6.3.3.3. Synthèse sur le comportement du
troupeau au pâturage
6.3.3.3.1. Un comportement territorial,
révélateur de l'état (disponibilité et distribution
des ressources) des parcours.
Les circuits de troupeaux suivis pendant les cinq saisons du
calendrier pastoral ont montré que chacun des éleveurs exploite
un secteur particulier du terroir avec parfois une mobilité des parcs de
nuit pour prévenir les risques de vol (en saison sèche le parc
est ramené près des concessions) et d'humidité (en saison
pluvieuse le campement est délocalisé sur les hauteurs : plateaux
et flancs de la chaîne). Le troupeau transhumant résident (Trp),
qui a le plus changé l'emplacement du parc de nuit de son troupeau,
exploite le secteur le plus humide du terroir.
Le tableau VI-17 reprend de manière synthétique
les temps de présence au pâturage et les distances parcourues par
l'ensemble des troupeaux au cours de la période de suivi (novembre 2008
à octobre 2009). Les statistiques issues de notre étude de quatre
troupeaux montrent que les plus grandes distances sont couvertes en saison
sèche particulièrement en fin de saison de soudure (Ceedu /
Ku tontogu) et que plus le troupeau est de grande taille, plus grande est
cette distance exception faite au Kotoga /A sakoana où la plus
grande distance est réalisée par le plus petit (TrpC1-2G) des
deux troupeaux qui ont été suivis. Petit (2000a &
2000b), dans ses travaux à Kourouma, fait les mêmes observations
chez les agroéleveurs résidents de cette localité; il en
est de même des observations faites par Diallo (2006) à
Koumbia-Waly. Nos données s'opposent assez sensiblement à celles
obtenues dans le centresud du Burkina (Kagoné, 2000), ou auprès
des éleveurs peuls de Kourouma (Petit, 2000a) ou encore chez une
communauté Mbororo de Centrafrique (D'Amico et al. 1995) ou du
nordCameroun (Dongmo, 2009). Par ailleurs, Petit (2000a) et Dongmo (2009) ont
observé comme nous que les troupeaux des agroéleveurs
sédentaires (équivalents des troupeaux gourmantchés :
TrpC1-2G) couvraient moins de distance que ceux des éleveurs
professionnels (ici Trp à TrpC3) quelle que soit la saison. La
première explication qui peut être avancée est que les
troupeaux des agro éleveurs sont généralement de plus
petite taille que ceux des Peuls, ce qui leur permet un déplacement
moins soutenu sur parcours. Cette taille relativement petite est aussi un atout
lorsqu'il s'agit d'exploiter les interstices des unités fortement
cultivées comme UPP5, UPP3 et UPP1.
Tableau VI-17. Temps de présence au pâturage et
distances parcourues par les troupeaux au cours de la période de
suivi
Paramètres
|
Saisons
|
TrpC1-2G
|
TrpC1-2P
|
Trp
|
TrpC3
|
|
Dabunde
|
7,63
|
8,84
|
10,24
|
12,02
|
|
Ceedu
|
9,94
|
10,77
|
11,16
|
13,03
|
Distance moyenne
|
Kotoga
|
12,19
|
10,36
|
|
----
|
Parcourue (km)
|
Ndungu
|
6,49
|
8,35
|
8,97
|
----
|
|
Yaamde
|
7,13
|
8,2
|
8,46
|
----
|
|
Moyenne
|
8,68
|
9,3
|
9,71
|
12,53
|
|
Dabunde
|
8h 31mn
|
9h 17mn
|
9h 10mn
|
9h 52mn
|
Temps moyen
|
Ceedu
|
9h 52mn
|
9h 19mn
|
9h 29mn
|
10h 19mn
|
228
au pâturage Kotoga 9h 30mn 9h
10mn ----
Ndungu 8h 30mn 9h 04mn 9h 21mn ----
Yaamde 8h 07mn 8h 57 mn 9h 11mn ----
Moyenne 8h 54mn 9h 09mn 9h 18mn 10h 05mn
Dabunde = fin Ku fowagu (mi-novembre à
février) Ceedu = Ku tontogu (mars à mai)
Kotoga = A sakoana (fin mai à début
juin)
Ndungu = Ku siagu (juin à début
octobre)
Yaamde = début Ku fowagu (octobre à
début novembre)
Dans nos observations les troupeaux ont passé plus de
temps au pâturage en saison sèche qu'en saison pluvieuse, ce qui
est conforme aux observations de Dongmo (2009) mais contraire à celles
de Daget & Godron (1995) et Petit (2000a) ; ces deux derniers auteurs font
remarquer qu'en saison sèche, les animaux diminuent leurs
activités de pâturage (temps de présence au pâturage)
tout en augmentant leur durée de prise alimentaire. Il nous semble
qu'une telle affirmation doit cependant être nuancée. Nous avons,
en effet, constaté que le troupeau passait beaucoup de temps à se
déplacer d'un secteur à un autre en saison sèche et, en
conséquence, consacrait moins de temps au broutage en cette saison
comparativement à la saison pluvieuse.
Tableau VI-18. Diverses données de distance parcourue par
le troupeau au pâturage.
|
|
|
Saisons
|
|
Sources
|
|
Saison sèche
|
|
Saison humide
|
Dabunde
|
Ceedu
|
Kotoga
|
Ndungu
|
Yaamde
|
|
10
|
10,9
|
8
|
8
|
8,3
|
Diallo, 2006
|
|
5,22
|
4,82
|
4,38 - 9,60
|
7,99
|
5,94
|
Dongmo, 2009
|
|
|
|
|
|
|
(agroéleveurs)
|
Distance au pâturage
|
9,84
|
8,30
|
----
|
9,46
|
8,60
|
Dongmo, 2009 (éleveurs)
|
(km)
|
----
|
12
|
----
|
9
|
----
|
Petit, 2000a
|
|
|
|
|
|
|
(agroéleveurs)
|
|
----
|
7
|
----
|
9
|
----
|
Petit, 2000a (éleveurs)
|
|
----
|
----
|
----
|
7,5 - 13,7
|
----
|
Kagoné, 2000
|
|
|
5-8
|
|
> 8
|
|
D'Amico et al. 1995
|
6.3.3.3.2. Un objectif sous-jacent : maximiser le bilan
énergétique
Nos données montrent qu'en général, la
saison sèche (Ceedu / Ku tontogu et Kotoga /A sakoana)
est la période où le troupeau, quel qu'il soit, parcourt le plus
de distance. Il y a, par ailleurs, plus de temps mis au pâturage, une
grande part de ce temps étant allouée aux activités de
déplacement et d'abreuvement également beaucoup plus importantes
en cette saison (figure VI-11). La figure montre, par ailleurs, qu'au
pâturage le troupeau consacre au moins 60% de son temps au
prélèvement alimentaire (broutage), le reste du temps
étant consacré par ordre d'importance au déplacement, au
repos-rumination et, enfin, à
l'abreuvement. Cette allocation de temps aux activités
est assez fluctuante en fonction des saisons. Le broutage et le
repos-rumination atteignent leur maximum en saison pluvieuse, période
où le déplacement et l'abreuvement, au contraire, sont à
leur minimum et inversement en saison sèche. Ainsi, selon les
périodes, le comportement des troupeaux est tributaire d'une
préoccupation essentielle relative à deux paramètres
(l'accès à l'eau et au fourrage) : subvenir à leurs
besoins au moindre coût. Pike et al. (1977) ainsi que Dumont et
al. (2001) le confirment lorsqu'ils rappellent que le choix des sites
par les éleveurs et leurs troupeaux est déterminé par la
théorie de l'alimentation optimale. D'après cette théorie
(Kagoné, 2000 ; Dumont et al. 2001), le troupeau sur parcours
cherche constamment à maximiser son bilan énergétique.
Cette préoccupation sous-jacente qui guide le troupeau, à travers
les animaux leaders, va pousser celui-ci à " être assez regardant
" sur le coût énergétique que vont exiger les
déplacements entre les différents secteurs du territoire pastoral
(Wallis de Vries, 1996). Ce qui va déterminer au final le choix de
fréquenter ou de délaisser certains secteurs du terroir, le
troupeau étant capable selon Dumont et al. (2001) de moduler
son déplacement en fonction du rapport entre la valeur du site (gain
espéré en énergie) et la distance à parcourir pour
y accéder (dépense en énergie).
230
6.3.3.3.3. Des itinéraires dont la forme est
imprimée par la conjonction de plusieurs paramètres.
Plus les pâturages sont riches (cas de la plupart des
unités paysagères pastorales en saison pluvieuse, des
unités cultivées pendant la vaine pâture et des
unités de bas de pente en certains moments de la saison sèche),
plus le rythme de paissance (prise alimentaire) est lent. A contrario,
plus les pâturages sont pauvres (saison sèche chaude), plus ce
rythme est rapide (Bailey et al. 1996 in Kagoné, 2000 ; Diallo,
2006). Selon Petit (2000a), cette variation de rythme peut faire baisser
sensiblement l'efficacité de la pâture par suite de grandes
dépenses énergétiques en période de pénurie.
Par ailleurs, ces déplacements sont caractérisés, en cette
saison de disette (saison de rareté et d'extrême
discontinuité des ressources), par des circuits relativement plus amples
et plus sinueux témoins d'un espace plus ouvert et de fréquentes
marches des troupeaux d'un secteur à un autre du territoire afin
d'exploiter la grande diversité des milieux. Le temps plus long
consacré à l'abreuvement en saison sèche s'explique par la
pression qui s'exerce sur les points d'eau devenus moins nombreux,
localisés en des points particuliers du paysage, souvent
regroupés et le plus souvent d'usage mixte. Ceux des éleveurs,
les plus nombreux d'ailleurs, qui ne peuvent avoir accès à ces
points d'eau (c'est le cas des transhumants) ou qui fuient la concurrence
consécutive à cette pression, vont creuser des puisards dans les
lits des cours d'eau. L'abreuvement en ces points d'eau de fortune prend
énormément du temps puisque le berger doit faire remonter l'eau
avec des puisettes.
En saison pluvieuse (Ndungu / Ku siagu
surtout) quand l'herbe et l'eau (flaques et mares disséminées
dans les pâturages) sont abondantes dans l'ensemble du territoire, les
déplacements des troupeaux sont plus linéaires, moins amples et
s'effectuent à un rythme lent, preuve d'une relative abondance
(Kagoné, 2000 ; Diallo, 2006). Parallèlement, un temps de repos
plus long est nécessaire pour permettre de digérer les grandes
quantités de nourriture ingérées à la suite d'une
grande activité de broutage (figure VI-11).
La taille du troupeau semble aussi influencer son comportement
au pâturage. Nos données indiquent en effet que, plus le troupeau
est grand, plus la distance qu'il parcourt chaque jour est grande (exemple
TrpC3). Cette constatation a été aussi faite par Petit (2000a)
à Kourouma dans l'ouest burkinabè et par Dongmo (2009) au
Nord-Cameroun. En effet, les grands troupeaux épuisent plus vite le
fourrage d'un secteur donné du pâturage et passent plus rapidement
à un autre. Une autre explication logique réside dans le fait
que, plus le troupeau est grand, plus ses besoins sont importants et il lui
faut davantage de fourrage. Il se déplacera alors à un rythme
plus élevé et couvrirait en conséquence une plus grande
distance.
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