5.3.4.2. Garde des troupeaux
Dans des travaux antérieurs (Sawadogo, 2004), nous
avons montré que les animaux étaient conduits différemment
selon que l'on était en saison sèche où l'espace
était ouvert et de libre accès ou en saison humide, saison
agricole par excellence, où les parcours étaient
fragmentés et les risques de conflits accrus. En saison sèche, si
les bovins sont surveillés, les petits ruminants sont laissés en
libre pâture. En saison pluvieuse en revanche, tous les animaux sont sous
la surveillance de bergers. Ceci mérite cependant d'être
nuancé car Ouédraogo (2008) a observé que, de nos jours
à Kotchari, certains éleveurs faisaient surveiller leurs moutons
et leurs caprins même en saison sèche surtout lorsqu'ils
étaient proches des réserves, en effet, ils risquent à
tout moment d'y pénétrer. Des différences sensibles dans
la garde des animaux sont observées selon le groupe ethnique. Ainsi les
animaux sont abreuvés une seule fois par jour vers midi chez les
Gourmantchés, tandis que les Peuls les abreuvent dès les
premières heures de la matinée au sortir du parc ou campement de
nuit puis à nouveau vers 13 ou 14 heures. La pâture de nuit,
reconnue comme très bénéfique car moins épuisante
pour le bétail, est propre aux éleveurs peuls, ce sont en
général les bouviers les plus âgés et les plus
expérimentés qui s'en chargent.
Chez les éleveurs non transhumants (C1), lorsque le
troupeau ne comporte pas de bovins, le gardiennage est assuré par des
mineurs (garçons et filles) de huit à dix ans. Par
64 Parmi ces éleveurs, certains
délocalisent leurs troupeaux dans la partie sud plus humide du terroir.
Ceci s'apparente à de la petite transhumance (Yawtooru en
langue peule), nous avons cependant confondu ces éleveurs aux non
transhumants car cela se passe dans l'espace du terroir.
contre, dès que des bovins sont présents dans le
troupeau, sa garde relève de la responsabilité de jeunes
adolescents d'un âge dépassant généralement douze
ans (Sawadogo, 2004). Aujourd'hui, on dénombre un berger par troupeau
(NBe-1), alors qu'il y a une dizaine d'années, correspondant alors au du
boom cotonnier, ce nombre était passé à deux (NBe-2) pour
les troupeaux de quelques uns de ces éleveurs (figure V-12a). Depuis
lors, on observe une tendance au retour à 1 seul berger pour ces
troupeaux. Parallèlement, quelques élevages ont, de plus en plus,
depuis un certain temps, recours à des bergers salariés seuls
(confiage ou employé) à qui on associe désormais des
bergers internes aux exploitations (figure V-12b). On peut faire
l'hypothèse que si l'expérience qui consiste à utiliser
plusieurs bergers ou des salariés exclusivement est en train de tourner
court, c'est que quelques troupeaux locaux (troupeaux gourmantchés
notamment), qui avaient gagné en taille du fait de l'explosion de la
culture cotonnière, ont depuis diminué en effectif avec le recul
"momentané" de cette dernière. En effet, comme signalé
plus haut (voir paragraphe 5.3.3.2.1) ou comme nous le détaillons dans
les parties qui suivent, le nombre de bergers est fortement dépendant de
la taille du troupeau.
147
a. Nombre de bergers b. Types de bergers
Figure V-12. La garde des animaux et son évolution dans le
groupe C1
Légende:
NBe-1 : un seul berger NatBe-1 : propriétaire ou proche
parent (fils, neveu, etc.)
NBe-2 : deux bergers NatBe-2 : berger salarié (berger
employé ou animaux confiés)
NBe-3 : plus de deux bergers NatBe-3 : les deux à la fois
(parent et salarié)
Chez les transhumants résidents (), la garde des
animaux est réservée le plus souvent à des adolescents et
jeunes adultes (12 à 20 ans) et même à des adultes pouvant
être le propriétaire lui-même (20 à 40 ans). On voit
ici que, du fait de l'accroissement en taille du cheptel, le recours à
des bergers supplémentaires (d'abord un puis deux) est constant au cours
de la période de référence (figure V-13a) mais ces
bergers, dans les cas où ils sont des salariés de l'exploitation,
viennent toujours en appui à un membre de la famille du
propriétaire (figure V-13b).
a. Nombre de bergers b. Types de bergers
Figure V-13. La garde des animaux et son évolution dans le
groupe
Chez les transhumants étrangers au terroir de Kotchari
(C3), les troupeaux sont depuis bien longtemps conduits par au moins deux
bergers avec une tendance à l'augmentation du nombre de ceux-ci (figure
V-14a). Ces bergers qui sont généralement les
propriétaires des troupeaux, se voient cependant associer des
salariés ces dernières années. Certains éleveurs du
groupe, la plupart de ceux qui utilisent la main d'oeuvre extérieure de
nos jours, ont dans un passé lointain eu recours exclusivement à
des bergers salariés mais ont dû mettre fin à cette
expérience suite, selon leur dire, à diverses insatisfactions
(vols, dépenses excessives) (figure V-14b).
a. Nombre de bergers b. Types de bergers
Figure V-14. La garde des animaux et son évolution dans le
groupe C3
On peut remarquer le recul du confiage et du salariat dans les
élevages de ce terroir là où Botoni (2003), dans ses
travaux à l'Ouest (Ouara, Torokoro) a noté plutôt un
engouement vers ces pratiques de gardiennage, en particulier le confiage.
Diverses explications sont données par les éleveurs pour
expliquer ce recul, surtout la garde des troupeaux exclusivement par des
personnes étrangères à leurs exploitations. Deux arguments
majeurs reviennent : (i) l'insatisfaction dans la prestation du berger
salarié au regard des coûts de plus en plus insupportables que
cela nécessite ; (ii) la perte de confiance entre les parties
contractantes.
149
Les insatisfactions résultent, selon les
éleveurs, des faibles performances de gardiennage des bergers, elles
seraient liées à une négligence sélective envers
les animaux confiés. Ainsi, d'après Combary Tadjoa
(éleveur résident gourmantché du quartier Tambouli) «
depuis maintenant quelques années, les bergers que nous sollicitons
ne nous donnent plus satisfaction. Il est facile de reconnaître dans un
troupeau mixte, nos animaux des leurs ; leurs animaux sont mieux
conformés. Pourtant, nous avons recours à eux pour leurs
qualités de bons bergers mais visiblement les bonnes manières de
faire (sic) ils les réservent à leurs propres animaux. En outre,
dès qu'un berger obtient la garde de tes animaux, non seulement il te
fait dépenser régulièrement, mais en plus tu es
obligé de contribuer à l'alimentation de sa famille. Mais le plus
écoeurant dans tout ça ce sont les pertes (animaux morts et
égarés) que nous enregistrons de plus en plus ». Cet
argumentaire est surtout valable dans les cas de confiage où le troupeau
de l'éleveur se trouve fusionné avec celui du berger. Dans ce cas
de figure en effet, les compléments alimentaires fournis par le
propriétaire seraient distribués à l'ensemble du troupeau
alors que les apports du berger sont prioritairement distribués à
ses propres animaux. En ce qui concerne les bergers salariés, les
reproches se situent dans ce qui est qualifié de manque d'engagement et
de lisibilité dans la gestion des troupeaux (nombreuses pertes et morts
d'animaux) alors que le service est fortement rémunéré
parfois à la limite du supportable pour les ressources du
propriétaire. Ces récriminations, si elles étaient
avérées, justifient pourquoi certains propriétaires de
troupeaux, s'ils continuent à vouloir de ce type de bergers dont
l'expérience et le savoir-faire sont reconnus et recherchés, leur
adjoignent de proches parents (fils ou autres personnes de confiance). Par
ailleurs, au sein des élevages des transhumants ( et C3), les
conversations ont montré qu'il n'est pas courant pour un éleveur
peul de confier ses animaux à la garde d'un autre ; les rares cas de
confiage sont liées à des contraintes familiales notamment
lorsque dans la famille il manque un garçon d'un âge
adéquat et que le propriétaire lui-même est d'un âge
avancé65.
Les grands éleveurs sont ceux qui ont le plus souvent
recours à 2 ou 3 bergers. Ceci a été aussi observé
par Thébaud (2002) chez les Peuls et Riimaaybe du Yagha (Burkina Faso)
et chez les Wodaabe de Diffa (Niger). Par ailleurs, un nombre plus
élevé de bergers est observé dans les troupeaux
transhumants qui sont souvent regroupés (un troupeau est très
souvent une agrégation de plusieurs troupeaux de petite taille) (Riegel,
2002). Cette pratique qui consiste à rassembler le troupeau au
départ de la campagne de transhumance, contribue à alléger
la tâche du Garso et à renforcer la
sécurité au cours de la campagne de transhumance. Elle permet de
plus un partage de savoir-faire technique ainsi que la formation des plus
jeunes qui s'entraînent ainsi à la vie de privation et à
l'endurance. D'après Baadjo Idrissa (transhumant nigérien de
Makalondi), en effet « sur le terrain, les épreuves sont
nombreuses et en nous regroupant, nous arrivons à les juguler en nous
répartissant les tâches. Par ailleurs, beaucoup de jeunes
subissent leur examen de passage de bons bergers en participant à une
campagne de transhumance, mais il est trop risqué pour eux d'y aller
seuls. Enfin, de cette façon nous sommes moins dispersés et notre
chef (le garso) peut facilement intervenir car, il a alors moins de troupeaux
sous sa coupe». Ce récit rejoint parfaitement celui des
éleveurs de la région de Tamou (Niger) rapporté par Riegel
(2002) et confirme le fait que la transhumance
65 Boutrais (1996) évoque d'ailleurs
l'âge comme pouvant être une cause de baisse des effectifs animaux
au sein des familles pastorales.
est une occasion de rencontre, de partage et de renforcement de
liens sociaux qui permettent l'intégration des communautés
pastorales (Bary, 1998).
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