5.3.1.2. La pression animale : le bilan fourrager
saisonnier
En ce qui concerne le niveau de charge animale dans le terroir
et sa variation au cours de l'année, les enquêtes ont permis de
dénombrer les effectifs du cheptel (tableau V-4), toutes
catégories de cheptel prises en compte, ce qui a permis ensuite d'en
déduire le nombre d'UBT.
On observe que le cheptel local, sédentaire,
dominé par les caprins et les ovins en second lieu, est plus important
que celui qui transhume, même pendant le pic de transhumance. Si l'on
s'en tient uniquement à la race bovine, ce cheptel est constitué
de troupeaux aux tailles très variables dont les effectifs vont de
seulement quelques têtes (trois à cinq) à plus de 50
têtes dans quelques ménages considérés comme nantis,
généralement d'ethnie peule. Quant au bétail transhumant,
qui a été très important en 2008 et approchait même
par ses effectifs le cheptel local (l'effectif en bovins est même
supérieur à l'effectif local de la même espèce), il
a connu un recul assez notable en 2009.
Signalons que le nombre de troupeaux transhumants est, par
rapport à celui des troupeaux sédentaires, très faible
mais ce sont des troupeaux aux grands effectifs qui dépassent parfois
200 têtes.
Tableau V-4. Effectifs animaux en 2008 et 2009 (source :
données de recensement)
Types de troupeau
|
|
|
Année 2008
|
|
|
Année 2009
|
|
Effectifs sédentaires
|
Bovins
Ovins Caprins Asins Équins
|
|
6807
8016 9908 276 13
|
|
|
|
|
6957
8248 10235 276
13
|
|
|
Saisons de transhumance
|
|
S1
|
S2
|
|
S3
|
S4
|
S1
|
S2
|
S3
|
S4
|
Effectifs animaux transhumants entrant
|
Bovins Ovins
Caprins
|
632 64
0
|
7004 843
22
|
|
1767 26
22
|
0 0
0
|
137 13
0
|
3954 1053
13
|
1868 136
0
|
0 0
0
|
Effectifs animaux transhumants sortant
|
Bovins
|
0
|
0
|
|
608
|
0
|
0
|
0
|
513
|
0
|
Total troupeaux locaux
|
|
|
1198 (-
|
18)
|
|
|
|
1198 (- 16)
|
|
|
Total troupeaux transhumants
|
|
|
95
|
|
|
|
|
52
|
|
|
Légende : S1 = [Déc. - Mars]; S2 = [Avril -
Mai]; S3 = [Juin - Juil.]; S4 = [Août - Nov.] ; les chiffres entre
parenthèse représentent les départs en transhumance
à partir du terroir.
De manière globale, le nombre d'UBT dans le terroir a
oscillé entre 10 515 et 17 692 en 2008 et entre 10 777 et 14 944 en 2009
(figure V-1). Les densités animales (ou charges instantanées),
calculées sur la base des espaces effectivement accessibles, ont
varié dans le même sens, allant de 0,32 UBT.ha-1
à 0,68 UBT.ha-1 en 2008 contre 0,31 UBT.ha-1
à 0,70 UBT.ha-1 en 2009 (tableau V-5). La période
où les effectifs animaux sont les plus élevés se situe
entre avril et mai, période de pointe de la transhumance, alors qu'ils
sont les plus bas en saison des pluies, notamment entre août et novembre.
C'est pourtant en cette période
pluvieuse où les transhumants allochtones sont tous ou
presque repartis vers leurs terroirs d'attache que les pâturages sont les
plus chargés par unité de surface. En cette saison une grande
partie du terroir est inaccessible du fait des activités agricoles
(UPP5) ou des risques d'embourbement (UPP2) ou des deux à la fois
(UPP1).
Les charges en bétail les plus faibles sont
enregistrées de décembre à mars au moment où tous
les espaces commencent à être accessibles mais où la
transhumance commence timidement.
Figure V-1. Variation des effectifs animaux (en UBT) dans le
terroir en 2008 et 2009
Tableau V-5. Variation des charges de bétail (en UBT) dans
le terroir en 2008 et 2009 (Sources : Enquêtes terrain)
Périodes Densités
(UBT.ha-1)
Année 2008 Année 2009
[Déc. - Mars] 0,32 0,31
[Av - Mai] 0,50 0,43
[Juin - Juil.] 0,33 0,35
[Août - Nov.] 0,68 0,70
La recherche des capacités de charge théoriques
permet, par comparaison avec les charges réelles enregistrées, de
suivre au fil des saisons la situation réelle et de déceler les
saisons de grand risque pour les unités pastorales (surpâturage)
ou pour le cheptel (baisse des productions ou même perte de poids).
Rappelons que certaines unités, sont peu (UPP5 : zones les plus
cultivées) ou pas (UPP1 : bas-fonds et UPP2 : plaines inondables)
pâturables en saison des pluies. Nous les avons considérées
comme non exploitées en cette saison. Les autres unités (UPP3 :
bas-glacis et plaines argileuses; UPP4 : plateaux, hauts glacis et plaines
sableux à sablo-limoneux ; UPP6 : buttes rocheuses et cuirassées)
sont exploitées en toute saison. Ainsi, pour l'ensemble des
unités (tableau V-6), les capacités de charges théoriques
moyennes journalières ont été de 8 622
UBT.jour-1 (soit de 0,28 à 0,52
UBT.ha-1) et de 20 986
UBT.jour-1 (soit de 0,28 à 1,03
UBT.ha-1) respectivement en saison pluvieuse et en
saison sèche.
120
Tableau V-6. Capacité de charge théorique globale
du terroir de Kotchari
Unités paysagères pastorales
|
BM (kgMS.ha-1)
|
DF (kgMS.ha-1)
|
Sup (ha)
|
Capacité de charge théorique (UBT.
j-1)
|
|
à l'hectare
|
sur l'unité
|
UPP1
|
4780
|
1673
|
8010
|
1,03
|
8246,60
|
UPP2
|
4590
|
1606,5
|
2853
|
0,99
|
2820,52
|
UPP3
|
3420
|
1197
|
3995
|
0,52
|
2096,23
|
UPP4
|
3270
|
1144,5
|
9359
|
0,50
|
4695,40
|
UPP5
|
1410
|
493,5
|
4273
|
0,30
|
1297,68
|
UPP6
|
1840
|
644
|
6482
|
0,28
|
1829,88
|
Total
|
19310
|
|
34972
|
|
20986,30
|
Pour les unités en gras, CC théorique moyenne
journalière de saison sèche; pour le reste CC théorique
moyenne journalière pendant toute l'année.
BM, biomasse ; DF, disponible fourrager ; Sup, superficie de
l'unité
DF = BM*Sup*0,35
Légende
UPP1, unité de savane arborée sur sol profond
hydromorphe à pseudogley de surface ;
UPP2, unité de savane boisée claire sur plaine
inondable et sol hydromorphe à pseudogley de surface ;
UPP3, unité de savane arbustive de moyen et bas glacis
sur sols ferrugineux tropicaux à tâches et concrétions ;
UPP4, unité de savane arbustive claire de plateaux et
hauts glacis sur sols ferrugineux tropicaux lessivés indurés ;
UPP5, unité de mosaïque agroforestière sur
sols ferrugineux tropicaux lessivés indurés ;
UPP6, unité de savane arbustive claire de buttes
rocheuses et cuirassées.
Le bilan fourrager, qui équivaut à la
différence entre la capacité de charge théorique et la
charge globale réelle (figure V-2) confirme que le risque se situe bien
en saison pluvieuse (juin à novembre) pour toute la période de
référence (2008 & 2009). En cette saison en effet, le bilan
est négatif pour les pâturages accessibles qui sont alors en
surpâturage. On peut être tenté de penser que la relative
bonne santé des parcours du terroir dans sa partie accessible
légalement (seules quelques unités sont en dégradation
légère), est imputable aux aires protégées qui
résorbent cet excédent de charge. Cette hypothèse est
à première vue invalide, les deux aires protégées
voisines (parc W et réserve partielle de la Kourtiagou) étant en
effet insalubres (il y sévit la mouche tsé-tsé) et
impraticables en cette saison (leurs parties qui bordent le terroir
étant vite inondées avec les premières pluies). Mais les
observations faites ailleurs en contexte presque similaire par Kaboré
(2010) permettent de ne pas exclure totalement cette possibilité.
L'auteur a, en effet, constaté que la réserve de Pama Nord
devenait pour les éleveurs peuls, un refuge pour prévenir les
conflits à l'égard des agroéleveurs gourmantchés et
mossi ; conflits consécutifs à la trop grande concentration
d'animaux en périphérie causée par le retour des troupeaux
transhumants.
En saison sèche, au contraire, et
particulièrement en début de cette période
(décembre à mars), les charges réelles sont nettement
inférieures aux capacités théoriques et le bilan est
très satisfaisant. Il le serait davantage si, en plus de
l'évaluation des disponibilités fourragères naturelles, on
avait pu prendre en compte les résidus culturaux qui sont
exploités en vaine
pâture en cette période de même que le
fourrage ligneux dont la contribution dans les rations en fin de saison
sèche est très importante (Boudet, 1991 ; Lhoste et al.
1993 ; Daget & Godron, 1995 ; Kaboré-Zoungrana, 1995 ; Raimond,
1999 ; Kagoné, 2000 ; Lhoste, 2004 ; Yanra, 2004 ; Kièma S., 2007
; Dongmo, 2009).
Figure V-2. Evolution du bilan fourrager au cours des
années 2008 & 2009
Ce bilan reste indicatif, il ne s'appuie en effet que sur une
évaluation ponctuelle effectuée au maximum de biomasse en
septembre. Par ailleurs, malgré le risque encouru, les interstices entre
les parcelles agricoles des mosaïques agroforestières (UPP5) sont
pâturés, en particulier par le bétail local, notamment
gourmantché. Inversement, les unités du terroir
considérées comme accessibles en saison pluvieuse y compris les
collines (UPP3, UPP4 et UPP6), hébergent par endroits des parcelles
cultivées. Ces unités ne sont donc pas, dans leur
entièreté, accessibles en cette saison. La surcharge ainsi
constatée en saison pluvieuse pourrait en conséquence avoir
été surestimée dans l'hypothèse où le
territoire exploré dans UPP5 produisait une biomasse beaucoup plus
importante que les portions non accessibles de UPP3, UPP4 et UPP6 ou
sous-estimée si, au contraire, elle en produisait moins.
La très forte variation du niveau de charge animale
dans le terroir au cours de l'année n'est pas seulement attribuable aux
activités agricoles qui occupent plus de la moitié (55,81%) de
l'espace du terroir, en effet les flux et reflux annuels de transhumants y
tiennent un rôle majeur. Ceci confirme les observations faites dans la
même zone par Paris (2002) qui rapporte qu'en avril-mai (période
de pic de transhumance), on pouvait compter autant d'animaux transhumants que
de locaux. De plus, en 2008, de décembre à mars et d'avril
à mai, l'afflux de transhumants a été plus important que
l'année suivante. La plupart de ces transhumants sont cependant plus
vite repartis vers leurs terroirs d'attache en 2008 qu'en 2009, comme l'atteste
la charge de bétail moins importante pendant la période de
juin-juillet de la première année. A cette période en
effet, l'effectif d'animaux transhumants a été inférieur
à celui enregistré l'année d'après.
122
Si de telles charges en bétail peuvent paraître
très élevées et inquiétantes, les craintes doivent
se porter surtout sur une tendance confirmée à l'accroissement
des effectifs car le terroir continue « paradoxalement » d'attirer de
nouveaux transhumants. De tels niveaux de charge peuvent en effet induire des
changements très importants dans la végétation ou
même dans les sols des parcours, sans pourtant toujours affecter
immédiatement le niveau de la production primaire, comme l'ont
observé Kamuanga et al. (2003) dans l'extrême Nord du
Cameroun. Il faut cependant rester prudent à propos de ce dernier point
car, à Kotchari, le dépassement de charge a lieu au moment
où la strate herbacée, principale composante du fourrage, est en
pleine croissance. On imagine en effet mal comment, dans ces conditions, les
capacités productives ne seraient pas affectées et comment le
niveau de production nette potentielle ne serait pas influencé
négativement.
Malgré le bilan fourrager positif en saison
sèche, on est en droit de s'interroger sur les facteurs qui ont
favorisé et continuent de favoriser la mise en place d'effectifs animaux
aussi élevés dans le terroir. En effet la densité humaine
y est notable, la pression sur les terres se fait importante et, par ailleurs,
les valeurs des pâturages ne sont pas si exceptionnelles que cela (voir
chapitre IV précédent et Sawadogo et al., sous
presse). Il est possible de trouver une explication à un tel niveau
de charge animale. Selon certains auteurs (Boutrais, 1983 & 1996 ;
Dugué, 1998 ; Santoir, 1999 ; Dugué et al. 2004), dans
une certaine fourchette de densité humaine, tant que l'espace n'est pas
encore saturé, la taille du cheptel croît presque toujours avec la
densité démographique. Cette fourchette se situerait entre 20 et
50 à 60 habitants/km2 de densité humaine ou entre 15%
à 50% voire 60% de niveau d'occupation agricole des terres (Dugué
et al. 2004). À partir de ses travaux conduits au Cameroun et
au Nigeria, Boutrais (1983) a constaté par contre que dès 30-40
habitants/km2, le nombre de têtes de bétail par
habitant ainsi que la densité de bétail au km2
amorçaient une tendance à la baisse. Les mêmes auteurs ont
observé, par ailleurs, qu'en dessous de 20 habitants/km2 le
milieu, dans ces zones, est insalubre à cause des glossines et qu'il
n'attire donc pas les éleveurs. Il faut savoir que les agriculteurs, par
leurs activités, sont reconnus comme de bons agents d'assainissement des
milieux (Bonfiglioli, 1990 ; Boutrais, 1996 ; Dongmo et al. 2007), de
sorte que les zones de concentration des éleveurs et donc du
bétail coïncident, en général, avec celles de
concentration agricole (Boutrais, 1983 & 1996 ; Dugué et
al. 2004).
Les conditions d'installation des éleveurs étant
favorables à partir de 20 habitants/km2 si les conditions
sanitaires sont favorables (notamment faible risque de trypanosomose), les
effectifs de bétail augmentent aussi bien au niveau des troupeaux des
éleveurs que chez ceux des agriculteurs (rappelons que ceux-ci
capitalisent leurs revenus agricoles dans le bétail), ceci tant que les
possibilités d'extension des parcelles agricoles restent possibles. Ce
qui ne serait plus le cas à partir de 40-60 habitants/km2
(Boutrais, 1983), densité à partir de laquelle les relations
auparavant cordiales deviennent conflictuelles et les éleveurs se
trouvent contraints d'adopter de nouvelles stratégies, soit en se
sédentarisant60 soit en allongeant leur saison de
transhumance comme l'ont observé Dugué et al. (2004) en
pays Sereer au Sénégal et dans l'extrême Nord du Cameroun.
Notons cependant avec Boutrais (1983) qu'en situation
60 Ce qui implique, dans bien de cas, le passage du
système vers le mode intensif de production animale (Raimond, 1999 ;
Requier-Desjardins, 1999).
d'intégration véritable entre l'agriculture et
l'élevage, ce qui l'est moins à Kotchari, le bétail peut
continuer à croître jusqu'à un niveau de densité
humaine atteignant 100 habitants/km2.
Si l'on s'appuie sur les observations de ces auteurs, on ne
peut raisonnablement expliquer la venue massive et cyclique des éleveurs
dans ce terroir particulier par la prétendue richesse en ressources
pastorales et par la disponibilité en espace qui sont souvent
évoquées par ces derniers. On voit bien qu'avec une
densité humaine de 56,45 ha/km2, un taux d'occupation des
sols de 55,81% et une faible intégration de l'agriculture à
l'élevage, les conditions ne sont objectivement pas réunies,
même si, par ailleurs, les charges en bétail restent raisonnables
durant la saison sèche concernée par la transhumance.
Visiblement à Kotchari, le point de rupture est atteint
ou presque et, en toute logique et suivant le schéma observé
ailleurs, on devrait s'attendre à ce que les départs en
transhumance soient de plus en plus importants ou que les effectifs de
bétail amorcent leur baisse comme ce fut le cas entre 2008 et 2009. A la
lumière de nos observations récentes cette baisse apparaît
comme un simple artefact puisqu'au contraire, on enregistre un accroissement
continu des effectifs locaux et transhumants. Aucune explication rationnelle
basée sur les potentialités du terroir ne peut justifier cette
tendance et on peut logiquement penser que les ressources pastorales des
réserves voisines sont mises à contribution. Nous reviendrons sur
la question dans la discussion générale dans le chapitre VII.
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