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Ressources fourragères et représentations des éleveurs, évolution des pratiques pastorales en contexte d'aire protégée. Cas du terroir de Kotchari à  la périphérie de la Réserve de biosphère du W au Burkina Faso

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par Issa Sawadogo
Museum national d'histoire naturelle de Paris (ED 227) - Docteur du museum national d'histoire naturelle spécialité physiologie et biologie des organismes  2011
  

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5.3.1.2. La pression animale : le bilan fourrager saisonnier

En ce qui concerne le niveau de charge animale dans le terroir et sa variation au cours de l'année, les enquêtes ont permis de dénombrer les effectifs du cheptel (tableau V-4), toutes catégories de cheptel prises en compte, ce qui a permis ensuite d'en déduire le nombre d'UBT.

On observe que le cheptel local, sédentaire, dominé par les caprins et les ovins en second lieu, est plus important que celui qui transhume, même pendant le pic de transhumance. Si l'on s'en tient uniquement à la race bovine, ce cheptel est constitué de troupeaux aux tailles très variables dont les effectifs vont de seulement quelques têtes (trois à cinq) à plus de 50 têtes dans quelques ménages considérés comme nantis, généralement d'ethnie peule. Quant au bétail transhumant, qui a été très important en 2008 et approchait même par ses effectifs le cheptel local (l'effectif en bovins est même supérieur à l'effectif local de la même espèce), il a connu un recul assez notable en 2009.

Signalons que le nombre de troupeaux transhumants est, par rapport à celui des troupeaux sédentaires, très faible mais ce sont des troupeaux aux grands effectifs qui dépassent parfois 200 têtes.

Tableau V-4. Effectifs animaux en 2008 et 2009 (source : données de recensement)

Types de troupeau

 
 

Année 2008

 
 

Année 2009

 

Effectifs sédentaires

Bovins

Ovins Caprins Asins Équins

 

6807

8016 9908 276 13

 
 
 
 

6957

8248
10235
276

13

 
 

Saisons de transhumance

 

S1

S2

 

S3

S4

S1

S2

S3

S4

Effectifs animaux transhumants entrant

Bovins
Ovins

Caprins

632
64

0

7004
843

22

 

1767
26

22

0
0

0

137
13

0

3954
1053

13

1868
136

0

0
0

0

Effectifs animaux transhumants sortant

Bovins

0

0

 

608

0

0

0

513

0

Total troupeaux locaux

 
 

1198 (-

18)

 
 
 

1198 (- 16)

 
 

Total troupeaux transhumants

 
 

95

 
 
 
 

52

 
 

Légende : S1 = [Déc. - Mars]; S2 = [Avril - Mai]; S3 = [Juin - Juil.]; S4 = [Août - Nov.] ; les chiffres entre parenthèse représentent les départs en transhumance à partir du terroir.

De manière globale, le nombre d'UBT dans le terroir a oscillé entre 10 515 et 17 692 en 2008 et entre 10 777 et 14 944 en 2009 (figure V-1). Les densités animales (ou charges instantanées), calculées sur la base des espaces effectivement accessibles, ont varié dans le même sens, allant de 0,32 UBT.ha-1 à 0,68 UBT.ha-1 en 2008 contre 0,31 UBT.ha-1 à 0,70 UBT.ha-1 en 2009 (tableau V-5). La période où les effectifs animaux sont les plus élevés se situe entre avril et mai, période de pointe de la transhumance, alors qu'ils sont les plus bas en saison des pluies, notamment entre août et novembre. C'est pourtant en cette période

pluvieuse où les transhumants allochtones sont tous ou presque repartis vers leurs terroirs d'attache que les pâturages sont les plus chargés par unité de surface. En cette saison une grande partie du terroir est inaccessible du fait des activités agricoles (UPP5) ou des risques d'embourbement (UPP2) ou des deux à la fois (UPP1).

Les charges en bétail les plus faibles sont enregistrées de décembre à mars au moment où tous les espaces commencent à être accessibles mais où la transhumance commence timidement.

Figure V-1. Variation des effectifs animaux (en UBT) dans le terroir en 2008 et 2009

Tableau V-5. Variation des charges de bétail (en UBT) dans le terroir en 2008 et 2009 (Sources : Enquêtes terrain)

Périodes Densités (UBT.ha-1)

Année 2008 Année 2009

[Déc. - Mars] 0,32 0,31

[Av - Mai] 0,50 0,43

[Juin - Juil.] 0,33 0,35

[Août - Nov.] 0,68 0,70

La recherche des capacités de charge théoriques permet, par comparaison avec les charges réelles enregistrées, de suivre au fil des saisons la situation réelle et de déceler les saisons de grand risque pour les unités pastorales (surpâturage) ou pour le cheptel (baisse des productions ou même perte de poids). Rappelons que certaines unités, sont peu (UPP5 : zones les plus cultivées) ou pas (UPP1 : bas-fonds et UPP2 : plaines inondables) pâturables en saison des pluies. Nous les avons considérées comme non exploitées en cette saison. Les autres unités (UPP3 : bas-glacis et plaines argileuses; UPP4 : plateaux, hauts glacis et plaines sableux à sablo-limoneux ; UPP6 : buttes rocheuses et cuirassées) sont exploitées en toute saison. Ainsi, pour l'ensemble des unités (tableau V-6), les capacités de charges théoriques moyennes journalières ont été de 8 622 UBT.jour-1 (soit de 0,28 à 0,52 UBT.ha-1) et de 20 986 UBT.jour-1 (soit de 0,28 à 1,03 UBT.ha-1) respectivement en saison pluvieuse et en saison sèche.

120

Tableau V-6. Capacité de charge théorique globale du terroir de Kotchari

Unités
paysagères
pastorales

BM (kgMS.ha-1)

DF (kgMS.ha-1)

Sup (ha)

Capacité de charge
théorique (UBT. j-1)

 

à l'hectare

sur l'unité

UPP1

4780

1673

8010

1,03

8246,60

UPP2

4590

1606,5

2853

0,99

2820,52

UPP3

3420

1197

3995

0,52

2096,23

UPP4

3270

1144,5

9359

0,50

4695,40

UPP5

1410

493,5

4273

0,30

1297,68

UPP6

1840

644

6482

0,28

1829,88

Total

19310

 

34972

 

20986,30

Pour les unités en gras, CC théorique moyenne journalière de saison sèche; pour le reste CC théorique moyenne journalière pendant toute l'année.

BM, biomasse ; DF, disponible fourrager ; Sup, superficie de l'unité

DF = BM*Sup*0,35

Légende

UPP1, unité de savane arborée sur sol profond hydromorphe à pseudogley de surface ;

UPP2, unité de savane boisée claire sur plaine inondable et sol hydromorphe à pseudogley de surface ;

UPP3, unité de savane arbustive de moyen et bas glacis sur sols ferrugineux tropicaux à tâches et concrétions ;

UPP4, unité de savane arbustive claire de plateaux et hauts glacis sur sols ferrugineux tropicaux lessivés indurés ;

UPP5, unité de mosaïque agroforestière sur sols ferrugineux tropicaux lessivés indurés ;

UPP6, unité de savane arbustive claire de buttes rocheuses et cuirassées.

Le bilan fourrager, qui équivaut à la différence entre la capacité de charge théorique et la charge globale réelle (figure V-2) confirme que le risque se situe bien en saison pluvieuse (juin à novembre) pour toute la période de référence (2008 & 2009). En cette saison en effet, le bilan est négatif pour les pâturages accessibles qui sont alors en surpâturage. On peut être tenté de penser que la relative bonne santé des parcours du terroir dans sa partie accessible légalement (seules quelques unités sont en dégradation légère), est imputable aux aires protégées qui résorbent cet excédent de charge. Cette hypothèse est à première vue invalide, les deux aires protégées voisines (parc W et réserve partielle de la Kourtiagou) étant en effet insalubres (il y sévit la mouche tsé-tsé) et impraticables en cette saison (leurs parties qui bordent le terroir étant vite inondées avec les premières pluies). Mais les observations faites ailleurs en contexte presque similaire par Kaboré (2010) permettent de ne pas exclure totalement cette possibilité. L'auteur a, en effet, constaté que la réserve de Pama Nord devenait pour les éleveurs peuls, un refuge pour prévenir les conflits à l'égard des agroéleveurs gourmantchés et mossi ; conflits consécutifs à la trop grande concentration d'animaux en périphérie causée par le retour des troupeaux transhumants.

En saison sèche, au contraire, et particulièrement en début de cette période (décembre à mars), les charges réelles sont nettement inférieures aux capacités théoriques et le bilan est très satisfaisant. Il le serait davantage si, en plus de l'évaluation des disponibilités fourragères naturelles, on avait pu prendre en compte les résidus culturaux qui sont exploités en vaine

pâture en cette période de même que le fourrage ligneux dont la contribution dans les rations en fin de saison sèche est très importante (Boudet, 1991 ; Lhoste et al. 1993 ; Daget & Godron, 1995 ; Kaboré-Zoungrana, 1995 ; Raimond, 1999 ; Kagoné, 2000 ; Lhoste, 2004 ; Yanra, 2004 ; Kièma S., 2007 ; Dongmo, 2009).

Figure V-2. Evolution du bilan fourrager au cours des années 2008 & 2009

Ce bilan reste indicatif, il ne s'appuie en effet que sur une évaluation ponctuelle effectuée au maximum de biomasse en septembre. Par ailleurs, malgré le risque encouru, les interstices entre les parcelles agricoles des mosaïques agroforestières (UPP5) sont pâturés, en particulier par le bétail local, notamment gourmantché. Inversement, les unités du terroir considérées comme accessibles en saison pluvieuse y compris les collines (UPP3, UPP4 et UPP6), hébergent par endroits des parcelles cultivées. Ces unités ne sont donc pas, dans leur entièreté, accessibles en cette saison. La surcharge ainsi constatée en saison pluvieuse pourrait en conséquence avoir été surestimée dans l'hypothèse où le territoire exploré dans UPP5 produisait une biomasse beaucoup plus importante que les portions non accessibles de UPP3, UPP4 et UPP6 ou sous-estimée si, au contraire, elle en produisait moins.

La très forte variation du niveau de charge animale dans le terroir au cours de l'année n'est pas seulement attribuable aux activités agricoles qui occupent plus de la moitié (55,81%) de l'espace du terroir, en effet les flux et reflux annuels de transhumants y tiennent un rôle majeur. Ceci confirme les observations faites dans la même zone par Paris (2002) qui rapporte qu'en avril-mai (période de pic de transhumance), on pouvait compter autant d'animaux transhumants que de locaux. De plus, en 2008, de décembre à mars et d'avril à mai, l'afflux de transhumants a été plus important que l'année suivante. La plupart de ces transhumants sont cependant plus vite repartis vers leurs terroirs d'attache en 2008 qu'en 2009, comme l'atteste la charge de bétail moins importante pendant la période de juin-juillet de la première année. A cette période en effet, l'effectif d'animaux transhumants a été inférieur à celui enregistré l'année d'après.

122

Si de telles charges en bétail peuvent paraître très élevées et inquiétantes, les craintes doivent se porter surtout sur une tendance confirmée à l'accroissement des effectifs car le terroir continue « paradoxalement » d'attirer de nouveaux transhumants. De tels niveaux de charge peuvent en effet induire des changements très importants dans la végétation ou même dans les sols des parcours, sans pourtant toujours affecter immédiatement le niveau de la production primaire, comme l'ont observé Kamuanga et al. (2003) dans l'extrême Nord du Cameroun. Il faut cependant rester prudent à propos de ce dernier point car, à Kotchari, le dépassement de charge a lieu au moment où la strate herbacée, principale composante du fourrage, est en pleine croissance. On imagine en effet mal comment, dans ces conditions, les capacités productives ne seraient pas affectées et comment le niveau de production nette potentielle ne serait pas influencé négativement.

Malgré le bilan fourrager positif en saison sèche, on est en droit de s'interroger sur les facteurs qui ont favorisé et continuent de favoriser la mise en place d'effectifs animaux aussi élevés dans le terroir. En effet la densité humaine y est notable, la pression sur les terres se fait importante et, par ailleurs, les valeurs des pâturages ne sont pas si exceptionnelles que cela (voir chapitre IV précédent et Sawadogo et al., sous presse). Il est possible de trouver une explication à un tel niveau de charge animale. Selon certains auteurs (Boutrais, 1983 & 1996 ; Dugué, 1998 ; Santoir, 1999 ; Dugué et al. 2004), dans une certaine fourchette de densité humaine, tant que l'espace n'est pas encore saturé, la taille du cheptel croît presque toujours avec la densité démographique. Cette fourchette se situerait entre 20 et 50 à 60 habitants/km2 de densité humaine ou entre 15% à 50% voire 60% de niveau d'occupation agricole des terres (Dugué et al. 2004). À partir de ses travaux conduits au Cameroun et au Nigeria, Boutrais (1983) a constaté par contre que dès 30-40 habitants/km2, le nombre de têtes de bétail par habitant ainsi que la densité de bétail au km2 amorçaient une tendance à la baisse. Les mêmes auteurs ont observé, par ailleurs, qu'en dessous de 20 habitants/km2 le milieu, dans ces zones, est insalubre à cause des glossines et qu'il n'attire donc pas les éleveurs. Il faut savoir que les agriculteurs, par leurs activités, sont reconnus comme de bons agents d'assainissement des milieux (Bonfiglioli, 1990 ; Boutrais, 1996 ; Dongmo et al. 2007), de sorte que les zones de concentration des éleveurs et donc du bétail coïncident, en général, avec celles de concentration agricole (Boutrais, 1983 & 1996 ; Dugué et al. 2004).

Les conditions d'installation des éleveurs étant favorables à partir de 20 habitants/km2 si les conditions sanitaires sont favorables (notamment faible risque de trypanosomose), les effectifs de bétail augmentent aussi bien au niveau des troupeaux des éleveurs que chez ceux des agriculteurs (rappelons que ceux-ci capitalisent leurs revenus agricoles dans le bétail), ceci tant que les possibilités d'extension des parcelles agricoles restent possibles. Ce qui ne serait plus le cas à partir de 40-60 habitants/km2 (Boutrais, 1983), densité à partir de laquelle les relations auparavant cordiales deviennent conflictuelles et les éleveurs se trouvent contraints d'adopter de nouvelles stratégies, soit en se sédentarisant60 soit en allongeant leur saison de transhumance comme l'ont observé Dugué et al. (2004) en pays Sereer au Sénégal et dans l'extrême Nord du Cameroun. Notons cependant avec Boutrais (1983) qu'en situation

60 Ce qui implique, dans bien de cas, le passage du système vers le mode intensif de production animale (Raimond, 1999 ; Requier-Desjardins, 1999).

d'intégration véritable entre l'agriculture et l'élevage, ce qui l'est moins à Kotchari, le bétail peut continuer à croître jusqu'à un niveau de densité humaine atteignant 100 habitants/km2.

Si l'on s'appuie sur les observations de ces auteurs, on ne peut raisonnablement expliquer la venue massive et cyclique des éleveurs dans ce terroir particulier par la prétendue richesse en ressources pastorales et par la disponibilité en espace qui sont souvent évoquées par ces derniers. On voit bien qu'avec une densité humaine de 56,45 ha/km2, un taux d'occupation des sols de 55,81% et une faible intégration de l'agriculture à l'élevage, les conditions ne sont objectivement pas réunies, même si, par ailleurs, les charges en bétail restent raisonnables durant la saison sèche concernée par la transhumance.

Visiblement à Kotchari, le point de rupture est atteint ou presque et, en toute logique et suivant le schéma observé ailleurs, on devrait s'attendre à ce que les départs en transhumance soient de plus en plus importants ou que les effectifs de bétail amorcent leur baisse comme ce fut le cas entre 2008 et 2009. A la lumière de nos observations récentes cette baisse apparaît comme un simple artefact puisqu'au contraire, on enregistre un accroissement continu des effectifs locaux et transhumants. Aucune explication rationnelle basée sur les potentialités du terroir ne peut justifier cette tendance et on peut logiquement penser que les ressources pastorales des réserves voisines sont mises à contribution. Nous reviendrons sur la question dans la discussion générale dans le chapitre VII.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle