
fourragère des milieux pâturés (la pâture est alors
dite rasante ou intégrale) ; l'ampleur des dommages sera, en
conséquence, fonction du niveau de la pression (intensité et
fréquence de fréquentation) de pâture.
La question de l'impact de la composition du troupeau sur les
écosystèmes pâturés devient plus complexe lorsque
celui-ci comprend plusieurs espèces et/ou plusieurs races d'une
même espèce. En effet, alors que, d'après Boutrais (1996),
les troupeaux hétérogènes sont les plus dangereux pour
l'état des ressources en ce qu'ils exploitent une large gamme de
fourrages situés à différentes hauteurs (herbes, feuilles
et fruits d'arbres), César (1992), Lhoste (2004) et Louppe et
al. (2000) repris par Kièma S. (2007) avancent le contraire.
D'après Lhoste (2004), en situation de charge raisonnable, la
diversité animale permet de mieux valoriser les
écosystèmes pastoraux qui, eux-mêmes, restent assez divers
et moins déstabilisés. Si donc, les effectifs sont
maitrisés, il faut accompagner les éleveurs dans la
diversification spécifique de leurs troupeaux et dans l'allotement qui
permet de repartir les charges sur divers milieux et d'éviter les
surcharges localisées. Ce qui permet de prévenir ou de retarder
la dégradation des ressources et l'érosion de la
biodiversité. Les races bovines exigeantes (grandes consommatrices ou
sélectives) (Boboroji et Kiwali)
accélèrent en effet ces phénomènes, mais leur
disparition progressive dans les troupeaux présents dans notre terroir
est un bon signe109 qu'il faut encourager. Pour permettre, par
ailleurs, une diversité dans les choix des races, il convient d'aider
à la promotion de la race Gudali qui, bien que moins
prolifique, est aussi
109 Le bon signe est à voir du côté strict
de la ressource fourragère qui verrait ainsi sa dégradation
amoindrie. Mais si on se place du côté de la biodiversité
animale et de l'attachement que les éleveurs ont avec ces races, il est
clair leur disparition refléterait plutôt une perte.
adaptée. En outre, dans un contexte de cloisonnement et
de réduction des pâturages, l'allotement est une pratique efficace
(Djenontin et al. 2009), surtout lorsque que l'éleveur est mu
par le souci de pouvoir gérer les risques de dégâts
champêtres (meilleure maîtrise de son troupeau) et/ou pouvoir
exploiter tous les recoins du terroir ; ce que ne permet pas un troupeau
à grand effectif.
Le calendrier pastoral des éleveurs de même que
la chaîne de pâturage sont la preuve que ceux-ci tiennent compte
des autres acteurs (éloignement des champs et des
réserves110) dans leurs pratiques d'affouragement des
troupeaux. Toute intervention devra s'en inspirer tout en aidant à lever
les contraintes qui s'opposent à leur mise en oeuvre. Comme on l'a vu,
d'assez vastes portions du terroir ne pouvaient être exploitées en
saison sèche faute de points d'eau fonctionnels pour l'usage pastoral ou
mixte. On est alors tenté comme Binot et al. (2006) de proposer
de réaliser des points d'eau qui seraient ainsi des pôles
d'attraction (Dumont et al. 2001), mais des risques existent ; cela
peut, en effet, drainer les troupeaux des terroirs voisins et provoquer des
dégradations localisées (Touré, 1997 ; Baroin, 2003)
autour de ces points d'eau entrainant ainsi des effets contraires à ceux
attendus.
Les éleveurs résidents explorent un espace de
plus en plus vaste (transhumance, délocalisation temporaire sur les
terroirs voisins) mais le phénomène est d'ampleur moindre eut
égard à la saturation foncière locale. Ils semblent en
fait partagés entre deux options : transhumer ou se sédentariser.
En réalité ils transhument plus qu'ils ne restent sur place et un
grand nombre d'entre eux, qui se font compter parmi les "non transhumants"
fréquentent les aires protégées. Du reste, si la
présence de la race Gurmaji peut laisser penser à un
début de sédentarisation, d'après Kaboré (2010),
ceci est vite contredit par l'accroissement de la taille des troupeaux ;
d'après Boutrais (1996), en effet, la sédentarisation implique
à la fois le changement dans les races (ou leur croisement avec des
races adaptées) et l'abaissement des effectifs. L'accès
camouflé aux réserves repose la question de la valorisation de
leurs ressources fourragères déjà évoquée
par Kièma S. (2007), l'auteur suggère d'ailleurs un accès
bien encadré auxdites ressources.
Limiter les effectifs mais ne pas forcément
sédentariser
L'option de sédentarisation des élevages telle
que le recommandent bien souvent les services techniques étatiques
(Lhoste, 2004; Kossoumna Liba'a, 2009 ; Kossoumna Liba'a et al. 2010)
a déjà montré ses limites par le passé. Kossoumna
Liba'a (2009) montre d'ailleurs que même lorsque les éleveurs en
sont contraints, ils ne peuvent abandonner totalement la transhumance
saisonnière. De même, Dongmo et al. (2007) ont
observé que les tendances à la "sédentarisation" (aussi
constaté par D'Amico et al. 1995 en milieu Mbororo de
Centrafrique) qui naissent dans divers terroirs en Afrique soudano
sahélienne ne s'accompagnaient pas de décapitalisation des
troupeaux. L'option doit donc être écartée et nous
chercherons plutôt à garantir que l'élevage extensif se
maintient dans le terroir tout en s'adaptant. La limitation des effectifs dans
les troupeaux n'est donc pas synonyme pour nous de la fixation des
éleveurs. Une telle option dans les conditions actuelles à
Kotchari, où l'espace tend à manquer, serait risquée pour
l'état des ressources naturelles. Il faut en effet rappeler que des
politiques de
110 Nous avons cependant montré que cela relevait de
stratégie de camouflage
253
sédentarisation totale menées par le
passé (Touré, 1997 ; Scoones, 1999 ; Baroin, 2003) ont connu plus
d'échecs que de résultats probants, elles ont conduit à
des dégradations irréversibles localisées par suite
d'excès de charge. Il est constant en effet qu'une pâture
fréquente et prolongée sur un même secteur du territoire
(par exemple autour des points d'eau) par un nombre important d'animaux est
source d'instabilité.
Nous voyons comme durables des systèmes
d'élevage semi-sédentaires, c'est-à-dire à michemin
entre la sédentarisation et la mobilité telle qu'elle se pratique
actuellement. Nous n'ignorons cependant pas, comme Kossoumna Liba'a et
al. (2010), la difficulté d'une telle "demande" d'abaissement
des effectifs, cela appelle à un changement de paradigme qui conduirait
les éleveurs (les plus nombreux) d'un élevage extensif de
capitalisation, fondement de l'économie pastorale (Daget et Godron, 1995
; Boutrais, 1996), à un système plus marchand qui les ouvrirait
au marché (déstockage des mâles adultes). Cela suppose
cependant l'intensification du système (investissement en aliments
concentrés et en soins divers). Cette intensification suppose par
ailleurs une plus grande intégration à l'agriculture (Raimond,
1999 ; Requiers-Desjardins, 1999) : pratique de cultures à double
usage111 ; ce qui accroît la capacité des
écosystèmes pastoraux à supporter plus de pression de
charge (Harchies et al. 2007). Il est connu que le caractère
naisseur des troupeaux des éleveurs spécialisés (les Peuls
pour ce qui nous concerne) répond à deux stratégies
concourant toutes deux à l'accroissement des effectifs (Lhoste et
al. 1993; Boutrais, 1996): gérer les risques et avoir du lait
pour l'alimentation et surtout les échanges. En s'adonnant à des
activités agricoles à côté de celles pastorales, les
éleveurs seront moins dépendants de leurs troupeaux pour leur
alimentation et peuvent alors entretenir des troupeaux moins prolifiques tout
en valorisant mieux le lait qu'ils produisent comme le suggère Boutrais
(1996). Mais ce qui apparait comme un compromis nécessaire à nos
yeux entre ce type d'élevage et l'état des ressources n'est pas
évident à réaliser, le pastoralisme est en effet un
système de vie et comme tel ses transformations doivent s'inscrire sur
le long terme.
En définitive, l'argument de la maîtrise des
effectifs, même s'il ne permet pas de résorber totalement les
menaces qui pèsent sur les ressources étant donné le grand
dynamisme agricole localement observé, permet tout de même
d'abaisser notamment la pression de pâturage de saison pluvieuse et,
ainsi, de ne pas compromettre la production fourragère. Il s'agit de
maintenir le système dans une situation où la production
fourragère est telle qu'elle suffit à nourrir le cheptel sans se
détériorer.
Intervenir à d'autres niveaux
Nous sommes conscient du fait que toutes ces propositions ne
sont pas suffisantes, nous sommes en effet dans un système complexe qui
prend en compte d'autres acteurs (acteurs du mode agricole, de la conservation,
politiques, etc.) dont les activités interagissent avec les
activités pastorales. Comment alors, atteindre l'équité et
la durabilité lorsque les enjeux défendus par les uns et les
autres s'avèrent antagonistes ? (Harchies et al. 2007 ;
Djenontin, 2010).
111 Les cultures fourragères pures n'ont jamais pu
être adoptées en milieu paysan.
Il est un fait que les politiques de développement
rural, notamment les politiques foncières rurales (Kièma S., 2007
; Kaboré, 2010) privilégient les activités agricoles au
détriment des activités pastorales. Par ailleurs, selon
Kaboré (2010), la politique de gestion participative des aires
protégées et les retombées qui en résultent ainsi
que celle de gestion décentralisée des ressources naturelles dans
les terroirs, sont favorables aux velléités dominatrices des
communautés autochtones (généralement les agriculteurs),
celles-ci trouvent là, en effet, une sorte de seconde chance pour
reconquérir un pouvoir de maîtres territoriaux auparavant remis en
cause par les mêmes politiques. Les éleveurs traditionnels (les
Peuls) et leurs troupeaux, considérés comme des étrangers,
vivent ainsi une situation de précarité foncière du fait
de leur exclusion contrairement à l'esprit inclusif et d'accès
équitable aux ressources véhiculé par ces politiques ; ils
constituent alors une menace pour les objectifs de conservation et ce
malgré le renforcement en cours du dispositif de protection des
réserves (mise en place des ZOVIC comme zones tampon, plus grande
surveillance, etc.).
Cette question d'accès aux ressources des aires
protégées mérite d'être définitivement
posée. Nos résultats montrent en effet que, localement, le
système arrive à se réguler parce qu'une grande part du
troupeau accède au parc W et à la réserve partielle de la
Kourtiagou. Il est difficile d'imaginer les conséquences sur les
écosystèmes en périphérie, et donc sur les
populations et leurs troupeaux, si le dispositif de surveillance et de gestion
participative qui l'accompagne arrivait à bout de la pâture
illégale dans les réserves fauniques voisines. Sans
accéder au désir de la majorité des populations riveraines
de voir leur bétail accéder librement aux réserves (ce
qui, du reste, reviendrait à reporter les difficultés de
maintenant dans le futur), nous convenons avec Kièma S. (2007) qu'il y
va de l'intérêt même des gestionnaires des aires
protégées, d'entrevoir un accès contrôlé
à leurs ressources. Le sujet reste délicat et la forme
(accès par parcage direct ? accès indirect par fauchage de la
paille ?) reste à définir mais, de notre point de vue, il faut
anticiper sur ce qui adviendra forcément. A ce sujet, il faut signaler
qu'une expérience originale se mène dans le parc de la Pendjari
au nord-Bénin, contigu au parc W (extrait d'entretien avec Tiemoko
Djafarou, directeur national du Parc national de la Pendjari ; avril 2010). La
direction de cette réserve de biosphère, grâce à des
contrats signés avec les éleveurs résidents, permet
l'exploitation indirecte (fauchage de la paille) dans la zone tampon.
L'expérience s'est avérée concluante, elle a permis en
effet de mobiliser ces communautés, qui perçoivent
désormais l'utilité de cette entité, dans la surveillance
des ressources contre la pâture illégale. Des réflexions
sont d'ailleurs en cours pour envisager l'expérimentation du parcage
direct toujours sous-forme contractuelle.
En ce qui concerne les activités agricoles, le
défi réside dans la forte progression du front agricole imputable
à deux phénomènes : la demande naturelle en terre
résultant de la croissance démographique et la culture du coton
qui est très demandeuse d'espace. La durabilité du système
commande que des actions soient prises également à ce niveau,
l'objectif devant être de freiner à défaut de stopper
l'occupation et l'obstruction des terres de parcours par les champs. Mais cela
ne relève plus du domaine strict de la recherche.
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