5.3.5.3. Relations agroéleveurs -
administration forestière : la question de la fréquentation des
aires protégées.
Kaboré (2010), dans ses recherches autour de la
réserve de Pama Nord, a montré que les populations riveraines de
cette réserve nourrissent un certain nombre de revendications qui ne
sont pas toutes de nature économique et qui traduisent parfois un refus
de l'existence de celle-ci. D'après l'auteur, bien souvent, les
maîtres territoriaux (aînés des lignages) vivent mal la
négation de leur autorité de contrôle sur les terres de ces
aires et l'impossibilité d'y effectuer les rites sacrificiels
ancestraux. Si ces raisons ne sont pas à exclure dans les contestations
observées dans le terroir de Kotchari, celles qui sont affirmées
sont de nature foncière (Zombra, 2008 ; Kièma & Fournier,
2007 ; Ouédraogo K., 2009), c'est-à-dire l'accès aux
terres et aux riches ressources du parc W et de la réserve de la
Kourtiagou. Ces observations sont également rapportées par
Fournier et Toutain (2007) et Kièma S. (2007). Les populations
résidentes qui voient ces aires protégées environnantes
comme une contrainte78 (Zombra, 2008), sont en effet très
dépendantes de celles-ci pour leurs ressources (terres, paille,
pâturages, bois de construction et divers produits forestiers non
ligneux, etc.) qui se font rares en dehors. L'existence de ces entités
nourrit d'ailleurs, à leurs yeux, la compétition foncière
entre agriculture et élevage et est source d'amenuisement des ressources
à l'extérieur par suite de fortes et diverses pressions
d'exploitation79. Cependant, du fait des dispositions
spéciales prévues par la loi forestière (autorisations
saisons saisonnières et collectives d'accès à ces
ressources : produits forestiers non ligneux, paille, etc.) (Kaboré,
2010) qui ne manque cependant pas de limites évidentes (les
périodes d'autorisation ne coïncident pas forcément avec les
périodes de besoin ou de disponibilité de main d'oeuvre compte
tenu des tâches à accomplir au sein des exploitations), les
conflits sur l'exploitation humaine desdites ressources sont limitées
relativement à celles qui ont cours en ce qui concerne l'exploitation
directe (pâturage) par les animaux.
S'il y a un facteur déterminant dans le
déroulement des activités pastorales et dans ses manifestations
actuelles, c'est bien les relations qu'entretiennent les éleveurs
transhumants ou non avec l'administration forestière et qui sont
généralement de nature conflictuelle. Les éleveurs
à Kotchari, surtout les transhumants, reconnaissent rarement
fréquenter les réserves environnantes bien que des indices
semblent indiquer du contraire. En effet, bien souvent les campements sont
érigés à une distance raisonnable (pas assez proche pour
aiguiser les soupçons, pas assez lointaine pour occasionner de grandes
dépenses d'énergie en
78 Ouédraogo K. (2009) invite toutefois
à nuancer cette affirmation. L'auteur en mettant en balance les
bénéfices que procurent les aires protégées aux
populations riveraines (accès aux ressources, revenus
redistribués, etc.) et les coûts additionnels qu'elles
génèrent (saisies et amendes diverses) arrive à la
conclusion qu'en définitive les bénéfices tirés
sont supérieurs aux coûts.
79 Le Mire Pecheux et al. (2000) repris par
Kaboré (2010) montrent, en effet, que Andropogon gayanus, une
espèce utilitaire dans l'artisanat local et comme fourrage ne peut
subsister à une forte pression anthropique.
déplacement) et les animaux, en saison sèche
sont gardés au ras des réserves. Au-delà de leurs
attitudes assez révélatrices, c'est surtout leurs
représentations des aires protégées, aux antipodes de
celles de l'administration forestière, qui rendent leurs rapports
malsains. Voyant dans ces réserves, d'énormes ressources
fourragères « inutilement » préservées et dont
ils contestent la pertinence de la mise sous cloche, ceux-ci imaginent des
scénarios devant leur permettre de les valoriser. Cette posture, aussi
rencontrée autour de la réserve de Pama Nord par Kaboré
(2010), a été d'autant plus renforcée que l'accroissement
du cheptel et l'avancée du front agricole ont été
importants ces dernières années. Dans la pratique, la question de
la fréquentation des réserves reste un mystère difficile
à percer. Cependant, la plupart des Peuls avec qui nos fréquentes
interactions ont fini par instaurer un rapport de confiance, reconnaissent
fréquenter les réserves voisines80. Ils expliquent
même (voir aussi Kpoda, 2010) qu'il existe dans le parc W, des sites
refuges difficilement accessibles par les forestiers et vers lesquels ils se
dirigent automatiquement une fois qu'ils y ont pénétré. Il
existe ainsi un jeu de cache-cache entre les agents veillant à
l'atteinte des objectifs de conservation et les éleveurs pour qui le
salut du bétail en saison sèche réside dans l'accès
à ces aires (Parc W, Réserves et Concessions de chasse de la
zone) où les pâturages sont de meilleure qualité et la
biomasse nettement plus intéressante. Cette situation qui oppose des
parties aux objectifs divergents a rendu délétères les
rapports entre elles, ils se manifestent le plus souvent par des abus divers
notamment le racket81. Les éleveurs, pour atteindre leurs
objectifs utilisent diverses armes comme la corruption82 ou des
schémas de contournement de la vigilance des agents comme les fausses
déclarations. En effet, bon nombre d'entre eux, après
s'être acquittés des frais de CIT (certificat international de
transhumance), simulant ainsi leur désir d'aller en transhumance
transfrontalière au Bénin, se retrouvent ensuite dans les aires
protégées une fois qu'ils se sont éloignés du poste
forestier de Kondio ou lorsqu'ils ont franchi la frontière
béninoise.
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