5.3.4.4. Complémentation des anim aux
La forte pression animale sur les ressources pastorales, qui
découle de l'accroissement permanent des effectifs animaux dans le
terroir et de l'allongement de la saison sèche, a conduit à
l'émergence de nouvelles pratiques d'alimentation. Celles-ci viennent en
appoint à l'exploitation directe du fourrage naturel des parcours qui,
à elle seule, ne suffit plus à satisfaire aux besoins d'entretien
et de production des animaux en saison sèche.
De nos jours chez les éleveurs non transhumants (C1),
de grands agriculteurs aux petits effectifs, la complémentation est
courante ; les pratiques de complémentation dominantes consistent
à la valorisation des résidus de cultures (tiges de
céréales, fanes d'arachide et de niébé), cependant
un bon nombre d'entre eux (ceux qui ont de grands effectifs) collectent en plus
du fourrage naturel et même en achètent. Par le passé,
surtout il ya une vingtaine d'années, les éleveurs se
contentaient majoritairement, du fourrage directement prélevé par
les animaux au parcours, mais ils pouvaient également en faire un stock
pour une distribution ultérieure (figure V-17a). Notons que ces
agroéleveurs ont expérimenté dans un
66 Courant 2007, une vaste escroquerie a
été dénoncée à l'autorité par les
éleveurs qui, une fois n'est pas coutume, ont pris leur courage à
deux mains encouragés en cela par les Garso locaux. Il semble
que cette dénonciation suivie d'une marche de protestation dans la ville
de Diapaga, ait été pour quelque chose dans l'affectation de
nombreux agents forestiers soupçonnés d'indélicatesse.
67 Ce terme serait un qualificatif que les
forestiers béninois donnent à leur campagne de ratissage du parc
W béninois et qui conduit le plus souvent à des abattages parfois
d'effectifs importants de bétail rencontrés en son sein (Convers,
2002 ; Binot et al. 2006).
passé récent la culture de diverses
espèces de légumineuses fourragères telles que le pois
d'angole (Cajanus cajan), le mucuna (Mucuna rajada
et Mucuna deeringiana), la dolique (Dolichos lablab) et
certaines plantes à double usage (sorgho, niébé et
arachide fourragers) avec l'appui technique de la station de recherche agricole
de l'INERA de Fada N'Gourma et des projets de développement, mais
l'engouement n'a duré que le temps de vie de ces projets. Les aliments
achetés sont généralement des concentrés
alimentaires (divers sons, graines et tourteaux de coton, sel).
Les transhumants résidents () quant à eux, plus
impliqués dans la complémentation que le groupe
précédent (depuis une dizaine d'années, on ne trouve
d'ailleurs pas dans ce groupe d'éleveurs des personnes qui ne soient
concernées), l'usage seulement de concentrés achetés ou
accompagnés de fourrage divers mis en stock, sont les pratiques
dominantes de nos jours. Par le passé ces éleveurs utilisaient
surtout des compléments fourragers naturels (pratique dominante il y a
une vingtaine d'années) ou cultivés (pratique dominante il y a
une dizaine d'années). L'achat d'aliments concentrés est une
habitude qui s'installe depuis une dizaine d'années (figure V-17b).
Les transhumants allochtones (éleveurs de la
catégorie C3) se sont toujours contentés des ressources
fourragères prélevées directement sur parcours dans le
terroir de Kotchari (figure V17c). Depuis un moment cependant, ils commencent
à acheter des concentrés dans les marchés locaux ou
directement dans les concessions chez les résidents.
a. Groupe C1 b. Groupe
c.Groupe C3
Figure V-17. Pratiques de complémentation
155
Légende:
PAlt-1 : pâturage naturel (pas de
complémentation)
PAlt-2 : collecte fourrage naturel PAlt-3 : collecte fourrage
cultivé PAlt-4 : achat de concentré (sons et tourteaux)
PAlt-5 : achat d'aliments (fourrage et concentré) et
collecte (fourrage naturel et cultivé)
Chez les éleveurs résidents (C1 & ), il y a
un début d'intégration de l'agriculture à
l'élevage, qui est favorisée par la culture du coton (utilisation
des charrues asines et bovines, enrichissement des champs par la fumure
organique produite à partir de fèces animaux, etc.).
Révélatrice de la tendance à la diversification des
activités agricoles (Broussard, 2001) au sein des exploitations, cette
nouvelle organisation permet aux éleveurs d'accroître la
production de fourrage d'appoint au sein de leurs unités de production.
Certains Gourmantchés parviennent même à constituer des
stocks de résidus agricoles plus importants que leurs besoins dans le
but de les revendre.
Un point important est que la complémentation
bénéficie prioritairement aux animaux mal en point ou allaitant.
On comprend dès lors pourquoi les éleveurs transhumants sont
longtemps restés peu concernés par la pratique localement, ce
type d'animaux étant resté dans les terroirs d'attache. Il est
vrai que lorsque les grands transhumants arrivent dans le terroir, il est trop
tard pour collecter le fourrage naturel local tandis que le fourrage
cultivé a déjà été collecté ou est
exploité en vaine pâture par les propriétaires des champs.
En outre, il peut être financièrement difficile de
complémenter de grands effectifs avec des produits achetés. A ce
propos, Sadio raconte, avec un ton amer, les contraintes qu'il rencontre dans
ce terroir auparavant si attractif « avant, quand on venait les champs
étaient récoltés et le Gnagnical (résidus de
culture) laissé en place. Chacun avait un ou des tuteurs et pouvait
librement faire paître ses animaux sur leurs parcelles. Maintenant,
à notre arrivée, tout est déjà fini et en plus
l'accès aux parcelles vides est souvent refusé, les
propriétaires y ayant déjà leurs propres animaux. Par
moments nous sommes contraints de supplémenter nos animaux, mais on n'y
arrive pas toujours car cela nous revient cher ». Toutes ces raisons
expliquent que la complémentation, surtout par les résidus de
récolte, pratique très répandue chez les agropasteurs
locaux (Gourmantchés comme Peuls), soit restée très
marginale chez les transhumants qui se contentent jusqu'à présent
de la paille naturelle et de concentrés (son et tourteau).
Toutes ces catégories d'éleveurs, en particulier
ceux des groupes et C3, ont recours aux ligneux68 disponibles sur
les pâturages du terroir en saison sèche notamment chaude.
68 Les bergers émondent les ligneux à
la machette, mais c'est illégal sans autorisation préalable (cf.
l'article 118 alinéa 4 de la loi portant Réforme Agraire et
Foncière). Les éleveurs, s'ils ne sont pas pris sur le champ, ne
reconnaissent donc pas toujours se livrer à cette pratique. Pourtant,
beaucoup d'auteurs (Zouri, 2003 ; Ouédraogo, 2008) et nos propres
observations sur le terroir de Kotchari montrent que de nombreux arbres sont
mutilés, en tout premier lieu les espèces Ptereocarpus
erinaceus et Afzelia africana.
Notons que la distribution de ces compléments
alimentaires aux animaux se fait à l'auge et surtout dans la
deuxième moitié de la saison sèche (mars à juin)
période de pointe de la transhumance et de disette pour l'ensemble des
animaux.
Le recours de plus en plus fréquent de tous les
éleveurs à la complémentation animale avec achat de
fourrage cultivé et/ou de concentré alimentaire montre que les
pâturages naturels n'arrivent plus à satisfaire les besoins des
animaux dont les effectifs sont sans cesse croissants.
De plus on observe que le fourrage ligneux est aussi mis
à contribution toute l'année, mais surtout en saison
sèche. Ce type de fourrage, meilleur que la paille en saison
sèche (biomasse verte et plus grande teneur en azote) (Breman & De
Ridder, 1991 ; KaboréZoungrana, 1995 ; Baumer, 1997), est fourni
localement par des espèces comme Afzelia africana, Pterocarpus
erinaceus, Khaya senegalensis, Lonchocarpus laxiflorus, Acacia seyal,
Balanites aegyptiaca, Combretum aculeatum, etc. qui, du fait de la
pression d'utilisation, se raréfient en dehors des réserves. Il
est exploité directement par les animaux (arbustes de moins de 2 m de
hauteur)69, ou grâce à l'intervention des bergers qui
émondent les grands arbres pour le troupeau (photos V7).
Cliché Sawadogo Cliché Sawadogo
a. Ptereocarpus erinaceus b. Afzelia africana
Photos V-7. Deux espèces de ligneux fortement
émondés par les bergers
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