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Ressources fourragères et représentations des éleveurs, évolution des pratiques pastorales en contexte d'aire protégée. Cas du terroir de Kotchari à  la périphérie de la Réserve de biosphère du W au Burkina Faso

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par Issa Sawadogo
Museum national d'histoire naturelle de Paris (ED 227) - Docteur du museum national d'histoire naturelle spécialité physiologie et biologie des organismes  2011
  

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CHAPITRE VII

236

DISCUSSION GENERALE : SYNTHESE,

CONCLUSION ET PERSPECTIVES

237

Tout le long de la présente recherche, nous avons traité de l'état des ressources pastorales, des systèmes d'élevage et de leur évolution récente, puis avons insisté sur le comportement des éleveurs et de leurs troupeaux sur parcours en fonction d'un certain nombre de déterminants à l'échelle du terroir de Kotchari. Nous reprenons ici, de manière synthétique, les principaux résultats, montrons l'intérêt de l'approche utilisée, faisons un aperçu des apports en termes de connaissances et des applications éventuelles et terminons en proposant des scénarios de coévolution93 durable des systèmes d'élevage et des systèmes naturels dans le terroir.

7.1. Synthèse

Les conclusions majeures auxquelles la recherche a abouti indiquent que :

Les ressources pastorales du terroir sont de qualité acceptable mais elles sont en voie de dégradation.

Le terroir de Kotchari regorge de pâturages dont les valeurs et les qualités sont acceptables quoique pas particulièrement attrayantes. L'ensemble des ressources du terroir qui sont accessibles légalement (unités hors de l'aire protégée) ou illégalement (unités dans l'aire protégée) est assez hétérogène. Les données qui les concernent entrent dans la fourchette de celles observées ailleurs en zone écoclimatique similaire (transition entre la zones sud et nordsoudanienne). Toutefois, même si cela n'est pas encore alarmant, les signes observés sur certaines unités, en particulier les plus cultivées et les plus pâturées (fort remaniement de la strate herbacée avec une forte présence de phorbes, plus grande richesse spécifique herbacée, plus grande équitabilité, début d'embuissonnement, etc.) laissent supposer que celles-ci sont à des stades plus ou moins avancés de dégradation. Les six unités paysagères pastorales qui ont été définies hors de l'aire protégée présentent des caractères un peu différents des trois qui se situent à l'intérieur. En dehors de l'aire protégée, les unités ont une richesse locale et une équitabilité plus grandes et donc une plus grande homogénéité de poids des diverses espèces ; ceci est surtout vrai dans les unités subissant la plus forte pression anthropique, qui constituent généralement les zones les plus cultivées actuellement (savane parc : UPP5) ou dans un passé relativement proche (jachères de différents âges des glacis, plaines et plateaux aux sols plus ou moins profonds : UPP3 et UPP4). Ces unités, qui hébergent aussi les fourrages de meilleure qualité et qui, par ailleurs, sont avec les buttes rocheuses et cuirassées (UPP6) les plus pâturées, sont en revanche parmi celles qui produisent le moins de phytomasse herbacée. L'ensemble de ces unités exploitables en toute légalité montrent par ailleurs une richesse spécifique et une équitabilité plus grandes que celles de l'aire protégée voisine qui produit en revanche plus de phytomasse de bien meilleure qualité fourragère. Les diverses pressions liées à l'usage de ces espaces sont de nature, d'intensité et de périodicité très variables, elles vont croissant ce qui est source d'inquiétude.

93 Ne pas prendre ce concept dans son acception écologique première qui signifie que lorsque deux espèces interagissent de manière étroite celles-ci peuvent évoluer conjointement par transformation de leur patrimoine génétique sous l'effet de pressions de sélection réciproques (Betsch et al. 2003). Par coévolution, nous voyons plutôt deux systèmes qui s'adaptent les uns des autres par suite des interactions qui se produisent entre eux.

Les ressources pastorales sont soumises à des pressions diverses et variables, parfois fortes localement.

Les unités pastorales du terroir sont soumises à une pression anthropique forte qui trouve son origine dans la forte densité démographique (supérieure à la moyenne de la province) et dans la forte densité animale. Cela a été rendue possible par des mutations locales des systèmes de production (immigration agricole, diversification des systèmes de production avec des Peuls devenus agriculteurs et des Gourmantchés devenus éleveurs) et par la transhumance. Cette pression anthropique, qui a conduit à un taux d'occupation agricole des terres, supérieur à 50%94, s'exprime différemment en saison sèche et en saison pluvieuse.

En saison sèche, tout l'espace du terroir et donc toutes les unités agrostologiques sont accessibles, le terroir attire alors des troupeaux transhumants importants dont les effectifs bovins, au moment de la pointe de la transhumance située en saison sèche chaude (avril à mai notamment), peuvent être aussi élevés ou même dépasser les effectifs locaux. Le bilan fourrager théorique, réalisé en mettant en balance les capacités de charge théoriques globales et les charges observées, ne montre actuellement pas de risque pour les différentes unités pastorales. D'ailleurs, les résidus de culture (exploités en vaine pâture pendant la saison sèche froide) et la biomasse ligneuse (sollicitée surtout en fin de saison sèche chaude) (Le Houerou, 1980 ; Rivière, 1991 ; Lhoste et al. 1993; Daget & Godron, 1995 ; Raimond, 1999 ; Kagoné, 2000 ; Petit, 2000a & 2000b, Yanra, 2004, etc.) qui sont reconnus comme constituant des grands apports, n'ont pas été pris en compte dans nos évaluations. Les charges de travail n'ont pas permis de faire à temps ces évaluations qui sont en cours en ce moment. Ceci appelle cependant deux remarques relatives à la couverture des besoins des animaux à cette période. Premièrement, il se pose un problème crucial de disponibilité et de qualité; en effet, la biomasse estimée (en rappel, l'estimation se passe en septembre) n'est plus forcément disponible pour le bétail en cette saison sèche où certaines unités (UPP4 & UPP6 par exemples) apparaissent totalement dénudées et le peu de paille qui y est encore rencontrée est sans valeur et incapable d'assurer les besoins, parfois de maintien, des animaux. Par ailleurs, comme on l'a vu en suivant les troupeaux, certaines portions du territoire pastoral sont pratiquement soustraites de l'exploitation animale en cette saison95 du fait de l'absence ou de l'éloignement des points d'eau sans lesquels leur valorisation reste impossible ou peu rentable (Lhoste & Milleville, 1986 ; Guillaud, 1994 ; Lericollais & Faye, 1994 ; Bary, 1998). Pour toutes ces raisons, on peut supposer que, malgré un bilan fourrager positif, les animaux rencontrent des difficultés pour satisfaire leurs besoins alimentaires en cette saison. Le bilan fourrager prend en effet peu compte de la valeur fourragère et de la possibilité réelle de valorisation du fourrage disponible.

En saison des pluies par contre, la plupart des animaux transhumants venant du nord de la province et du Niger voisin repartent vers leurs terroirs d'attache situés plus au nord, ce qui réduit notablement les charges animales globales dans le terroir. Malgré cette baisse spectaculaire des charges, c'est en cette saison où de nombreuses unités paysagères sont peu

94 Ce taux est probablement dépassé de nos jours, la base de donnés BDOT de l'IGB que nous avons utilisée datant de 2002.

95 Nous sommes cependant réservé dans cette affirmation car il ne s'agit que d'étude de cas dont les résultats, on le sait, sont difficilement extrapolables car l'inférence statistique n'est pas applicable (Mettrick, 1994).

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ou pas accessibles au bétail (UPP5, UPP1 & UPP2) à cause de risques de dégâts champêtres et/ou de l'inondation permanente ou non en saison pluvieuse, que le bilan fourrager révèle un déficit. Il convient cependant de considérer avec un certain recul l'idée d'un déficit vu que pour produire des données assez précises cette partie de l'étude est prévue pour être conduite en deux temps. Dans ce premier temps, parmi les unités considérées comme totalement inaccessibles, certaines d'entre elles (UPP5 surtout ; unités de concentration des cultures), disposent de portions (les interstices entre champs) qui sont en réalité accessibles. A l'inverse, des unités considérées comme totalement accessibles (UPP3, UPP4 & UPP6) disposent des parcelles cultivées isolées en leur sein. Notre évaluation, malgré son caractère général à cette étape, alerte sur le risque encouru par les pâturages du terroir sous des charges aussi élevées. Une telle pression pendant la période de développement de la strate herbacée peut être à terme compromettante pour la production fourragère locale globale (César, 1994 ; Daget & Godron, 1995 ; Kagoné, 2000). Ce pessimisme peut cependant être tempéré parce que, en cette période, la répartition de la pression animale sur les pâturages est relativement homogène, la biomasse herbacée est en effet de quantité satisfaisante presque partout et son exploitation est rendue possible par une bonne distribution spatiale des points d'eau comme l'a aussi relevé Kièma A. (2008) au Sahel burkinabé.

Les ressources pastorales sont de statuts variés aux yeux des éleveurs: notion de ressources clés.

Les catégories pastorales définies sur des critères écologiques d'une part, d'après les représentations des populations d'autre part diffèrent non seulement par leurs caractéristiques fourragères mais aussi par les contraintes auxquelles les troupeaux s'y trouvent confrontés. Nos travaux indiquent que, pendant la saison pluvieuse, certaines unités pastorales du terroir (les bas-fonds, les plaines inondables et les mosaïques agroforestières) voient leurs ressources fourragères peu ou pas exploitables à cause de l'humidité ou des nombreux champs qui y sont disséminés et qui jouent le rôle d'obstacles. Or, en contexte de paysage fragmenté, l'existence des ressources fourragères n'est pas suffisante, leur accès peut se révéler déterminant (Nori et al. 2008) pour la couverture des besoins d'entretien et de production des animaux. L'importance que va prendre une unité donnée de l'espace-ressource (Daget & Godron, 1995 ; Barrière, 1996 ; Barrière & Barrière, 1997) du terroir pour l'élevage va donc dépendre de plusieurs facteurs notamment de leur qualité intrinsèque (disponible fourrager) - qui combine biomasse et qualité de celle-ci - de leur accessibilité et de la période considérée. Toutes ces questions sont intégrées par les éleveurs dans leur programme d'affouragement des animaux et les catégories qu'ils distinguent en tiennent compte. Ils considèrent certaines de ces catégories comme capitales, ce qui correspond finalement à la notion de ressources clés ou poches de ressources ou encore ressources stratégiques développée par Hatfield & Davies (2006) ainsi que Nori et al. (2008). Ces spécialistes les définissent comme représentant toute portion de l'espace et des ressources pastorales (fourrage et eau essentiellement) qu'elle héberge et dont la soustraction à l'exploitation animale est susceptible de compromettre l'existence du système dans son ensemble, en ce qu'il en constitue un maillon essentiel à une période précise de l'année (Hatfield & Davies, 2006). Par ailleurs, d'après ces auteurs, l'importance de la ressource clé va au-delà de ses capacités intrinsèques, son insertion dans le

paysage et la période de disponibilité de ses ressources permettent de valoriser des étendues plus importantes de pâturages, parfois de moindre qualité, qui, autrement, seraient perdues pour le bétail.

Les éleveurs dont l'objectif principal est d'assurer la sécurité alimentaire de leur bétail (Niamir-Fuller, 1999 ; Kagoné, 2000) et qui sont, en conséquence, permanemment préoccupés par la survie de leurs animaux au moment le plus crucial de l'année (saison sèche chaude : Ku tontogu ou Ceedu), n'ont pas tous la même définition de la ressource clé (ou unité pastorale clé). Ainsi, du point de vue des éleveurs peuls, la ressource clé est celle qui constitue un lieu de séjour obligé des animaux en saison sèche chaude alors que ce qualificatif est réservé par les agro éleveurs gourmantchés à toute unité pastorale sur laquelle on trouve l'eau en cette saison. Dans le fond, les deux représentations expriment la même réalité car, comme nous l'avons montré dans le paragraphe précédent, seuls les pâturages offrant la possibilité d'abreuvement, soit sur place ou à proximité, peuvent être réellement valorisés en cette saison et ainsi aider à la survie du bétail. Tous les groupes d'éleveurs enquêtés considèrent qu'à Kotchari la ressource incontournable est représentée par les bas-fonds (UPP1 : Ku bagu ou Celol) où il est possible d'abreuver les troupeaux en cette saison. Ceci rejoint les idées de Pratt & Gwynne (1997) et Hatfield et Davies (2006) qui classent les bas-fonds parmi les ressources stratégiques ou clés96, grâce auxquelles les systèmes pastoraux arrivent à subsister dans les milieux arides et subarides.

Nous avons vu que les bas-fonds sont l'une des meilleures unités pastorales du terroir : ils produisent la plus forte biomasse (4,78 tMS.ha-1) et offrent la possibilité en cette saison de creuser des puisards pour l'abreuvement des animaux. Leur qualité fourragère relativement faible n'est pas un handicap puisqu'à cette période, le problème des éleveurs est surtout de pouvoir donner suffisamment de fourrage à leurs animaux, la qualité de ce fourrage devient alors pour eux secondaire. Ces précieux bas-fonds sont cependant sujets à l'exploitation agricole pluviale et de contresaison (culture maraîchère surtout) et à l'arboriculture fruitière de mangue notamment. On n'observe cependant pas de tendance à l'augmentation de ces usages à cause de deux limitations imposées par le milieu: les eaux de surface sont vite perdues après la saison pluvieuse et il n'existe pas d'ouvrages hydrauliques adaptés (puits maraîchers par exemple).

Le niveau de concurrence entre les animaux et la culture reste donc encore bas dans ces unités. Cependant, un certain nombre de projets et d'ONG (ACRA97, PADAB II98, ADELE99, PICOFA100, etc.) encouragent les activités génératrices de revenus en finançant des microprojets individuels ou collectifs. Il n'est donc pas exclu que sur le long terme, l'utilisation des bas-fonds comme zone de repli en saison sèche chaude par les animaux puisse susciter des conflits.

96 Une autre définition de la ressource clé la désigne plutôt comme une partie de l'espace pâturable produisant les meilleures et plus grandes quantités d'aliments pour le bétail (Scholte & Brouwer, 2008). Cette acception résiste cependant peu à l'analyse puisque, des unités regorgeant de ressources fourragères de qualité peuvent se révéler inaccessibles à un moment donné et être alors inutiles pour le bétail.

97 Association de Cooperation Rurale en Afrique et Amerique latine (ONG italienne)

98 Programme danois d'appui à l'agriculture au Burkina, phase II.

99 Programme d'appui au développement local à l'Est.

100 Programme d'investissement communautaire en fertilité agricole.

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Les pratiques des éleveurs reflètent des ajustements opérés dans les exploitations et expriment des stratégies adaptatives mises en oeuvre par eux.

Dans le terroir de Kotchari, nous avons reconnu 4 catégories et sous-catégories d'éleveurs qui cohabitent, bien que globalement leurs troupeaux soient tous de taille importante et croissante, ils adoptent des stratégies différentes dans leur valorisation des ressources pastorales. Les tendances dégagées montrent que lorsque la taille de son troupeau augmente, l'éleveur résident (transhumant ou non) spécialise son troupeau en le limitant à une espèce (le plus souvent l'espèce bovine) ou à deux espèces (le plus souvent bovins et ovins) et qu'il le remanie en favorisant les races bovines les plus adaptées localement (Barbaji, Gurmaji : races rustiques peu exigeantes au plan alimentaire et trypanotolérantes). On constate toutefois aussi un attachement culturel à certaines races, pas nécessairement les mieux adaptées comme la Jaliji et la Boboroji. En revanche, on peut se demander pourquoi la race Gudali, pourtant bien adaptée au contexte local, est faiblement représentée dans les troupeaux, mais c'est probablement à cause de sa faible prolificité (Boutrais, 2002). Les races bovines des troupeaux transhumants non résidents sont également en voie de diversification (Gurmaji + Jaliji) mais ceux à une seule race bovine (Gurmaji) dominent. Il s'y déroule une sorte de glissement du troupeau vers la race Gurmaji plus adaptée au détriment de la race Jaliji d'origine.

Ces remaniements dans la structuration des troupeaux ne sont pas anodins. Quand il constitue un troupeau, l'éleveur commence avec des petits ruminants et des bovins (Barbaji) généralement achetés (Gourmantchés) ou alors avec des bovins hérités (Peuls résidents ou non : Gurmaji et Jaliji respectivement). Lorsque le troupeau atteint une certaine taille qui justifie qu'une plus grande attention lui soit portée, l'éleveur dont le troupeau comprenait des caprins va s'orienter vers la production d'espèces animales les plus prestigieuses et présentant la valeur économique la meilleure: d'abord bovins et ovins, puis seulement bovins. Parallèlement, à mesure qu'il se professionnalise dans l'élevage, il acquiert une bonne connaissance des races et opte autant que possible pour celles qui s'accommodent le plus des contraintes du milieu, de jour en jour plus cruciales malgré la relative déprise agricole actuellement observée à la faveur du léger recul de la culture du coton (figure III-5, page 61). Ce recul observé n'est sans doute d'ailleurs que passager, avec le prix incitatif proposé en cette campagne agricole 2011 (245 FCFA le kg de coton graine, prix jamais atteint auparavant), il est à craindre que, nonobstant le renchérissement du coût des engrais, l'engouement pour cette spéculation ne reparte de plus belle et, avec elle, l'extension de l'occupation de l'espace.

Toutefois, dans leurs stratégies d'optimisation de l'exploitation des ressources pastorales, les éleveurs n'agissent pas seulement en remaniant la composition du troupeau en espèces et en races. Ainsi, alors que le nombre de bergers s'accroît avec la taille du troupeau, et malgré le grand besoin en main d'oeuvre de la partie agricole de leurs exploitations, les éleveurs résidents, notamment gourmantchés101, prennent de moins en moins le risque de

101 L'utilisation de bergers extérieurs à la famille était du reste peu commune chez les Peul notamment ceux qui ont de grands effectifs.

confier leurs animaux à d'autres éleveurs ou à des bouviers salariés. Tout au plus, lorsqu'ils tiennent absolument à bénéficier du savoir faire de ces derniers ou lorsque la main d'oeuvre familiale fait défaut102, ils ne font que les associer à un membre de la famille. Les risques auxquels ils disent s'exposer avec le confiage ou en employant uniquement des bergers salariés sont beaucoup de dépenses et des pertes diverses aux causes rarement élucidées. Les mêmes attitudes nourries par les mêmes craintes sont rapportées par Raimond (1999) et Kaboré (2010) qui se sont intéressés à la question des rapports entre agriculteurs et pasteurs respectivement dans le bassin du lac Tchad et dans la région de la réserve de faune de Pama Nord. Kossoumna Liba'a (2009) rapporte par contre, à partir d'études conduites dans deux villages peuls du groupe des Mbororo au nord-Cameroun, que le rôle de berger pour le bétail des agriculteurs et autres citadins (commerçants, fonctionnaires,...) joué par ceux-ci est encore important, la moitié du bétail qui est sous leur gestion est de ce type.

Par ailleurs, si l'allotement des troupeaux est une pratique connue dans les élevages pastoraux, notamment peuls (Kagoné, 2000 ; Riegel, 2002 ; Botoni, 2003 ; Kièma S., 2007), la division en trois lots et certaines motivations avancées pour la justifier étaient jusqu'alors inédites ou peu courantes. En effet, les agro éleveurs gourmantchés qui ne dépassaient pas deux lots, généralement hétérogènes, avaient pour seul souci de ménager des effectifs gérables par les jeunes bergers. Mais il faut s'interroger sur l'efficacité de ces nouvelles façons de faire et sur leur incidence sur l'état des ressources. Pour la plupart d'entre ces éleveurs, l'espèce bovine est nouvelle dans leurs troupeaux et les techniques de sa conduite ne sont pas bien maîtrisées, ils craignent donc de laisser les bergers avec de trop nombreuses têtes. Ce groupe d'éleveurs sont les moins exposés aux contraintes pour la gestion de leur cheptel car leurs troupeaux sont de petite taille, ils disposent de résidus de culture produite en grande quantité par de vastes champs et ils ont la possibilité d'exploiter, à moindre risque, les interstices inter-champs en saison de pluies. Ce groupe semble relativement peu exposé aux contraintes d'accès aux ressources et ne semble pas ressentir la nécessité de se préoccuper de leur état, bien qu'il soit conscient des menaces qui pèsent sur elles.

Les éleveurs peuls, résidents ou non, pratiquent l'allotement depuis longtemps ; ils répartissent le plus souvent le troupeau en deux lots : les, animaux bien portants d'une part, les animaux allaitants et/ou mal en point d'autre part. Ils avancent diverses raisons pour expliquer cette pratique. Ceux qui ne transhument pas et dépendent donc davantage des ressources naturelles locales que les autres catégories, cherchent à gérer au mieux leurs pâturages et ils pensent, à juste titre (Breman & De Ridder, 1991 ; César, 1992 ; Lhoste et al. 1993 ; Boutrais, 1997 ; Scoones, 1999 ; Nori, 2007 ; Nori et al. 2008), qu'une répartition des charges animales sur divers endroits du terroir est moins dommageable pour l'état des ressources qu'une plus grande concentration en un lieu donné. Beaucoup d'éleveurs peuls transhumants résidents ou non, qui ont les plus grands effectifs et qui sont parfois amenés à former jusqu'à trois lots (lot 1 : troupeau d'allaitants ou de malades ; lot 2 : troupeau de veaux et lot 3 : troupeau de bien portants destinés à transhumer) le font pour faciliter (gain de temps)

102 La pratique du confiage chez les Gourmantché et le fait de confier les animaux à des Peul et non à d'autres Gourmantché n'ont pas toujours été motivés par le seul souci de bénéficier du savoir-faire du berger peul. Kaboré (2010) montre que la pratique a, par le passé, relevé d'une stratégie de "camouflage" du bétail par les Gourmantché, ceux-ci cherchant à entourer d'une certaine discrétion l'existence de leur cheptel.

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et sécuriser (minimisation des pertes par vol, prédation, saisies, etc.) leur déplacement qui se
fait très souvent vers un environnement incertain, voire hostile (Benoit, 1979 ; Landais, 1990).

La complémentation, réservée en priorité aux animaux mal en point ou allaitant, est surtout pratiquée dans les élevages les moins mobiles, plus intégrés à l'agriculture et ayant par ailleurs les effectifs les moins importants. Les éleveurs transhumants, dont les effectifs animaux sont parfois impressionnants, n'ont pas (les non résidents)103 ou ont insuffisamment (les locaux) de résidus culturaux en réserve ; ils sont donc contraints d'acheter les aliments de complémentation. Mais la plupart d'entre eux semblent ne pas complémenter leurs animaux ou, en tout les cas, ne peuvent en distribuer suffisamment, ce qui d'ailleurs les oblige à émigrer. On a pu voir, en effet, par nos enquêtes (voir figure V-15b, page 145) que, pour ce qui concerne les éleveurs résidents, il existe une tendance à l'accroissement du phénomène migratoire. On observe, en effet, que les éleveurs locaux élargissent leur territoire pastoral en visitant plus que par le passé les terroirs voisins (les résidents gourmantchés) ou lointains, y compris les réserves (résidents transhumants). Cela est totalement en accord avec le schéma théorique de Boutrais (1983), Santoir (1999), Dugué et al. (2004) qui entrevoient que dans les cas qui correspondent à la situation de Kotchari (cheptel croissant, densité humaine de 56 habitants/km2, taux d'occupation des sols de 56%, état moyen des ressources soumises à de fortes pressions d'exploitation et localement en dégradation intermédiaire), les éleveurs du terroir sont amenés à fréquenter, avec leurs troupeaux, des pâturages plus lointains (transhumance) ou à déstocker leurs effectifs. Toutefois, les départs ne sont pas massifs, ceci pouvant s'expliquer par les contraintes que les éleveurs rencontrent dans ces lieux de délocalisation temporaire comme l'a aussi observé Raimond (1999) dans le bassin du lac Tchad. L'auteur a noté que l'insécurité et les tracasseries administratives que vivent les éleveurs au cours de leur déplacement à la frontière tchado-camerounaise, de même que les pertes et ventes de bétail par les bouviers, n'encouragent plus les propriétaires à laisser migrer leurs animaux. Ce sont à peu près les mêmes arguments qui sont avancés par les éleveurs de Kotchari pour expliquer que malgré la forte pression localement vécue, ils soient hésitants à partir massivement.

Les éleveurs ont une bonne connaissance de leurs milieux et disposent de savoirs techniques.

Les éleveurs définissent et appréhendent leurs milieux selon les usages qu'ils peuvent en faire au cours de l'année suivant un calendrier pastoral assez illustratif des contraintes et de l'abondance du moment. Les critères topographiques et pédologiques en lien avec le type d'usage sont utilisés pour définir des milieux qu'ils peuvent par ailleurs caractériser par les espèces herbacées et surtout ligneuses qui y sont présentes. Ces milieux ou unités paysagères « participatives » définies selon leurs critères ont à leurs yeux une valeur variable suivant les saisons. Cinq paramètres (disponibilité en eau, disponibilité de fourrage en quantité, disponibilité de fourrage de qualité, milieu praticable et milieu n'exposant pas le bétail à un

103 Ce sont pour la plupart des personnes qui s'adonnent aussi à divers degrés à l'agriculture. Ils ont donc parfois des stocks en résidus culturaux dans leur terroir d'attache mais qui ne peut leur servir ici. Ces stocks sont d'ailleurs distribués aux animaux restés sur place.

quelconque risque) sont utilisés par les éleveurs pour les évaluer. Ainsi, alors qu'en saison pluvieuse l'éleveur craint pour la sécurité de son troupeau (recherche de site praticable et/ou éloigné de champs de culture) et recherche la bonne herbe, en saison sèche, face à la pénurie en eau et en fourrage, c'est plutôt la disponibilité de ces deux ressources, en particulier l'eau, qui est mise en avant. Par ailleurs, en cette saison, les éleveurs peuls aux grands troupeaux qui pâturent au ras des aires fauniques et qui sont plus enclins à aller vers les sites nouvellement accessibles (par exemple les plaines inondables après assèchement de l'eau), restent attentifs aux risques (saisie des animaux en cas d'empiètement sur l'aire protégée, embourbement dans les milieux encore humides).

Forts de ces critères, les éleveurs ont une vision claire des différentes unités qu'il est intéressant de fréquenter au fil des saisons. Classiquement leur représentation de la chaîne de pâturage saisonnière part des milieux secs en hauteur en saison pluvieuse, pour aboutir aux sites de bas de toposéquence en saison sèche, au moment où ceux-ci se sont asséchés et offrent des conditions relativement meilleures.

Ce modèle d'action, à peu près identique chez les différents groupes d'éleveurs et mis en évidence ailleurs par différents auteurs (Kagoné, 2000 ; Diallo, 2006 ; Vall & Diallo, 2009 ; Dongmo, 2009), se trouve modifié en fonction des réalités propres aux 4 types d'éleveurs que nous avons suivi. Aussi, pour une même saison, en tenant compte de contraintes particulières (campement entouré de champs et plus grande difficulté d'accès aux sites de hauteur par exemple pour Trp ; unités brûlées sans possibilité de repousses attrayantes, unités proches des champs pour l'ensemble des quatre troupeaux), les animaux sont conduits sur des itinéraires qui concrétisent l'enchaînement des choix les plus judicieux possibles. En pratique, les éleveurs opèrent des choix qui leur permettent de minimiser les dépenses énergétiques qu'ils engagent à la recherche de la ressource (théorie de l'optimisation des gains). Pendant notre période d'étude les éleveurs que nous avons suivis, ont tous exploité un seul secteur du terroir, généralement proche de leurs campements, ce qui indique qu'en réalité peu d'alternatives s'offrent à eux. En saison pluvieuse les champs et le risque d'embourbement constituent des obstacles presque infranchissables qui limitent les déplacements d'un secteur vers un autre secteur du terroir. En saison sèche, la rentabilité (différence entre gain et dépense en énergie) de longs déplacements apparait incertaine, surtout que pour les deux troupeaux sédentaires que nous avons suivi (TrpC1-2G et TrpC1- 2P), il existe une source d'eau intarissable à proximité de leurs campements. Par ailleurs, l'éleveur gourmantché, qui dispose d'un stock conséquent en résidus de culture et en son de céréales, n'hésite pas à en distribuer à son troupeau (TrpC1-2G) qu'il maintient à proximité de sa concession au Ku tontogu (saison sèche chaude).

Il y a une pâture inavouée dans les aires protégées voisines mais son ampleur reste mal connue.

Alors que les troupeaux résidents élargissent leur aire de pâturage faute de pouvoir se satisfaire localement, on observe paradoxalement un accroissement soutenu du nombre de transhumants qui arrivent dans le terroir. En effet, bien peu de transhumants qui y sont rencontrés de nos jours y venaient déjà il ya dix ou vingt ans (figure V-15c, page 145). Par

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ailleurs, si l'on peut reconnaître que les ressources fourragères locales peuvent être meilleures que celles de bien des contrées d'origine de ces transhumants, on peut s'interroger sur la disponibilité réelle de cette biomasse pendant la période de transhumance. Indiscutablement, les explications à ces flux continus de troupeaux se trouvent en grande partie ailleurs : le terroir, par sa position géographique se trouve en fin de transhumance. On peut, par ailleurs, affirmer que sa proximité avec les réserves totale (parc W) et partielle (concession de chasse Kourtiagou) de faune aux énormes ressources fourragères encore meilleures que celles des parties accessibles du terroir constitue l'un des facteurs de l'attraction observée. Beaucoup d'indices indiquent en effet que les éleveurs locaux et transhumants exploitent les aires protégées de manière plus ou moins régulière, certains semblent d'ailleurs ne pas pouvoir s'en passer. En effet, des enquêtes conduites dans des terroirs lointains104 de nos réserves (Kpoda, 2010) ou dans d'autres régions (Kièma S. 2007 ; Kaboré, 2010) ont montré que les éleveurs n'étaient pas indifférents aux ressources qui y sont présentes, bon nombre d'entre eux transhument en fait pour pouvoir les exploiter. Le travail de Kpoda (2010) en particulier montre que la grande majorité (plus de 80%) des transhumants nationaux ou nigériens rencontrés à Botou (commune la plus au nord de la province) disent transhumer vers le terroir de Kotchari. Un autre indice est que les campements des transhumants qui viennent à Kotchari se positionnent généralement au ras des réserves et qu'ils sont généralement mobiles, ce qui permet de brouiller les pistes. Kaboré (2010) a décelé autour de la réserve de Pama Nord une toute autre stratégie que mettent en oeuvre, pour la même finalité, les éleveurs résidents (les Gurmaabe) qui vivent une situation d'exclusion de la part des Gourmantchés dans les terroirs villageois. D'après cet auteur, cette stratégie consiste à camoufler leur usage des réserves, en positionnant les campements à une distance suffisamment éloignée pour ne pas éveiller les soupçons mais suffisamment près pour en permettre l'"usage à distance". Par ailleurs, lors des discussions de groupe, certains des indicateurs de fréquentation des milieux (cure salée, champs maudits) qui sont cités font référence à des milieux absents de l'espace du terroir, mais bien présents dans le parc W (Kpoda, 2010). Il est symptomatique qu'ils aient été cités dans un premier temps avant d'être retirés de la liste sans explication. Enfin, il peut être surprenant de constater, à la lumière de nos données, que seuls les transhumants locaux disent fréquenter actuellement les aires protégées (figure V-16b, page 146) alors que par le passé, ceux qui viennent des contrées plus au nord fréquentaient ces entités beaucoup plus que tous les autres (figure V-16c, page 146). Cela semble contredire d'ailleurs les constats faits par Kaboré (2010) qui indique que les éleveurs peuls, du fait de la crise d'intégration dont ils sont les premières victimes, sont plus fortement dépendants des aires protégées. On peut logiquement imaginer que les transhumants allochtones, qui sont plus victimes que leurs homologues résidents, sont plus exposés à l'envie de pénétrer dans les aires protégées.

Il est donc évident que les réserves qui environnent le terroir de Kotchari sont exploitées par les éleveurs présents à leur périphérie. L'intensité de cette pression d'exploitation est cependant difficile à établir à cause de la loi de silence qui est de rigueur sur le sujet. Les éleveurs semblent s'être passé le message et évoquer le sujet avec l'un d'entre

104 Quand les éleveurs sont loin des aires protégées ils se montrent plus ouverts aux discussions à ce sujet. A ces distances, les craintes se dissipent car le risque d'être étiqueté paraît improbable.

eux peut suffire à mettre fin à une causerie bien engagée. De toute évidence, la question risque de rester encore non élucidée pendant longtemps.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery