Les aires protégées sont de nos jours presque
les seules zones où la biodiversité est encore importante et la
faune abondante. Elles mobilisent actuellement la communauté mondiale
surtout depuis le sommet de Rio de 1992. Les efforts de préservation de
la biodiversité qui mobilisent déjà bon nombre d'acteurs
en certains endroits du monde comme en Afrique de l'Est, vont être
démultipliés et des fonds (GEF, FFEM, etc.) et programmes mis en
place à cet effet. De nombreuses études (Benoit, 1999a &1998
; Toutain et al. 2001 ; Kièma S., 2007 ; Binot et al.
2006 ; Boutrais, 2008) montrent pourtant que ces écosystèmes sont
depuis longtemps partie prenante de la chaîne de pâturage
annuel20 des populations pastorales environnantes et mêmes
lointaines. Les tendances indiquent même que l'exploitation pastorale des
aires protégées est appelée à se renforcer car
l'espace ouvert est de plus en plus rare et de mauvaise qualité du fait
de l'accaparement agricole des pâturages et de la pression anthropique
d'ensemble (Binot et al. 2006).
A l'évidence, cette tendance à l'exploitation
pastorale des aires fauniques, qui n'est pas prête de s'estomper, n'est
pas favorable à la conservation; de nombreux spécialistes de la
conservation considèrent même le bétail comme une menace
pour la faune et son habitat. Wambwa (2004) montre par exemple, à partir
de ses observations au Kenya, qu'il existe des échanges de pathologies
diverses entre le bétail et la faune lorsque ceux-ci cohabitent.
Boutrais (2008) rapporte qu'au parc W du Niger, la population de buffles a
fortement chuté en 1984 par suite d'une épidémie de peste
bovine introduite par des zébus transhumants. De même, les
conservateurs des aires protégées indiquent que le bétail
serait en compétition alimentaire avec la faune sauvage, du moins avec
les espèces avec lesquelles il partage la même niche
écologique21. Ceci semble vérifié entre les
bovins et certains herbivores paisseurs comme les buffles ou les gnous (Fritz,
1995) qui ont un régime alimentaire très proche. L'argument qui
fait du bétail une menace pour la faune n'est donc pas, dans l'absolu,
faux, mais il vaut dans les deux sens. En effet, Binot et al. (2006)
ont observé que la faune sauvage exerce des influences négatives
directes (prédation, vecteurs ou réservoirs de maladies, etc.) ou
indirectes avec la restriction à l'accès aux ressources
naturelles (eau, fourrage, cures salées, etc.) sur le bétail
domestique. Par ailleurs, les éleveurs incriminent la faune sauvage,
notamment le buffle, dans la survenue de la fièvre aphteuse dans leurs
troupeaux.
Même si à partir de ces observations, des
arguments existent pour soutenir les politiques d'exclusion (Homewood &
Rodgers, 1984), des expériences de cohabitation plutôt
réussies sont également rapportées. Si la
compétition entre faune et bétail domestique ne fait l'objet
d'aucun doute, il est des cas où il n'en existe cependant pas : les
bovins cohabitent bien avec les koudous, des brouteurs avec lesquels ils ont un
recouvrement de niche très limité (Fritz, 1995). Par ailleurs,
les herbivores à régime intermédiaire, comme les
impalas,
20 Concept désignant l'ensemble des
pâturages qui sont successivement exploités par le bétail
domestique ou sauvage au cours de l'année.
21 Selon Grinnell (1914) "the niche is the
habitat requirements of one species". Pour Elton (1927) "the niche is
what is doing by a species within a community". La niche écologique
peut donc être comprise comme l'ensemble des conditions environnementales
telles qu'une espèce donnée peut former des populations
viables.
consomment les mêmes herbacées que les bovins
(Fritz, 1995 ; Fritz et al. 1996), mais les bovins sont de meilleurs
compétiteurs sur ce type de fourrage, et les impalas semblent modifier
leur régime alimentaire en fonction de la présence des bovins
(Fritz et al. 1996). Les auteurs ajoutent que les conclusions seraient
sensiblement différentes si l'on considérait les petits
ruminants, notamment les caprins, qui consomment une grande part de ligneux
dans leur alimentation. Bayer et al. (2008), par des exemples assez
illustratifs, mettent l'accent sur les complémentarités. Ainsi,
ils montrent que la girafe qui broute sur les étages supérieurs
(à partir de 5m), maintient les écosystèmes savaniens
ouverts, favorisant ainsi les arbustes, les petits arbres et les
herbacées utilisables par le bétail domestique. Ils ajoutent que
le bétail, en pâturant dans les milieux humides, y apporte des
nutriments consommés par les oiseaux aquatiques et le poisson. Dans le
même sens, Touré et al. (2001) ont observé une
coexistence sans gêne réciproque entre oiseaux et bétail
dans le parc national du Djoudj au Sénégal. Boutrais (2008) rend
compte des résultats d'une expérience de cohabitation entre la
faune et le bétail domestique conduite entre 1970 et 1980 dans une zone
au Kenya qui a entraîné une augmentation des effectifs
d'éléphants de cette localité alors que les zones
environnantes voyaient plutôt les leurs chuter. Par ailleurs, Bayer &
Ciofolo (2004) affirment que le rapport coûts/bénéfices de
la coexistence entre faune et animaux domestiques est favorable.
Tout ceci incite donc à rechercher un compromis entre
les actions de conservation et les activités pastorales, les enjeux
actuels étant d'assurer les besoins légitimes des populations
pastorales sans compromettre la préservation du patrimoine que
constituent les aires protégées dans leur diversité.