5.3.5.2. Relations entre les populations
résidentes
Autrefois, dans le terroir de Kotchari la cohabitation entre
les groupes socioculturels peuls et gourmantchés était
marquée par un niveau relativement faible d'échanges et
frôlait l'indifférence: pas d'échange de femmes en mariage
(ceci reste valable de nos jours), ni de biens ou de services à
l'exception de la vente de lait de bovins par les femmes peules sur la place du
village. Ces relations ont connu une évolution particulière qui
semble sortir quelque peu du schéma observé ailleurs par Guillaud
(1994), Thébaud (1995), Boutrais (1999), Requier-Desjardins (1999) et
Kaboré (2010) dans les régions d'implantation peule plus ancienne
comme le Gourma (Santoir, 1998 ; Benoit, 1998). Kaboré (2010) montre, en
effet, qu'autour de la réserve de Pama Nord, la construction des
maîtrises territoriales avait été marquée par une
inclusion sociale exhaustive qui prenait en compte tous les étrangers,
y
76 On est parfois choqué par l'attitude et
le manque de compassion que les commerçants affichent en de telles
occasions. Accourus d'abord pour jouer aux « conciliateurs », ils
n'hésitent pas à miser des sommes insignifiantes dès que
la vente est ouverte sachant que de toute façon le berger n'a pas le
choix que de vendre quelques têtes pour s'acquitter des amendes qui
dépassent le plus souvent l'entendement.
compris les Peuls. Ces derniers assuraient des fonctions
précises en rapport avec leur statut de pasteurs, ils fournissaient le
lait et le bétail pour les rites, tissaient les toits dans les cours
royales et gardaient les troupeaux des tuteurs. Par ailleurs, ils assuraient
les fonctions de marabouts, de guérisseurs ou de circonciseurs. Il y
avait donc une complémentarité entre systèmes de
production différents (Nori et al. 2008 ; Kaboré, 2010),
ce qui participait à assurer une bonne cohabitation entre la
communauté peule et celle des autochtones notamment les
Gourmantchés.
La situation assez singulière77
d'indifférence, à l'époque, dans notre terroir pouvait
s'expliquer par (i) une certaine méfiance qui était
observée entre ces groupes aux coutumes et rites totalement
différents et qui, en plus, se connaissaient alors à peine, (ii)
le positionnement des campements peuls, d'installation relativement
récente, en des endroits assez éloignés des villages, et
(iii) une relative autosuffisance des autochtones gourmantchés, ceux-ci
ne pratiquant que le petit élevage et le fumier produit suffisait bien
souvent à enfumer les champs de case (les champs de village et de
brousse étaient auparavant laissés tels quels). Par ailleurs, les
Peuls semblaient se suffire au niveau des besoins céréaliers
à partir de leurs propres champs. Avec le temps, la situation a connu
des changements notables. La diversification locale des activités de
production qui émergeait déjà s'est exacerbée (les
Peuls, pour reconstituer un cheptel perdu et aussi pour s'adapter, sont devenus
de grands producteurs agricoles, alors que les Gourmantchés, grâce
à la culture du coton, entretiennent désormais parfois de gros
effectifs de bovins) dans un contexte de forte demande en terre
consécutive à la pression démographique. Cette situation
nouvelle a engendré des besoins d'échange de service (garde des
animaux par exemple) mais aussi et surtout généré de
fortes concurrences pour l'accès aux ressources naturelles du terroir.
Tout ceci évolue dans un contexte de dégradation (baisse de la
quantité et de la qualité du fourrage produit, tarissement plus
rapide des points d'eau, etc.) et de la raréfaction (pression agricole
amenuisant les espaces pâturables) desdites ressources. Cette situation
de rivalité entre Peuls et Gourmantchés a très souvent
été abusement jugée comme résultant d'une
compétition entre pasteurs et agriculteurs pour l'accès aux
ressources naturelles. Pourtant, comme le font observer divers auteurs
notamment Thébaud (2002) et Turner (2004), l'identification de ces
groupes par leur profession n'est plus de nos jours opérante, ceux-ci
s'étant "déspécialisés" (Boutrais, 1999 ;
Kaboré, 2010) avec le développement de l'élevage bovin
chez les agriculteurs gourmantchés et celui de l'agriculture chez les
pasteurs peuls. Pour ces deux auteurs il faut rechercher les raisons à
ces rivalités, dans la baisse des complémentarités
(confiage, contrat de fumure, etc.) et dans les préjugés
qu'entretiennent les autochtones gourmantchés à l'égard
des peuls "étrangers".
Ces dernières années, en effet, les
Gourmantchés à Kotchari, sont de moins en moins enclins à
donner en gardiennage leurs animaux aux bergers peuls dont pourtant ils louent
les qualités. Ils trouvent, comme nous l'avons signalé plus haut,
que ces derniers font montre d'un relâchement coupable lorsque le
bétail ne leur appartient pas et qu'en outre des pertes parfois
77 Cette singularité est cependant à
relativiser car chronologiquement la situation décrite par Kaboré
(2010) est plus ancienne que la notre. L'implantation des premiers Peul
à Kotchari est en effet plus récente et rien ne dit qu'autour de
Pama Nord les mêmes constats dans les relations entre communautés
n'ont pas été observés à un moment donné de
l'évolution.
énormes et aux causes douteuses (attaque de
prédateurs, saisies, vols) sont enregistrées. Toutes ces raisons
entretiennent un climat désormais tendu entre ces groupes, situation
accentuée par les fréquents dégâts causés aux
champs et les empiètements des agriculteurs sur les pâturages et
les pistes à bétail.
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