5.3.4.5. Diversification des troupeaux
La composition des troupeaux villageois est assez
variée, mais le plus souvent ils regroupent bovins, ovins et caprins.
Cependant les troupeaux composés uniquement de bovins ou à la
fois de bovins et d'ovins sont de plus en plus nombreux. Quelle que soit la
69 Les travaux de Ouédraogo (2008) montrent
qu'il n'existe pas à Kotchari de difficulté d'exploitation du
fourrage ligneux, l'essentiel (63 à 94%) des types ligneux ayant une
taille inférieure à 2 m, hauteur limite à partir de
laquelle l'intervention du berger est nécessaire pour l'accès au
matériel végétal par les animaux (Hiernaux, 1980 ;
Kièma, 2007).
composition d'ensemble du troupeau, les mélanges de races
bovines sont de plus en plus fréquents, notamment les associations
Barbaji + Gurmaji et Gurmaji + Jaliji.
Les troupeaux des éleveurs non transhumants (C1)
étaient, il ya une vingtaine d'années, pour une grande part
d'entre eux, dépourvus de l'espèce bovine. Les troupeaux qui en
disposaient, comprenaient aussi des ovins et des caprins. Il ya une dizaine
d'années, la part de troupeaux sans bovins ainsi que celle des troupeaux
plurispécifiques (bovins, ovins, caprins) ont diminué, à
leur place se forment des troupeaux à deux espèces (bovins et
ovins) ou monospécifiques à bovins. Ces derniers temps cependant,
la tendance s'inverse presque : les troupeaux sans bovins ou à trois
espèces reprennent du poids dans ces élevages alors qu'il
apparaît quelques troupeaux comprenant à la fois des bovins et des
caprins (figure 18a). Au niveau de la structuration raciale bovine, ces
troupeaux se caractérisent par un poids de plus en plus important des
troupeaux composés à la fois de la Barbaji et de la
Gurmaji (NRaB-4) surtout mais aussi de ceux qui sont à trois
races au moins (NRab-6). L'émergence de ces deux profils de troupeaux se
fait aux dépens de ceux constitués de la seule race
Barbaji (NRab-1) Gurmaji (NRab-2) ou même
Jaliji (NRab-3) (figure V-18b).
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a. Nombre et types d'espèces du troupeau b. Nombre et
types de races bovines
Figure V-18. Composition spécifique et raciale des
troupeaux du groupe C1 Légende:
NEsp-1 : bovins + ovins + caprins NRaB-1 : Barbaji
NEsp-2 : bovins + ovins NRaB-2 : Gurmaji
NEsp-3 : bovins + caprins NRaB-3 : Jaliji
NEsp-4 : bovins NRaB-4 : Barbaji + Gurmaji
NEsp-5 : Pas de bovins NRaB-5 : Gurmaji + Jaliji
NRaB-6 : Autres cas de figures (plus de deux races)
NRaB-7 : pas de bovins dans le troupeau
Chez les transhumants résidents (), l'évolution
de la composition spécifique au cours des 20 dernières
années montre un déclin des troupeaux comprenant à la fois
bovins, ovins et caprins alors que sont en train d'émerger des troupeaux
à bovins et ovins (figure V-19a). Alors que quelques troupeaux
monospécifiques à bovins se rencontrent actuellement dans ces
élevages, il n'en existe plus qui ne contiennent pas de bovins. Les
troupeaux comprenant seulement la race bovine Gurmaji, fortement
représentés par le passé, n'existent plus, alors qu'il
devient de plus en plus possible de rencontrer des troupeaux ayant deux
à plus
de deux races bovines. De nos jours, les configurations
raciales des troupeaux qui sont les plus représentées sont les
associations Barbaji + Gurmaji (NRaB-4) surtout et Gurmaji +
Jaliji (NRaB-5) ou alors les associations de plus de deux races bovines
(NRaB-6) (figure V-19b).
a. Nombre et types d'espèces du troupeau b. Nombre et
types de races bovines
Figure V-19. Composition spécifique et raciale des
troupeaux du groupe
Les troupeaux du groupe des éleveurs transhumants non
résidents (C3), montrent une évolution (figure V-20a) qui se fait
en défaveur de ceux composés à la fois des espèces
de bovins et d'ovins (NEsp-2), beaucoup plus présents par le
passé, et de ceux à trois espèces (bovins, ovins et
caprins) (NEsp-1) et en faveur de ceux ne comprenant que la seule espèce
bovine (NEsp-4). L'espèce caprine est peu présente dans ces
élevages. Au sein de ces troupeaux, caractérisés par la
présence d'une seule race bovine en général, au fil du
temps, l'ordre d'importance s'est inversé en faveur de la race
Gurmaji et au détriment de la race Jaliji (figure
V-20b). Par ailleurs, une part de plus en plus importante de troupeaux
comprenant à la fois les races Gurmaji et Jaliji
(NRab-5) est enregistrée alors qu'au contraire on ne
rencontre plus de troupeaux à plus de deux races bovines (NRaB-6).
a. Nombre et types d'espèces du troupeau b. Nombre et
types de races bovines
Figure V-20. Composition spécifique et raciale des
troupeaux du groupe C3
On le voit, dans les différents troupeaux, quel que
soit le type d'élevage, l'évolution se fait vers la
réduction du nombre d'espèces animales. Cette tendance est nette
chez les transhumants résidents ou non ( et C3) et moins nette et
même en inversion chez les agroéleveurs résidents (tendance
en légère inversion il ya une dizaine d'années). Ce
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comportement particulier est à relier au
caractère assez diversifié de ce groupe d'éleveurs qui
comprend des Gourmantchés dépourvus ou non de bovins (C1-1 et une
partie de C1-2) et des peuls sédentaires. Seuls les premiers s'adonnent
à la culture du coton, activité déterminante dans la
taille de leur cheptel, la capitalisation des revenus agricoles se faisant par
l'achat de bétail. De manière globale, le cheptel des
Gourmantchés est dans une phase de baisse des effectifs et de
déstockage des espèces bovines qui avaient pu être mis en
place à la faveur de l'envol de l'activité cotonnière. La
tendance constatée vers le retour à la
plurispécificité chez C1 pourrait signifier que plus le troupeau
perd en taille, moins l'éleveur est enclin à spécialiser
son troupeau vers une ou quelques espèces et inversement. Cette
même raison expliquerait donc les constats faits dans les troupeaux des
Peuls résidents ou non chez lesquels le cheptel est en constante
augmentation et où le nombre d'espèces animales par troupeau tend
à baisser.
On note par ailleurs, que dans les élevages de type C1
et (éleveurs résidents), il y a une tendance à la
diversification, notamment au doublement, des races bovines dans les troupeaux
(Barbaji + Gurmaji au lieu de Barbaji ou
Gurmaji à l'origine pour C1 et respectivement). Boutrais
(2002), étudiant le rapport des populations pastorales à leurs
races bovines, avait fait les mêmes observations qui semblaient
répondre à une stratégie de reconstruction des troupeaux
pour les éleveurs ayant connu une crise pastorale. Il a cependant aussi
observé une tendance, dans certains groupes pastoraux, à
l'uniformisation de la race bovine vers les types les plus adaptés
à l'écologie des aires d'élevage.
De manière générale, il y a un recul de
la race Jaliji en faveur des races Gurmaji et Barbaji,
ce qui traduit un choix stratégique. En effet, alors que la
Jaliji, bien que rustique, est peu trypanotolérante, la
Gurmaji qui semble être son adaptation locale de très
longue date (Santoir, 1999), tolère le climat local (elle est
trypanotolérante) tout en exprimant des propriétés
zootechniques (âge au premier vêlage, intervalle de mise-bas,
lactation, etc.) peu différentes de celle-ci. Elle est, en outre,
adaptée à la longue marche et serait disciplinée rendant
son gardiennage aisé. Les mêmes raisons d'adaptation aux
conditions locales (trypanotolérance et rusticité alimentaire)
expliqueraient le maintien et le renforcement de la présence de la race
Barbaji. Cette dernière, mauvaise marcheuse cependant, est
indisciplinée (troupeau généralement dispersé sur
parcours) et sa garde commande beaucoup plus d'attention de la part du
berger.
Chez les non résidents (C3) la tendance à la
diversification des races, quoique moins rapide, est également
observée. Même si les troupeaux à Gurmaji + Jaliji
gagnent en importance, il subsiste majoritairement des troupeaux à une
seule race bovine dans leur cheptel ; cependant, la race Gurmaji y
supplante la race Jaliji originelle. Ces éleveurs, sans doute
plus exposés aux contraintes du milieu, du fait des distances
parcourues, sont en fait en train de délaisser, comme c'est le cas chez
les Peuls résidents transhumants, la race Jaliji au profit de
la race Gurmaji. Si les motifs ci-dessus évoqués restent
valables ici, il faut ajouter en plus l'incapacité de la Jaliji
à supporter les longs déplacements (Amadou, 1999) alors que,
selon les éleveurs, la Gurmaji s'en adapte mieux.
De manière générale, on peut relever avec
grand intérêt le fait que les configurations raciales dans les
espèces bovines des troupeaux s'opèrent avec pour
préoccupation sous-
jacente de les adapter aux exigences du moment faites de longs
et pénibles déplacements sur des parcours
généralement très appauvris. Ceci exige des
éleveurs de choisir non pas toujours les races les plus productives
et/ou les plus esthétiques (Boboroji par exemple) mais surtout
celles qui s'adaptent le mieux notamment au climat ou qui sont peu exigeantes
au plan alimentaire (rusticité) face à la rareté de la
ressource. Les races Barbaji et Gurmaji semblent
réunir toutes ces exigences. Cette tendance est confirmée par
Amadou (1999) à partir d'observations enregistrées dans le Boboye
au Niger. L'auteur rend compte du fait que « le choix des
espèces chez les peuls du Boboye n'est plus uniquement guidé par
les impératifs de production (...) ou d'affection (...) mais aussi par
leur capacité d'adaptation. En effet, l'aptitude à supporter
certaines situations difficiles (pâturages médiocres,
sécheresse, maladies) compte de plus en plus dans la sélection du
troupeau ». Pour les mêmes raisons, les éleveurs
expliquent l'abandon ou la faible présence de certaines races par leur
grande conformation (Boboroji et Kiwali notamment) qui
implique de grands besoins alimentaires (Boutrais, 1994)70 pas
toujours aisés à satisfaire. Notons cependant que, comme les
éleveurs transhumants qui continuent d'entretenir des troupeaux bovins
à Jaliji, il n'est pas toujours aisé pour
l'éleveur de se départir de sa race initiale à laquelle il
reste lié et qui constitue bien souvent, comme l'a signalé
Boutrais (2002), un patrimoine intergénérationnel.
Le rapport du nombre mâles/femelles (sex-ratio) dans la
composante bovine des troupeaux est relativement (C3) ou statistiquement ()
plus faible dans les élevages purement peuls (tableau V-9, paragraphe
5.3.3.2.4 plus haut). Des différences plus nettes que celles que nous
observons ont été notées par Tamou (2002) et
Sounkéré (2003) au nord-Bénin et Kièma S. (2007)
dans l'ouest burkinabè. Le premier auteur a observé que, alors
que le sex-ratio des groupes résidents (Gourmantché, Dendi,
Haoussa) oscillait entre 0,55 et 0,84, celui du groupe Peul était
seulement de 0,27. Kièma S., quant à lui, a constaté que
les troupeaux d'éleveurs résidents qu'il a enquêtés
se composaient d'environ 1 mâle pour 10 femelles (soit un sex-ratio de
0,1). Ceci est révélateur des objectifs des élevages peuls
(ou mobiles en général) qui sont tournés beaucoup plus
vers le type « naisseur ». Rappelons que les éleveurs de type
« naisseur » garantissent des grands effectifs capables de subsister
aux catastrophes naturelles comme les sécheresses et les
épizooties (Bernus, 1981 ; Boutrais, 1996). Une autre explication est
que les peuples pasteurs, qui dépendent beaucoup du lait pour leur
alimentation ou comme produit d'échanges, sont amenés à
favoriser les femelles, en particulier les vaches reproductrices, dans leurs
troupeaux (Boutrais, 1996).
Le groupe d'éleveurs peuls transhumants ou non mettrait
donc l'accent sur l'exploitation des mâles de leurs troupeaux, ce qui
d'après Tamou (2002), permettrait en même temps de gérer
les risques de combats mortels en leur sein. Au contraire, dans bien des
élevages résidents surtout chez les Gourmantchés, le
réélevage71 est développé et explique la
plus forte proportion de taureaux en leur sein. Si nos observations corroborent
bien ce qui se constate en zone sahélienne, elles contredisent la
tendance notée par Boutrais (1996) en contexte savanien
70 L'auteur distingue les pseudo-zébus
(Mbororroji et Akuuji ou White Fulani) à
longues cornes et silhouette élancée qui ont des grandes
exigences fourragères des vrais zébus (Bos indicus :
Gudali, Azawak, etc.) à courtes cornes, stature ramassée
et grosse bosse. Ces derniers et les taurins, qui ont moins d'exigences
fourragères et qui ont de fortes capacités d'adaptation, sont
moins redoutables pour les parcours par rapport aux premiers.
71 Le réélevage est une pratique qui
consiste à importer dans le troupeau des jeunes veaux achetés
pour leur finition (alimentation généralement plus intensive)
(Touré, 2010)
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d'Afrique subsaharienne. Cet auteur rapporte qu'en zone de
savane, l'économie des pasteurs ne reposerait plus essentiellement sur
le lait, ce qui ne les oblige pas à entretenir un grand effectif de
femelles au sein de leurs troupeaux. Par ailleurs, les troupeaux des
agriculteurs résidents y seraient généralement en phase
d'accumulation, avec des effectifs importants de femelles.
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