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Ressources fourragères et représentations des éleveurs, évolution des pratiques pastorales en contexte d'aire protégée. Cas du terroir de Kotchari à  la périphérie de la Réserve de biosphère du W au Burkina Faso

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par Issa Sawadogo
Museum national d'histoire naturelle de Paris (ED 227) - Docteur du museum national d'histoire naturelle spécialité physiologie et biologie des organismes  2011
  

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5.3.5. Les rapports sociaux entre les acteurs et leurs conséquences sur les pratiques pastorales

Les acteurs de l'élevage (transhumants et sédentaires) et de la conservation (agents forestiers) entretiennent entre eux un certain nombre de rapports de collaboration ou d'échanges, tantôt de méfiance et surtout de plus en plus hostiles et même conflictuels. Aborder la question des rapports conflictuels dans un milieu donné revient à déterminer les parties en conflits (les catégories de protagonistes qui se disputent une ressource spécifique), les enjeux et les objets (Barrière, 1996).

Ce chapitre des rapports entre les acteurs dans le terroir a été largement abordé par le passé (Sawadogo ; 2004). La question a été approfondie par des entretiens ciblés avec quelques personnes ressources avec une faveur accordée à la question de la conflictualité, vue comme un révélateur de contraintes rencontrées par les populations dans leurs activités agropastorales (Boutrais, 1983 ; Dugué et al. 2004). Notons que la question a été également largement abordée par le programme ECOPAS (tableau V-10) mais nous avons orienté notre investigation sur quatre niveaux de rapports : les relations (i) transhumants - populations sédentaires, (ii) éleveurs résidents gourmantchés - éleveurs résidents peuls, (iii) agroéleveurs - administration forestière et (iv) entre éleveurs transhumants.

Tableau V-10: Typologie des conflits dans la périphérie du WAP

Type de conflit

 

Principales causes

Éleveurs transhumants vs


·

Occupation des espaces pastoraux (pistes à bétail, aires

Agriculteurs

 

de pâturage, voies d'accès aux points d'eau)

 


·

Dégâts de cultures et/ou de récoltes dans les champs

Éleveurs transhumants vs


·

Inexistence ou non aménagement de couloirs de

Services forestiers

 

transhumance obligeant les animaux très affaiblis à de grands détours

 


·

Exploitation pastorale des aires protégées, dégradation de la faune et de son habitat

 


·

Mauvais traitement infligé aux animaux saisis, abattages systématique d'animaux (surtout du côté Bénin)

Éleveurs transhumants vs


·

Dégradation de la faune et de son habitat

Concessionnaires de zone


·

Dépréciation de la valeur touristique de la concession du

de chasse

 

fait de la présence de bétail domestique dans les concessions

Éleveurs transhumants vs


·

Pâturage nocturne, dégâts de champs et exacerbation des

Éleveurs sédentaires

 

conflits avec les agriculteurs

 


·

Concurrence sur l'exploitation des rares ressources

 
 

pastorales conduisant à des déplacements obligatoires des éleveurs résidents

Éleveurs transhumants vs


·

Tracasseries administratives, y compris raquettes et taxes

corps habillés (Police,

 

sauvages

Douane, Gendarmerie,


·

Non respect de la réglementation

Forestiers)


·

Dégâts humains (viols de femmes, mort d'hommes, etc.)

 


·

Tentatives de contournement des mesures de suspension de la transhumance transfrontalière au Bénin et au Togo

(Source : http://www.cirad.bf/fr/anx/parc-w-transhumance.php consulté le 15 mai 2010)

5.3.5.1. Les relations entre les transhumants et les acteurs locaux

5.3.5.1.1. Des liens de réciprocité parfois anciens, mais de plus en plus fragiles

Avec les populations du terroir de Kotchari comme avec celles des terroirs traversés, les transhumants entretiennent des relations de nature diverse, parfois multiséculaires. Ces rapports qui prennent parfois l'allure d'alliance, peuvent être durables, ils reposent sur le principe de réciprocité qui se caractérise par des échanges divers (échanges d'informations, de biens et de services) entre partenaires. Ce type de relations entre sociétés peules et sociétés autochtones généralement agricultrices a été déjà décrit par bien d'auteurs notamment Thébaud (1995 & 2002) qui a étudié les pasteurs au Yagha burkinabé et au Niger oriental et par Touré (1997) qui s'est intéressé aux pasteurs du Ferlo sénégalais. De nos jours ces relations connaissent de profondes mutations et c'est avec un brin de nostalgie teintée d'amertume que Sondé Sadjo, un transhumant de Makalondi (Sud-ouest du Niger), nous dépeint la situation telle qu'il la vit actuellement : «j'ai commencé à fréquenter ce terroir il y a plus de 20 ans. Les premières années je venais avec mon grand frère qui est maintenant fatigué. Grâce à lui j'ai connu la famille de Mr Couldiaty Tadjoa mon tuteur actuel. Les premiers liens entre nos familles ont été établis par nos pères respectifs. Lors de mes premiers séjours, je passais la nuit tout près de la concession des Couldiaty dans un campement de fortune établi sur leurs champs de case. Le soir j'avais droit à de l'eau de toilette servie par les femmes et ils me faisaient partager leurs repas. Et après on passait une bonne partie de la soirée à échanger. C'est vrai qu'à cette époque, il m'arrivait parfois, avant mon départ pour le Niger, de leur laisser un taurillon sans compter les rations journalières en lait72 qui leur étaient distribuées ainsi que le fumier que nos animaux apportaient gracieusement à leurs champs. Aujourd'hui, quand nous arrivons à Fantama ici (c'est le quartier de la famille Couldiaty), l'accueil manque de chaleur et selon l'année on peut même être amené à établir notre campement loin de leurs concessions». Si la situation de Sadjo peut être déplorée, il faut signaler que ce cas de figure, où des liens aux origines lointaines sont encore entretenus, est devenu rare à Kotchari. La plupart des transhumants n'ont pas ou plus d'attache sur place et établissent leurs campements, devenus plus mobiles, loin des concessions des résidents. L'une des explications serait liée à l'accroissement des effectifs locaux qui épuisent rapidement les fourrages proches des concessions et qui « repoussent » le

72 De nos jours, les troupeaux produisent moins de lait du fait de dégradation des conditions fourragères pendant la campagne de transhumance. Les possibilités de donner une partie de ce lait sont amoindries en conséquence surtout les bergers qui accompagnent les troupeaux sont de plus en plus nombreux.

bétail transhumant, devenu par ailleurs plus important. Par le passé, en effet, les animaux transhumants étaient relativement très peu nombreux (rarement plus d'une dizaine par an) et les bergers transhumants pouvaient avoir chacun un tuteur local avec qui ils partageaient services et difficultés. Les tuteurs gourmantchés, dont le bétail était auparavant très embryonnaire et dominé par de petits ruminants, installaient « leurs étrangers » à proximité de leurs concessions et, en plus de leur apporter nourriture et eau de boisson, leur servaient d'intercesseurs en cas de problèmes particuliers avec les autres villageois.

De nos jours donc les rapports entre partenaires d'autrefois sont de moins en moins cordiaux, voire hostiles. Fuyant cette hostilité ambiante, générée selon eux par la concurrence pour l'accès aux ressources (les tuteurs sont devenus, en effet, de grands éleveurs), les transhumants ont de moins en moins des relations avec les locaux et les échanges tendent vers un mode purement commercial (échanges rémunérés de biens sur le marché local). Les liens de réciprocité sont devenus superficiels et ceux qui subsistent pourraient être qualifiés d'opportunistes ; il n'existe, en effet, plus de réseaux constitués dans le temps et dans l'espace. Par exemple, de plus en plus, le transhumant change de tuteur d'une année sur l'autre ou le temps d'un aller-retour au cours de la même saison de transhumance. De manière générale on ne rencontre plus que quelques familles résidentes, notamment gourmantchés, qui acceptent d'accueillir les transhumants sur leurs parcelles agricoles surtout en début de saison sèche au moment de la vaine pâture. Ce qui surprend dans tout cela c'est que les transhumants n'établissent jamais leurs campements auprès des concessions peules sédentaires avec qui, pourtant, ils interagissent. Une explication subtile est donnée par l'un d'entre eux, en l'occurrence Baadio Idrissa. Selon ce dernier, il n y a pas intérêt pour un transhumant à se faire héberger chez un peul sédentaire ou autochtone puisque ce dernier a aussi besoin de faire pâturer son champ (généralement de petite taille relativement à celui du gourmantché) par son troupeau qui au contraire est de plus grande taille. La concurrence y serait donc plus importante. A cette raison liée à l'accès aux ressources se greffe une autre raison de nature socioculturelle. Ordinairement, il n y a pas d'échanges de femmes en mariage entre Peuls et Gourmantchés dans cette région, au contraire cela est possible entre Peuls transhumants et résidents73. Ainsi, le transhumant, en restant loin des autres Peuls, accroît ses chances en gardant la liberté de pouvoir courtiser n'importe quelle fille peule du village. Un autre argument non moins important est que les Peuls résidents seraient gênés d'héberger un étranger qui pourrait alors avoir une idée de la taille de leur cheptel : « un bon Peul est toujours gêné qu'un autre sache qu'il a moins de têtes de bovins dans son troupeau », nous a confié Idrissa.

Les relations avec les résidents peuls restent cependant importantes. Si, les transhumants sont hébergés par les Gourmantchés, ils passent le clair de leur temps, surtout la journée lorsqu'ils ne sont pas au pâturage, chez les Peuls résidents de qui ils se sentent plus proches. Par ailleurs, ces derniers leur servent d'intermédiaires sur diverses questions. En effet, pour mener une transaction commerciale ou pour régler un conflit avec l'administration (forestière ou générale) le transhumant a recours aux éleveurs sédentaires de son groupe social notamment les Garso locaux.

73 Kaboré (2010) a noté dans la zone de la réserve de Pama Nord que des échanges de femmes entre Peul et autochtones existaient par le passé, ils sont cependant en net recul de nos jours.

5.3.5.1.2. Des relations de plus en plus conflictuelles

Pour la grande majorité des autochtones, une véritable hostilité est entretenue à l'égard des transhumants et des pasteurs en général. Cette hostilité est plus manifeste chez les rares non-éleveurs et elle épouse plusieurs formes allant des feux volontairement mis aux restes des résidus de culture et à la brousse et parfois à des menaces voilées proférées à l'endroit des tuteurs de ces éleveurs allochtones. Cette hostilité peut même parfois déboucher sur des conflits ouverts que nos entretiens n'ont malheureusement pas pu révéler74. Le type de conflits que nous avons pu répertorier a déjà été rapporté par Barrière et Barrière (1997) à la suite d'études qu'ils ont conduites dans le delta du fleuve Niger au Mali. Ils tournent tous autour du foncier et de l'exploitation de l'espace-ressource.

- Les conflits pour l'accès aux points d'eau. La période de pointe de la transhumance correspond à la période où l'eau de boisson et d'abreuvement provient essentiellement des puits et des forages. En conséquence, les pasteurs surtout transhumants mettent beaucoup de temps aux points d'eau puisqu'ils sont généralement les derniers à passer leur tour. Pour remédier à cela, ils creusent des puisards dans les différents lits de rivières rencontrés sur le terroir. Ces puisards sont également pris d'assaut par les autochtones qui considèrent de toute façon qu'ils sont les propriétaires des lieux, ce qui occasionne des bagarres, cependant vite circonscrites, dont nous avons souvent été témoin.

- Les conflits liés aux dégâts provoqués aux champs. Même si lors des entretiens, les pasteurs peuls affirment prendre leurs dispositions pour éviter ce genre de situation, la réalité est tout autre. Les transhumants pour des raisons évidentes (retard des pluies dans leurs terroirs d'attache) s'attardent de plus en plus dans les terroirs d'accueil comme cela a été le cas en 2008. Or les terres agricoles du terroir de Kotchari sont, du fait de la culture du coton, ensemencées très tôt75. Par ailleurs, du fait de la pression agricole sur les rares terres arables, l'activité agricole se déporte sur les terres jadis délaissées pour leur faible valeur agronomique et utilisées comme zones de pâture traditionnelles (photo V-8). Pour toutes ces raisons, les risques de conflits sont accrus, tout spécialement pour ceux des transhumants qui sont allés plus bas notamment au Bénin. En effet, leur repli vers les terroirs d'attache devient problématique surtout que même les pistes à bétail sont ignorées par les agriculteurs qui y placent leurs champs. Les conflits qui résultent de l'obstruction des voies d'accès du bétail ou de l'occupation des parcours sont, d'après la plupart des personnes ressources interrogées, les plus fréquents dans le terroir.

74 La méfiance manifestée à notre égard, malgré nos efforts de mise en confiance, fait que nos interlocuteurs disent toujours ne pas connaître de problèmes entre eux et avec les villageois malgré souvent des faits qui trahissent ce discours.

75 En 2008 par exemple, certains agriculteurs ont ensemencé les parcelles de coton dès mi-mai. Cette culture exige d'être semée très tôt dès les premières pluies au moment même où les sites de repli pour les troupeaux même locaux ne connaissent pas encore de repousses attrayantes.

Cliché Sawadogo, août 2009

Photo V-8. Zone de pâture traditionnelle prise d'assaut par les agriculteurs : en arrière plan, en haut à gauche, un champ de maïs incrusté dans une zone de pâture traditionnelle (plateau gravillonnaire) couverte de Loudetia togoensis.

5.3.5.1.3. Une présence des transhumants qui reste bénéfique à l'économie locale

Sur le plan économique, pendant la période de présence des transhumants dans le village, le commerce local, surtout alimentaire, connaît un véritable dynamisme. Certaines commerçantes de denrées alimentaires comme le couscous à base de millet, en profitent d'ailleurs, de manière abusive, pour maximiser leurs gains en majorant parfois les prix. Dans le même sens, le passage des transhumants est l'occasion pour les éleveurs et commerçants locaux de faire de bonnes affaires en s'achetant, parfois à vil prix76, des animaux saisis et vendus aux enchères ou fatigués et ne pouvant poursuivre le chemin.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille