1.1.2. Les aires protégées de l'Est : un
potentiel en sursis ?
Comme on l'a déjà mentionné, un des
atouts de la région de l'Est est de disposer de plus d'espaces riches en
ressources pastorales, forestières et fauniques que d'autres
régions du pays. Autour du 14ème siècle,
à cause des attitudes hostiles qu'exprimaient entre eux les peuples de
la région, l'occupation de l'espace était contrastée. Les
espaces vides qualifiés de « no man's land » par Benoit (1998
& 1999a) vont être l'objet de grignotage au début du
20ème siècle grâce à
l'amélioration des conditions sanitaires et sécuritaires
(Santoir, 1998). La création des premières aires
protégées semble être une réaction de la puissance
coloniale face à l'occupation anarchique de l'espace, ainsi
pacifié, qui s'opérait. Il s'est finalement agi de mettre de
grandes portions de forêts hors de portée de l'occupation qui se
faisait menaçante pour elles avec le glissement progressif et
l'arrivée des populations des zones de forte concentration de l'Ouest
vers le Sud-est. Contrairement à l'Ouest du pays, l'érection des
aires de protection de la faune à l'Est, bien que motivée par le
même désir d'empêcher une grande déforestation du
pays et par des considérations esthétiques et sanitaires comme le
rapporte Kièma S. (2001 & 2007), n'a pas été
précédé de grands déguerpissements8. De
nos jours, la
5 En réalité, les années
sèches de 73-74 et 83-84 font partie de la dernière et plus
longue période sèche parmi les trois (1909-1919; 1938-1949;
1968-1985) que le pays et l'ensemble de la sous région ont connu
(Sournia, 1987)
6 A la croissance naturelle (naissances), il faut
ajouter les fortes migrations d'agriculteurs venant du plateau central du pays
à partir des années 70 et surtout 80. Entre 1970 et 1996 la
progression annuelle de la population est de 4,65% (Guibert & Prudent,
2005).
7 Les agriculteurs gourmantché capitalisent
leurs revenus provenant du coton dans l'achat de bétail.
8 Cependant, Kaboré (2010) a noté des
vagues de déguerpissements dans la zone de la réserve partielle
de faune de Pama Nord (Province du Gourma).
9
région de l'Est est la zone de plus grande
concentration d'aires protégées du pays (parcs, réserves
totales et partielles, ranchs, concessions, etc.). En effet, alors que
seulement environ 5 à 10,6 % du territoire national (Spinage &
Traoré, 1984 ; Sournia, 1987 ; Yaméogo, 2005) sont occupés
par des aires de protection de faune, elles représentent dans cette
région jusqu'à 20 à 25%9 des superficies
(Guibert & Prudent, 2005; Traoré, 2008).
Les politiques de conservation mises en oeuvre dans la
région ont suivi la tendance d'ensemble au niveau de l'Ouest africain.
Un peu partout en Afrique, on est passé successivement de l'exclusion
à la participation puis à la concertation (Aubertin, 2005),
cependant le rythme n'a pas été le même partout.
Contrairement à l'Afrique australe et orientale où
l'intérêt de l'approche de gestion participative a
été très tôt appréhendé,
l'interdiction a très longtemps prévalu en Afrique de l'Ouest
(Bayer & Ciofolo, 2004).
En Afrique de l'Ouest, pendant la période coloniale,
l'administration a mis en place des sanctuaires de faune d'où
étaient exclues les populations locales (Babin et al. 2002). Il
en a été de même dans la région de l'Est du Burkina
Faso, du parc refuge du W créé en 1926 puis des réserves
totales d'Arly (1954), de Singou (1955) et de réserves partielles comme
la Kourtiagou (1957). La mise en place de ces différentes aires a
enlevé aux populations locales le droit de regard et de jouissance de
leurs ressources en même temps que les couloirs de passage et zones de
pâture des animaux étaient occupés. Les milieux, ainsi mis
«sous cloche», n'étaient alors pas encore sous forte pression
anthropique.
A partir des indépendances, les nouveaux États
réaffirment la propriété étatique des forêts
(Babin et al. 2002). Mais après les années sèches
de 73-74 et de 83-84, ces sanctuaires sont très menacés Les
animaux transhumants franchissent pour la première fois la Tapoa, la
migration agricole est forte dans la région et les États,
manquant de moyens, n'assurent pas une surveillance adéquate des espaces
dont ils ont retiré la surveillance aux populations locales. Dans une
étude minutieuse, Kaboré (2010) explique comment
l'espace-ressource villageois et inter-villageois était régi par
les lignages (des maîtres fonciers) qui en assuraient alors la "bonne"
gestion. De fait, ces espaces qui ne sont plus de nos jours formellement sous
administration coutumière, sont laissés à eux-mêmes
et sont devenus à "accès libre" pour les braconniers et surtout
pour le bétail. De nombreux travaux dont ceux de Kièma S. (2001
& 2007), Toutain et al. (2001), Convers (2002), Paris (2002),
Riegel (2002), Boutrais (2008) et Kaboré (2010) montrent que les aires
protégées entrent depuis longtemps dans les stratégies
alternatives trouvées par les éleveurs transhumants mais aussi
sédentaires, pour faire face à la période de soudure de
saison sèche. Aussi, Sournia (1987) rapporte qu'une bonne part des
quelques 400 000 têtes de bétail transhumant ayant transité
dans la région en 1985, a pénétré dans les aires de
protection et notamment dans le parc du W. Plus récemment, un
recensement aérien a dénombré 30 000 à 50 000
têtes de bétail dans le parc du W en 1994 (IUCN, 1994). Par
ailleurs, deux recensements encore plus récents réalisés
en mai 2002 (Riegel, 2002) et avril-mai 2003 (Bouché et al.
2003) confirment cette tendance. Le recensement de mai 2002, indiquait la
présence d'environ 23 840 bovins et 1 254 petits ruminants dans le parc
W, surtout du côté Bénin. Le recensement des mois d'avril
et de mai 2003 sur l'ensemble du
9 Il est important de noter qu'en
réalité ces aires se concentrent seulement sur les territoires
des provinces les plus méridionales que sont le Gourma et surtout la
Tapoa et la Kompienga.
10
complexe WAPOK (W-Arly-Pendjari-Oti-Kéran) a permis
d'enregistrer 1 171 troupeaux de bovins totalisant 101 309 animaux dans ce
complexe WAPOK et sa périphérie proche. On note même une
tendance à la sédentarisation d'éleveurs comme c'est le
cas dans le village d'Illéla, dans la partie béninoise du W
(Kagoné, 2004). Si l'exploitation pastorale du W reste une
réalité, son ampleur serait en baisse surtout pendant la
période d'exécution du programme ECOPAS
(Écosystèmes Protégés en Afrique Soudano
Sahélienne) (2001-2008) (Fournier & Toutain, 2007) et les conditions
biologiques dans les réserves de la région de l'Est restent
relativement meilleures qu'ailleurs au Burkina, notamment dans l'Ouest comme le
rapporte Kièma S. (2001).
L'élan participatif de la conservation ne prend
réellement naissance au Burkina qu'en 1984 lors du séminaire
national sur la faune, où il est proclamé que celle-ci est
désormais l'affaire de tous (Sournia, 1987). Dans les faits, pour ce qui
est de la région de l'Est et surtout du W et des réserves
avoisinantes, il faut attendre 2001 avec la mise en place du programme ECOPAS
(Écosystèmes Protégés en Afrique Soudano
Sahélienne) pour voir un début de concrétisation de cette
volonté politique10. Ce programme, centré sur les
trois parcs nationaux contigus du W, a été conçu par les
États concernés (Bénin, Burkina, Niger) avec l'appui de
l'Union Européenne à travers le Fonds Européen de
Développement. Son objectif étant «d'arrêter et
d'inverser le processus de dégradation des ressources naturelles du parc
afin de protéger de façon durable la biodiversité, au
bénéfice des populations concernées», il a
basé son principe d'intervention sur la participation consistant en
l'implication et en la responsabilisation des acteurs locaux. Un des premiers
résultats de ce programme est le renforcement notable de la surveillance
du W, devenu, entre temps, en 1996 site du patrimoine mondial de l'UNESCO et en
2002 réserve de biosphère (Paris, 2002 ; Riegel, 2002), avec en
compensation la mise en place d'actions socio-économiques dans la zone
de transition.
Mais devant l'avancée très rapide et anarchique
du front agricole liée à la croissance naturelle de la
population, l'immigration agricole et la forte orientation des systèmes
de production au marché avec l'arrivée du coton, l'effectif
impressionnant du cheptel local et l'afflux de plus en plus massif de
bétail sahélien qui fuyait des conditions de plus en plus
insupportables, les actions du programme ECOPAS ont semblé
insignifiantes aux yeux des populations. Dans la zone de transition du W du
Niger les conflits observables sur le terrain entre les acteurs (conservateurs,
populations locales et transhumants) ont été nombreux et divers
(Paris, 2002 ; Kagoné, 2004; Sawadogo, 2004). En toile de fond se
trouvaient des différences de vue radicales sur le rôle des aires
protégées (réservoirs de biodiversité pour les uns,
vastes et riches terres ou encore stock de fourrage pour les
autres)11. Le même type de représentation de la part
des populations locales envers les aires de protection a été
observé par Kièma S. (2001), Berlin (2002) et Goungounga (2003)
dans l'Ouest du Burkina.
10 Des tentatives de gestion commune ont cependant eu
lieu dès les années 60 avec peu de succès sauf du
côté nigérien.
11 Voir aussi Kaboré (2010) pour plus de
détails sur les représentations et les revendications des
populations environnantes à l'égard des aires
protégées. Binot et al. (2006) ainsi que Harchies et
al. (2007) notent d'ailleurs qu'un peu partout en Afrique il y a une
opposition basique entre aires à vocation de protection et aires
à vocation de production.
|