CHAPITRE VI
LE TROUPEAU AU PATURAGE : LOGIQUES,
REPRESENTATIONS ET REALITES DU TERRAIN
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6 .1. Introduction
La province de la Tapoa, en particulier la commune de
Tansarga, depuis quelques années, est confrontée à un
accroissement constant des effectifs de bétail, une raréfaction
et une dégradation des espaces pâturables suite à la
pression anthropique et aux mises en place d'aires protégées.
Face à ce que l'on peut qualifier de péril certain pour
l'élevage, il apparaît urgent d'entreprendre des actions visant
à enrayer voire inverser la tendance ainsi observée. Comme nous
l'avons développé plus haut (voir chapitre II) pendant longtemps
le système pastoral a été l'objet de visions
stéréotypées (Moorehead & Lane, 1995 ; Steinfeld et
al. 1997 ; Bary, 1998 ; Nori 2007 ; Nori et al. 2008)
focalisées sur un prétendu manque de rationalité. Les
efforts des politiques et des développeurs ont donc pendant longtemps
été portés principalement vers l'amélioration des
ressources (exemple : ouverture de points d'eau permanents) (Baroin, 2003) et
le contrôle des grandes épizooties (Boutrais, 1999b ;
Touré, 1994 ; Thébaud, 2002), et ont fait l'impasse sur les
éleveurs, leurs modes d'occupation de l'espace, leurs pratiques et les
impacts de celles-ci sur lesdites ressources. Or aucun système
d'exploitation ne peut être bien appréhendé si on dissocie
les potentialités ou contraintes du milieu des techniques mises en
oeuvre par les acteurs (Hoffmann, 1985). Bon nombre de spécialistes de
la question pastorale (Lhoste & Milleville, 1986 ; Sinsin, 1991 ;
Kièma S., 1992 ; Daget & Godron, 1995 ; Kagoné, 2000 ;
Baroin, 2003 ; Diallo, 2006 ; Dongmo, 2009 ; Vall & Diallo, 2009 ; Vall et
al. 2009 ; Dongmo et al. 2010) sont unanimes de nos jours sur
l'intérêt d'appréhender les connaissances ou savoirs
techniques locaux ainsi que les stratégies et les motivations qui les
sous-tendent pour une intervention plus efficiente sur le système
global. Il s'agit de prendre en compte les représentations que les
éleveurs ont des ressources naturelles et d'examiner comment ils
mobilisent ce corpus de savoirs pour les valoriser par leur bétail. Par
ailleurs, les informations recueillies par enquêtes sont parfois
insuffisantes, il existe bien souvent un certain décalage entre ce que
les acteurs, en l'occurrence les éleveurs, disent faire et ce qu'ils
font réellement. A ce propos, Boutrais (1999a) fait observer qu' "un
savoir pastoral est rarement identifiable par lui-même mais à
travers des pratiques qui, souvent, ne sont pas exprimées par les
informateurs". Identifier donc l'écart qui pourrait exister entre
le discours et la réalité par l'observation des faits et les
motivations liées en interrogeant les acteurs peut être un gage de
meilleure appréhension des pratiques et donner des indications sur les
contraintes que ceux-ci rencontrent dans la mise en oeuvre de leurs
connaissances.
Rappel des hypothèses de recherche
Dans le précédent chapitre consacré aux
pratiques pastorales en général, nous avons abordé la
question de l'exploitation des parcours, notamment du choix des lieux
fréquentés par les troupeaux en saison sèche, en
interrogeant les éleveurs. Dans le présent chapitre nous
approfondissons cette question par le suivi des animaux au pâturage. Ces
observations sont faites dans l'objectif d'identifier les principaux facteurs
qui les déterminent et de mettre à l'épreuve les
hypothèses que nous avons faites (encadré VI-1). De
manière concrète il s'agit de comprendre comment les
éleveurs appréhendent et apprécient les milieux qu'ils
exploitent et comment, par leurs troupeaux, ils valorisent leurs connaissances
desdits milieux. Par
ailleurs, la nature de la biomasse végétale des
parcours arides et subarides (flore complexe, diversifiée et
hétérogène) ne renseigne pas bien sur la composition de la
ration ingérée, ce qui donne toute son importance à
l'étude du comportement alimentaire des animaux (Daget et Godron,
1995).
Encadré VI-1. Les hypothèses de recherche
· Dans une localité donnée, les
éleveurs évaluent et classent les pâturages sur des
critères écologiques, mais aussi de risques de conflits, de
risques sanitaires, etc. Cette évaluation/classification change en
fonction des périodes de l'année.
· Dans une localité donnée, le choix
des itinéraires par les animaux et/ou leurs bergers repose sur cette
évaluation/classification locale qui croise une classification des
milieux végétaux et une échelle de risque. Il se fait en
fonction de la distribution spatiotemporelle et de la valeur pastorale des
ressources végétales ainsi que du niveau d'exposition aux
différents risques évoqués ci-dessus.
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