6.3.4. Représentations versus pratiques : les
éleveurs et leurs troupeaux à l'épreuve du terrain
Divers travaux décrivent la chaîne de
pâturage annuelle et permettent de suivre les différents milieux
que les troupeaux occupent au fil de l'année. Les spécialistes
qui se sont intéressés à la question (Guillaud, 1994 ;
Daget & Godron, 1995 ; Kagoné, 2000 ; Petit, 2000a ; Diallo, 2006 ;
Kièma S., 2007 ; Dongmo, 2009 ; Vall & Diallo, 2009) montrent qu'en
saison pluvieuse (Ndungu / Ku siagu) les éleveurs se replient
sur les hauteurs, en particulier
collines mais aussi plateaux et hauts glacis aux sols peu
profonds, endroits généralement bien secs aux sols fermes et
incultes. Ils évitent ainsi des risques notamment sanitaires
(pathologies et accidents mécaniques) liés à
l'humidité et des risques de conflits liés aux
dégâts champêtres éventuels. Dès que ces
risques commencent à diminuer du fait de la cessation des pluies et / ou
de la récolte des cultures, les éleveurs commencent à
descendre avec leurs troupeaux en direction des parties des terroirs les plus
basses (plateaux et plaines susceptibles de regorger de l'eau ou de permettre
d'en rechercher (puisards) en saison sèche chaude ou saison de soudure
(Ceedu & Kotoga / Ku tontogu & A sakoana).
En début de saison sèche (Dabunde), la vaine
pâture va maintenir pendant un bon moment les troupeaux sur les zones
cultivées (UPP5 et aussi UPP3 et UPP1). Lorsque la saison « de
soudure » arrive, les unités pastorales sont toutes appauvries en
fourrage et la plupart en eau. Les milieux pouvant proposer de l'eau ou
permettant d'en rechercher par le creusage de puisards (Mbundu en
langue peule) deviennent alors importants. Par ailleurs, les premières
pluies (pendant Kotoga-Korse / A sakoana), vont occasionner
l'émergence de jeunes pousses d'adventices très
recherchées sur ces milieux cultivés et qui vont y attirer les
troupeaux (Petit, 2000a).
Ce schéma général, qui est pratiquement
celui que nous avons pu reconstituer théoriquement en focus group avec
nos éleveurs (voir représentations ; figures VI-12a &
VI-13a), est respecté dans la plupart des circuits que nous avons
enregistrés. Quelques ajustements révèlent des situations
particulières locales relatives à la conformation du terrain, aux
pratiques et à la personnalité du bouvier.
Le troupeau gourmantché du groupe d'éleveurs
sédentaires (TrpC1-2G) se trouve dans un secteur où en saison des
pluies, la concentration des champs est importante surtout sur les bas-fonds
(UPP1 : Ku bagu), les plaines et bas-glacis (UPP3 : Li
tinbuali) et une bonne partie des plateaux et hauts glacis (UPP4 : Li
tinmuali et U gbanu). Le bouvier ne dispose alors en
définitive que de la chaîne du Gobnangou sur laquelle il passe le
maximum de son temps. La petite taille du troupeau, du coup plus facile
à contrôler, permet au bouvier de prendre le risque de
pâturer dans les espaces interstitiels surtout sur les plateaux nettement
plus intéressants (plus forte biomasse de meilleure qualité). La
prise de risque est claire puisqu'avant même les récoltes, les
parties sèches des bas-fonds, encore occupés en grande partie de
sorgho, sont visitées. De plus, ce troupeau, contrairement à ce
qu'on aurait pu attendre, n'est pas présent dans les bas-fonds en fin de
saison sèche (A sakoana). C'est parce qu'il a commencé
à être complémenté (fourrage en stock ; boisson
à base de son) dès le début de la saison sèche
chaude (Ceedu), ce qui évite alors de s'éloigner de son
campement. Le seul bas-fond situé à proximité est
très dégradé parce que l'eau d'abreuvement encore
présente y concentre un nombre élevé de troupeaux. Le
troupeau étudié l'évite donc. Globalement, les
unités les plus exploitées sont celles des buttes rocheuses
(UPP6) (saison pluvieuse) et celle des bas-glacis et plaines non inondables
(UPP3) (saison sèche).
a. Représentations chez les Gourmantché b.
Pratiques chez le troupeau TrpC1-2G
232
Figure VI-12. Comparaison entre représentations et
pratiques saisonnières de conduite des troupeaux au pâturage chez
les éleveurs gourmantchés
D_Ku fowagu (début Ku fowagu):
mi-octobre à début-novembre P_Ku fowagu (plein Ku
fowagu): novembre à février
Ku tontogu : mars à début mai
A sakoana : fin mai à début juin
Ku siagu : juin à début octobre
Ku bagu= UPP1 (unité de savane arborée sur
sol profond hydromorphe à pseudogley de surface)
Ku pugu= UPP2 (unité de savane boisée
claire sur plaine inondable et sol hydromorphe à pseudogley de
surface) Li tinbuali = UPP3 (unité de savane arbustive de moyen
et bas glacis sur sols ferrugineux tropicaux à tâches et
concrétions)
U gbanu / Li tinmuali = UPP4 (unité de savane
arbustive claire de plateaux et hauts glacis sur sols ferrugineux tropicaux
lessivés indurés)
U gbanu / Li tinmuali (champs) = UPP5 (UPP 4
cultivé ; unité de mosaïque agroforestière sur sols
ferrugineux tropicaux lessivés indurés)
Li guali / Ku tankiangu = UPP6 (unité de savane
arbustive claire de buttes rocheuses et cuirassées).
Le troupeau peul du groupe d'éleveurs résidents
sédentaires (TrpC1-2P), pendant la saison pluvieuse (Ndungu), a
fréquenté les bas-fonds et plaines voisines dont l'abord est en
principe délicat à cause de nombreux champs. Ceci montre que les
éleveurs exercent une surveillance continue des ressources du terroir
qu'ils exploitent dès qu'une possibilité leur est offerte. Dans
le cas considéré, une poche de sécheresse a rendu cette
solution possible, certains secteurs de ces unités étant devenus
momentanément praticables. Ceci est une preuve que les buttes rocheuses
de la chaîne sont plutôt perçues comme une zone refuge (ou
zone de repli) que comme un pâturage à part entière,
à même de subvenir convenablement aux besoins des animaux. Par
ailleurs, la très grande distance qui sépare les plaines
inondables de ce secteur, n'encourage pas les bouviers à y conduire le
troupeau en début de saison sèche (Dabunde) alors
qu'elles sont susceptibles de regorger d'énormes ressources.
Le troupeau peul résident transhumant (Trp) se trouve
dans un secteur assez hydromorphe et cloisonné en saison pluvieuse par
la forte concentration de champs (sauf sur UPP2) et sans possibilité de
repli. L'unité UPP2 prend du coup un rôle capital dans
l'alimentation du troupeau à laquelle elle contribue
énormément notamment en fin de saison des pluies
(Yaamde) et pendant la vaine pâture (Dabunde) où
elle vient en complément des parcelles cultivées. Par ailleurs,
malgré le risque que représente la fréquentation des
unités des plateaux
(UPP4) qui sont, dans ce secteur, en grande partie
cultivées, le troupeau s'y rend pendant le Ndungu. C'est parce
que les espèces fourragères y sont assez diversifiées et
productives (forte biomasse) pour que le risque vaille la peine d'être
pris.
Le troupeau peul transhumant non résident (TrpC3) se
contente pendant le Dabunde de l'espace que veulent bien lui laisser
les agroéleveurs gourmantchés riverains dans les espaces
cultivés. Par ailleurs, avec les feux de brousse, assez présents
dans le secteur, le troupeau se trouve confiné et il est contraint
à de longs déplacements sur les espaces épargnés
par le feu ou sur des filets de broussaille entre les champs et surtout sur les
parties cultivées et ouvertes à la vaine pâture. En saison
sèche chaude, la pression sur les points d'eau du secteur est
très élevée et les puisards creusés sont
éphémères (nappe phréatique assez basse), ce qui
contribue à allonger davantage les distances journalières.
a. Représentations chez les Peul b. Pratiques chez le
troupeau TrpC1-2P
c. Pratiques chez le troupeau Trp d. Pratiques chez le troupeau
TrpC3
Figure VI-13. Comparaison entre représentations et
pratiques saisonnières de conduite des troupeaux au pâturage chez
les éleveurs Peuls
Yaamde: mi-octobre à début-novembre
Dabunde: novembre à février
Ceedu : mars à début mai
Kotoga / Korse : fin mai à début juin
Ndungu : juin à début octobre
Celol= UPP1 (unité de savane arborée sur
sol profond hydromorphe à pseudogley de surface)
Loubal= UPP2 (unité de savane boisée
claire sur plaine inondable et sol hydromorphe à pseudogley de
surface) Loubare = UPP3 (unité de savane arbustive de moyen et
bas glacis sur sols ferrugineux tropicaux à tâches et
concrétions)
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Banouol / Djolde = UPP4 (unité de savane
arbustive claire de plateaux et hauts glacis sur sols ferrugineux
tropicaux lessivés indurés)
Banouol / Djolde (champs) = UPP5 (UPP 4 cultivé ;
unité de mosaïque agroforestière sur sols ferrugineux
tropicaux lessivés indurés)
Waamde = UPP6 (unité de savane arbustive claire
de buttes rocheuses et cuirassées).
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