7.2. Conclusion générale
7.2.1. Les dynamiques biologiques et
socio-économiques mises en évidence
La recherche a mis en évidence deux dynamiques qui se
déroulent de manière concomitante et qui sont fortement
dépendantes : des dynamiques biologiques au niveau de la ressource et
des dynamiques socio-économiques au niveau des éleveurs et de
leurs activités productives.
Les dynamiques biologiques
La caractérisation des écosystèmes
pastoraux du terroir de Kotchari a montré une forte diversification de
leur flore herbacée (richesse spécifique et
équitabilité élevées par rapport aux unités
de l'aire protégée voisine) en particulier dans les milieux les
plus anthropisés (plateaux plus ou moins cuirassés aux sols
superficiels ou peu profonds, plateaux et plaines cultivées à
sols plus ou moins profonds). Celle-ci s'accompagne d'une extinction locale
d'espèces, de la banalisation de la flore en particulier sur les
plateaux dans lesquels des espèces exotiques à large distribution
(phorbes : légumineuses et herbes diverses) prennent de l'importance
(voir aussi Sawadogo et al. sous presse). L'ensemble des
unités connaissent un envahissement arbustif ce qui préfigure un
début d'embuissonnement (fortes proportions d'arbustes et sous-arbustes
dans la strate ligneuse). Les causes à ces tendances n'ont pu être
clairement établies, on sait seulement que divers facteurs directs ou
indirects de fonctionnement et/ou de perturbation (le feu, les activités
agricoles, l'exploitation animale et les prélèvements
domestiques) interviennent parfois concomitamment, ils voient leur
intensité se renforcer avec la pression démographique et la
transhumance. Les travaux de Caillault (2009) montrent que, dans notre zone,
les feux de brousse sont généralement irréguliers et
peuvent être précoces (en particulier sur les milieux plus secs)
ou tardifs (dans les sites humides).
Les savanes parcs ou mosaïque agroforestière
(UPP5) sont les zones de forte concentration des parcelles cultivées,
les paysages y sont donc fragmentés et les pâturages sont peu
accessibles en saison des pluies alors que les feux de brousse qui y
surviennent ont des effets limités à cause de cette
fragmentation. Sur ces unités, il y a donc une prééminence
des activités agricoles dans l'évolution des milieux, en
témoigne leur colonisation par des espèces messicoles (adventices
annuelles) qui ont pris place au détriment des graminées
pérennes endémiques des savanes et caractéristiques de
milieux stables (Schnell, 1971 ; Daget & Godron, 1995 ; César, 2005)
et qui sont par ailleurs les plus recherchées par le bétail
(Boudet, 1978 ; César, 1994). A côté de ce
phénomène d'extinction locale d'espèces (Kièma S.,
2007),
les défrichements agricoles ont fini par éliminer
pratiquement la strate ligneuse arborée, d'oüles
très faibles densités et recouvrements observés alors que
le feu y favorise des formations buissonnantes dans lesquelles dominent des
arbustes et sous-arbustes.
247
Les glacis (UPP3), les divers plateaux et plaines (UPP4), de
même que les buttes et cuirasses (UPP6)105 dans une moindre
mesure, sont des jachères de divers âges
généralement jeunes à moyens. Ce sont les sites les plus
pâturés en saison humide et ils y sévissent aussi les feux
de brousse dont l'importance est fonction de la biomasse herbacée
(faible dans UPP6) et de son organisation spatiale, c'est-à-dire son
degré de fragmentation (la couverture herbacée est interrompue
par les champs plus nombreux sur UPP3 et UPP4 ou par les ruptures naturelles
que représentent les plages de cuirasse ou d'affleurement
rencontrées sur UPP6). Sur ces différentes unités donc,
l'évolution progressive de la végétation qui
succède à la mise en culture (succession post culturale) (Boudet,
1978 ; César, 1991 ; Zoungrana, 1993 ; Daget & Godron, 1995 ; Hien,
1996 ; Fournier et al. 2001 ; Botoni-Liehoun et al. 2006) est
influencée par l'action du feu et de la pâture qui sont parfois
complémentaires sans que l'on sache laquelle est
prépondérante (Botoni, 2003 ; Kièma S. 2007). Cette action
sur le jeu normal de la succession végétale qui, dans les
jachères d'âge avancé, permet d'ordinaire le retour des
graminées pérennes initiales, par suite de remontée
biologique (Daget & Godron, 1995) seulement possible sur les sols profonds
et humides, aboutit à des écosystèmes particuliers. En
effet, la pâture est un facteur de déséquilibre entre les
strates ligneuse et herbacée (Boudet, 1978), elle réduit la
couverture herbacée amoindrissant ainsi la force des feux de brousse, ce
qui favorise l'envahissement en ligneux de parcours (d'où la plus forte
densité ligneuse de ces unités) qui vivent moins la concurrence
des herbacées et qui, par ailleurs prennent un port arbustif, ce qui
explique le faible recouvrement ligneux; il semble donc s'y dérouler un
phénomène d'embuissonnement. Par ailleurs, les modifications
induites sur le substrat par le piétinement et par l'apport de
nutriments par les fèces, l'importation des graines principalement
d'adventices et d'espèces ligneuses du groupe des légumineuses
par endozoochorie, épizoochorie (Boudet, 1978 ; Daget & Godron, 1995
; Devineau, 1999 ; Kièma S., 2007) ou par les fèces et le
prélèvement orienté sur les graminées vivaces (Akpo
et al. 1995) vont entraîner une modification de la flore
notamment herbacée et une augmentation de la diversité
végétale (richesse, équitabilité, diversité
béta et même diversité gamma). L'importance accrue des
espèces annuelles et des espèces exotiques,
généralement des phorbes (légumineuses et herbes diverses)
indicatrices de dégradation pastorale et la forte
équitabilité (espèces présentes en des proportions
voisines) témoignent de l'instabilité de ces milieux. Sur UPP6,
où le sol est squelettique, l'action du bétail est sans effet
majeur sur le sol, elle se réduit essentiellement à l'apport
d'espèces exotiques (Kièma S., 2007).
Dans les écosystèmes sur sols profonds humides
moins anthropisés (UPP1 et UPP2) le milieu est relativement moins
perturbé, ces unités sont en effet moins diversifiées
(richesses spécifiques moindres, léger déséquilibre
dans la proportion des espèces herbacées) et les espèces
savanicoles endémiques (les graminées vivaces) y sont plus
fortement représentées.
La dégradation des écosystèmes du terroir
ne fait l'objet d'aucun doute, mais elle reste limitée et l'on peut
espérer que la capacité de résilience106 de
ceux-ci (Daget & Godron, 1995 ; Boutrais, 1996) reste
préservée. En d'autres termes on peut supposer que leur
105 Nous sommes réservé lorsque nous
considérons les buttes et cuirasses comme ayant été
cultivées par le passé comme c'est le cas maintenant à
cause de la pression foncière sur les terres arables et mêmes les
terres marginales incultes du terroir.
106 La résilience est la capacité d'un
système à se relever après une phase de
déstructuration due à une pression d'exploitation forte ou
à une variation importante des facteurs climatiques, notamment la
pluviométrie.
reconstitution serait possible si les pressions anthropiques
actuelles venaient à être allégées et la
possibilité d'accès à toutes les unités accrue par
la levée des obstacles qui entravent cela (par exemples : une
réorganisation de l'occupation de l'espace, abandon des pratiques
agricoles sur les pistes d'accès et dans les zones de pâture
traditionnelles). Ce, d'autant plus que dans ce contexte de fragmentation
importante du paysage, la fréquentation des milieux reste difficile
à prévoir (Nori et al. 2008) et des risques de surcharge
(et donc de dégradation) localisée, notamment des portions les
plus accessibles, sont à craindre.
Dans les aires protégées voisines, où
seul le feu, qui y est généralement précoce,
régulier et intense (Caillault, 2009), est important (perturbation
moindre qu'en périphérie), la végétation
herbacée est relativement stable (faibles diversité,
équitabilité et hétérogénéité)
avec une dominance marquée de quelques herbacées
hémicryptophytes reconnues comme productrices d'une biomasse importante
et de qualité. Dans ces unités, en particulier les savanes de
bas-fonds à pérennes (UPw3) où l'herbe est haute et dense,
les feux, malgré leur précocité (la mise à feu a
lieu en octobre), sont violents et limitent ainsi la densification en ligneux
du milieu (Monnier, 1981 César, 1991 & 1994 ; Bruzon, 1995 ; Western
& Maitumo, 2004 ; Bond & Keeley ; 2005 ; Lavorel et al. 2007).
Dans ces écosystèmes dont la composante ligneuse est
dominée par la strate arborée, le recouvrement est meilleur qu'en
périphérie malgré une densité plus faible.
L'absence notable de pâture maintient une importante biomasse
herbacée qui, par le jeu de la concurrence, arrive à limiter
l'envahissement du milieu par les ligneux.
Les dynamiques socio-économiques
Les éleveurs sont soucieux d'assurer l'adaptation de
leurs systèmes d'élevage dans un environnement aussi changeant.
Pour assurer la survie du bétail et donc la leur, ils mettent en place
des stratégies et adoptent des pratiques visant à mieux tirer
profit des opportunités offertes par leur environnement
socio-économique et écologique. Face donc aux mutations
économiques (pluriactivité des ménages, essor de la
culture du coton, etc.), sociales (pression démographique, recul de la
réciprocité et des complémentarités,
rivalités pour l'accès aux ressources pastorales, etc.) et
environnementales (détérioration qualitative, réduction et
obstruction des pâturages) les différents groupes
d'éleveurs émettent des réponses
révélatrices des représentations qu'ils ont de leur milieu
et témoins de la manière dont chacun vit ces changements. Ainsi,
en réponse à ces dynamiques biologiques qu'ils contribuent
à imprimer107, les 4 groupes et sous-groupes
d'éleveurs dont les élevages gardent le caractère de
banque traditionnelle (grande taille, éleveur naisseur, faible
utilisation d'intrants, etc.) (Daget & Godron, 1995 ; Boutrais, 1994 &
1996), changent, suivant l'accroissement de leurs effectifs, la configuration
des troupeaux. Ils sélectionnent les espèces les plus
économiques (ovins et surtout bovins) et diversifient les races bovines
(cette diversification est plus lente chez les transhumants non
résidents) mais seulement avec les races les plus adaptées au
contexte local. Les éleveurs restent toutefois attachés à
leurs races traditionnelles (Barbaji pour les Gourmantchés,
Gurmaji pour les éleveurs Peuls résidents ou
transhumants nationaux
107 Nous n'oublions cependant pas le rôle majeur que
joue la péjoration (chute de la pluviométrie, fortes
variabilités de la pluviosité) en contexte aride ou semi-aride
comme le nôtre (Breman et De Ridder, 19991 ; Scoones, 1995 &
1999),
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et Jaliji pour les transhumants nigériens)
même lorsqu'elles ne sont plus adaptées (la Jaliji ne
supporte pas la longue marche, elle est par ailleurs peu
trypanotolérante, mais elle n'est présente dans le terroir qu'en
saison sèche pendant laquelle le risque est moindre). Aussi, les races
Boboroji et Kiwali restent présentes dans les
élevages peuls bien qu'étant très peu adaptées au
contexte local caractérisé par la basse des productions
fourragères. Par ailleurs, l'insécurité physique (vol,
prédation, abattage, embourbement, etc.), sociale (risque de conflits
liés aux dégâts champêtres ; exclusion par les
agroéleveurs Gourmantchés) et alimentaire (parcours pauvres,
rares et à exploitation très concurrentielle) du bétail
s'agrandissant, les éleveurs, en particulier les peuls, renforcent la
surveillance par subdivision, plus que par le passé, de leurs troupeaux
en deux voire trois lots et en augmentant le nombre de bergers issus, par
ailleurs, de leurs ménages ou comprennent un membre du ménage. La
satisfaction des besoins alimentaires est assurée par la
complémentation avec la paille naturelle et/ou cultivée interne
(résidus produits dans l'exploitation) ou externe (achat). L'achat est
caractéristique des élevages peuls résidents, mais aussi
allochtones dans une certaine mesure, il peut concerner les concentrés
(sons, graines, tourteaux divers). Malgré tout, les troupeaux n'arrivent
plus à se satisfaire localement et l'espace pâturé est de
plus en plus ample : les terroirs voisins sont de plus en plus visités
mais en deçà de ce à quoi on devait s'attendre, en
réalité les éleveurs surtout peuls exploitent les
réserves qui semblent participer à réguler localement les
charges à la fois en saison sèche qu'en saison pluvieuse. La
fréquentation plus que probable des réserves en saison des
pluies, bien que non révélée est plausible malgré
les risques (humidité et glossines) que cela comporte. Elle peut jouer
un rôle décisif dans l'évolution des pâturages
périphériques qui, en cette saison, présentent un bilan
fourrager "négatif", ce qui est porteur de menaces sur leurs
capacités productives.
En définitive, la taille du troupeau apparait comme le
facteur qui détermine toute les stratégies de
l'éleveur.
Le modèle d'action développé par les
éleveurs pour valoriser les pâturages et qui traduit leur bonne
connaissance des milieux (potentiel et dynamiques qui y ont cours) et la
rationalité dans les prises de décision (en réponse
à la triple question : quel pâturage ? à quel moment ? pour
quel gain ?), se trouve, à l'épreuve de la réalité,
confronté à des obstacles divers (obstruction de couloirs,
inaccès de pâturage, assèchement des points d'eau, etc.)
dont l'acuité est fonction de la taille du troupeau. Les aspects
fonciers sont aussi non négligeables, les transhumants non
résidents par exemple ont moins accès aux unités
cultivées pour y effectuer la vaine pâture et, si en
général les distances parcourues sont plus grandes en saison
sèche, elles le sont davantage pour ce type d'éleveurs à
l'encontre desquels une grande hostilité est
développée.
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