5.3.4.3. M obilité des éleveurs
Dans le contexte actuel de raréfaction de l'espace et
des ressources, la mobilité peut être révélatrice
des conditions et contraintes que vit l'éleveur ainsi que de ses
objectifs de production. Elle peut être considérée comme
l'expression de sa manière d'utiliser l'espace pour exploiter des sites
potentiellement différents. Il s'agit donc d'un paramètre
très important. La mobilité est décrite à travers
l'ampleur des déplacements des troupeaux, leur fréquence et leur
éventuel caractère cyclique, éléments qui
caractérisent le degré de dépendance de ses animaux
vis-à-vis des pâturages naturels. Dans la présente
étude nous aborderons ces points, mais aussi la nature des lieux
fréquentés et les motivations des choix opérés par
les éleveurs.
Pendant la période de référence, les non
transhumants (C1) ont, dans un passé récent, eu à
transhumer à la recherche surtout de fourrage et accessoirement d'eau.
Dans un passé plus lointain, cette pratique était
également connue mais elle impliquait peu d'éleveurs et elle
l'était seulement pour des besoins de recherche d'eau (figure V-15a). Il
faut dire que, d'après ces éleveurs, il ya une dizaine
d'années le terroir a connu une crise fourragère alors que la
saison pluvieuse n'a pas été particulièrement mauvaise. Il
y a qu'en cette saison la pression agricole sur les terres avait atteint son
maximum, ce qui avait entamé la production fourragère naturelle
causant un déficit en la matière. Quand on regarde les zones
pâturées, en saison sèche, par les troupeaux de ces
éleveurs (figure V-16a), on se rend compte qu'en réalité
il s'agit de petite transhumance, ces troupeaux ne pâturant pas
au-delà des terroirs voisins. A ce sujet, on notera qu'avec le temps,
ces troupeaux qui ne fréquentaient que les pâturages du terroir,
mettent de plus en plus à contribution les pâturages des terroirs
proches.
Les transhumants résidents dans le terroir de Kotchari
(), avec le temps, fréquentent des territoires de plus en plus
lointains. De nos jours ils vont majoritairement dans les pays voisins mais se
rencontrent aussi dans les terroirs voisins tout comme dans les aires
protégées voisines, en l'occurrence le parc W et la concession de
chasse de la Kourtiagou (figure V-16b). Leur départ en transhumance est
motivé surtout par la recherche combinée de l'eau et du fourrage
alors que par le passé, l'argument de l'eau prévalait (figure
V-15b).
La plupart des transhumants venant du Nord du terroir (C3),
comme les éleveurs de la catégorie précédente, se
destinent majoritairement vers les pays voisins, un grand nombre cependant
demeure sur place ou dans les terroirs riverains de Kotchari (figure V-16c). Un
fait notable à signaler est que bon nombre de ces éleveurs,
reconnaissent avoir par le passé régulièrement
fréquenté les aires protégées. Les mêmes
motivations que celles des éleveurs de type , justifient les
départ en transhumance de ces éleveurs (figure V-15c) : la
recherche à la fois de l'eau et du fourrage de nos jours ou seulement de
l'eau par le passé.
a. Groupe C1 b. Groupe
c. Groupe C3
Figure V-15. Pratique de la transhumance : raisons principales
évoquées
Légende:
RTra-1 : recherche de l'eau d'abreuvement RTra-4 : par simple
habitude
RTra-2 : recherche de fourrage RTra-5 : n'est pas concerné
par la pratique
RTra-3 : recherche d'eau et de fourrage
151
a. Groupe C1 b. Groupe
c.Groupe C3
Figure V-16. Milieux de pâture habituelle en saison
sèche
Légende:
LPat-1 : dans le terroir de Kotchari LPat-2 : Kotchari et
terroirs voisins LPat-3 : pays voisins (Bénin/Togo) LPat-4 :
réserves voisines (Parc W et CC Kourtiagou)
Dans la région où se situe notre terrain, la
question de la mobilité, en particulier de la transhumance a fait
l'objet de nombreuses études. Dans le programme régional ECOPAS
coordonné par une équipe du CIRAD tout un volet de la composante
« recherche scientifique » lui était consacré. Ce
programme qui a porté sur les 3 pays qui accueillent le parc W
(Bénin, Burkina Faso et Niger) a produit une impressionnante masse
d'informations. Ainsi, sans que cela ne soit exhaustif, nous citerons les
travaux de Convers (2002), Paris (2002), Tamou (2002), Kabirou (2003) et
Kagoné (2004) qui ont permis de spatialiser la mobilité des
éleveurs autour du Parc.
Nos résultats confirment le statut de terroir d'accueil
et de transit attribué au terroir de Kotchari (Paris, 2002 ; Kpoda,
2010). La tendance actuelle est à davantage d'accueil, les
Gourmantchés et les Peuls résidents (catégories C1 & )
partageant désormais de plus en plus l'espace de leur terroir avec des
transhumants allochtones (C3) qui, cependant, continuent d'aller plus au sud,
notamment au Bénin. Si les Gourmantchés qui relèvent du
groupe d'éleveurs C1 affirment ne jamais fréquenter les
réserves, (affirmation confirmée par notre guide Y. Diallo), les
autres groupes reconnaissent les avoir utilisées surtout dans le
passé (C3 par le passé et par le passé et de nos jours).
On peut être étonné que si quelques éleveurs
résidents reconnaissent fréquenter encore les réserves,
aucun transhumant non résident ne l'avoue alors que dans un passé
récent, la plupart d'entre eux y allaient. La réponse à
nos questions insistantes sur la cause de cette différence est que le
parc est devenu plus dangereux que par le passé. Par « dangereux
» les riverains entendent que le parc W comme la réserve de la
Kourtiagou sont, depuis 2001, soumis à une surveillance accrue. Dans la
pratique, cette surveillance se traduit par la présence dans les
terroirs riverains de pisteurs, personnes du crû qui connaissent bien les
réserves. Ils évoquent largement des campagnes rapprochées
de « ratissage » par les forestiers parfois organisées
conjointement par les 3 pays,
153
des fortes amendes et des abus divers (racket66,
abattage ou « vaccination67 » d'animaux, etc.). Si de tels
faits sont bien réels, ils ne suffisent pourtant pas à expliquer
entièrement la situation. En effet Bary (1998), Toutain et al.
(2001) Tamou (2002) et Kagoné (2000 & 2004) indiquent que ces
contraintes sont connues et acceptées par les éleveurs en
échange du bien être de leurs animaux. En vérité, la
question reste taboue et une longue préparation de mise en confiance a
été nécessaire pour qu'elle soit évoquée de
manière franche par le berger transhumant ou même résident.
Il n'est pas toujours possible de parvenir à une telle confiance,
surtout avec des éleveurs très mobiles même dans l'espace
villageois. Ils restent d'ailleurs assez méfiants à
l'égard de l'impertinent inconnu (c'est ainsi que nous étions
perçu) qui se comporte comme le "Toubaku" (terme peul
désignant une personne de race blanche) et qui, en plus, est familier
des forestiers, leurs ennemis jurés. Nous n'avons réussi à
lever cette barrière qu'avec certains éleveurs résidents
dont certains étaient nos interlocuteurs au sein de leur
communauté. Ils ont alors pu avouer. Bien que nous n'ayons jamais
été témoin de ces infractions, elles permettent
d'expliquer pourquoi, comme nous l'avions déjà dit (Sawadogo,
2004) les éleveurs peuls placent leur campements de nuit mobiles
à proximité des réserves. Par cette mobilité ils
évitent d'être repérés par les forestiers et
pisteurs ou d'éventuels indicateurs villageois. Il est fort probable que
parmi les éleveurs qui affirment continuer leur transhumance au
Bénin, certains aboutissent finalement dans l'une ou l'autre des deux
réserves (parc W et Concession de chasse de la Kourtiagou). Pour
vérifier cette hypothèse, assez logique, il aurait fallu pouvoir
vérifier les flux réels et les identités des
éleveurs réellement accueillis de l'autre côté de la
frontière.
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