La compréhension de la variation des réponses
des écosystèmes pastoraux à la pâture est un
préalable nécessaire à leur aménagement (Boudet,
1978 & 1991; César, 1994 ; Daget & Godron, 1995; Adler et
al. 2004). Les feux et les sols (Gaucherand, 2005) sont des facteurs
majeurs qui structurent la végétation (distribution spatiale,
traits de vie, composition floristique, etc.) des milieux en savane. Il est par
ailleurs possible de suivre les effets ou perturbations dus aux facteurs
secondaires d'origine exclusivement anthropiques comme la mise à la
culture et la pâture (César, 1994 ; Boutrais, 1996).
Il est unanimement reconnu que l'action du bétail
(pâture et broutage) provoque des modifications dans les milieux
fréquentés par les animaux (Boudet, 1978 ; César, 1992
& 1994 ; Fournier, 1994 & 1996; Boutrais, 1994 & 1996 ;
Carrière, 1996; Steinfeld et al. 1997 ; Devineau, 1999 ; Woldu
& Saleem, 2000; Gaucherand, 2005 ; Turner et al. 2005 ; Peco et
al. 2006) et modifie l'état initial (César, 1992 &
2005). La composition floristique, la richesse floristique et l'organisation
structurale des pâturages sont affectées : suivant le niveau de
charge animale, les espèces appréciées peuvent
disparaître au profit des espèces non consommées plus
résistantes ou plus adaptées aux nouvelles conditions (Daget
& Godron, 1995 ; Boutrais, 1996). La présence animale en milieu
ouvert (système culture-jachère) génère par exemple
des perturbations mécaniques, la dispersion des graines, principalement
d'adventices et d'espèces ligneuses du groupe des légumineuses
selon Devineau (1999), par endozoochorie ou épizoochorie et le
changement dans la fertilité des sols par l'apport de nutriments par
leurs excréments.
Les effets du bétail sur les milieux, au-delà
des changements observés sur la dynamique de la
végétation, touchent donc également le support
édaphique, notamment sa texture, sa structure et sa composition
chimique. Tous ces effets dépendent de l'intensité de la
pâture (charge animale et rythme) mais aussi de la saison de
présence animale et du type de sol.
En ce qui concerne la végétation, on
appréciera la perturbation causée par le bétail en
distinguant l'espèce animale (Boutrais, 1994 & 1996), le type de
milieu, et bien sûr, la zone agro écologique où le
phénomène est analysé (Boudet, 1978). Les travaux conduits
par Hoffmann (1985) dans le nord de la Côte d'Ivoire et par et
Guérin et al. (1989) au Sénégal, par exemple
illustrent le fait bien connu que les bovins composent surtout leurs rations
à partir des herbacées (75 % environ), alors que les ovins et
surtout les caprins ont des rations comprenant plus d'espèces ligneux.
Même au sein de chaque strate, la pression de pâturage n'est pas la
même sur toutes les espèces végétales ou tous les
groupes d'espèces. A ce propos,
31
les travaux de Akpo et al. (1995) et Kièma S.
(2007) indiquent que, dans la strate herbacée, l'effort de
prélèvement du bétail est ciblé sur les
graminées vivaces ou annuelles mais moins sur les légumineuses et
les autres familles ou phorbes, de sorte qu'il en résulte un changement
dans la composition spécifique des milieux et dans la diversité
végétale. Ce prélèvement orienté favorise
l'abondance relative des espèces non désirées ou non
attrayantes (les phorbes généralement) et il se produit en
quelque sorte une colonisation des milieux pâturés par cellesci au
détriment des graminées pérennes. De ce fait, les
proportions respectives des graminées et des phorbes peuvent renseigner
sur la qualité globale des pâturages (Hoffmann O., 1985). Une
confirmation de ce phénomène est donnée dans les cas
où, à l'inverse, les terres pâturées sont
abandonnées. Comparant des milieux soumis à la pâture
à des milieux homologues qui venaient d'en être soustraits, Peco
et al. (2006) montrent que jusqu'à 50 % d'espèces
originelles des milieux pâturés sont perdues du fait de cette
situation d'abandon. En ce qui concerne la strate ligneuse, la pâture
entraîne une homogénéisation (baisse de diversité
des espèces) et une densification (Boutrais, 1994).
Par ailleurs, Daget & Godron (1995) ainsi que Toutain et
al. (2001) montrent que l'action du bétail peut provoquer des
changements dans la structure de la végétation herbacée
suite à l'étalement des espèces qui la composent,
celles-ci réagissant ainsi au piétinement
répété.
Devineau (1999), étudiant le rôle
disséminateur du bétail dans le cycle culture-jachère en
région soudanienne du Burkina Faso, rapporte que les fortes variations
de la végétation du milieu suite au dépôt des
graines d'adventices et de plantes rudérales, n'est possible que dans
des milieux ouverts ou à forte emprise pastorale, ce qu'indiquent les
traces de piétinement et de grandes quantités de bouses. Ceci est
confirmé par Kièma S. (2007), qui montre que dans les milieux de
savane où la végétation est relativement dense et
où les graminées vivaces sont encore
prépondérantes, les espèces introduites ne peuvent
résister à la compétition. Notons que selon ces auteurs,
la nature des semences observées dans les fèces des troupeaux
(phorbes, adventices de culture, céréales et espèces
rudérales) serait due au fait qu'au sortir de la saison pluvieuse, les
animaux se détournent des graminées devenues pauvres en azote
(César, 1994) au profit de ces autres groupes d'espèces qui
offrent du fourrage plus appétible : plus frais avec de meilleures
teneurs en protéines. Les effets de la pression du bétail sur la
végétation sont parfois accentués par leur influence sur
les sols. Le bétail exerce sur le sol des actions physiques
(piétinements) et biologiques ou chimiques (apport de manière
organique par les excréments ou exportation par les
prélèvements sur la végétation) (Fournier et
al. 2001; Besse & Toutain, 2002). Carrière (1996) montre
que les effets du piétinement dépendent du type de sol, ils sont
généralement moins importants sur les sols secs de nature
sableuse alors que leur incidence est parfois spectaculaire sur les sols
humides riches en éléments fins comme les limons et argiles non
gonflantes. Sur de tels sols, il s'ensuit parfois un compactage (Toutain et
al. 1983 ; Gaston, 1981 ; Audru et al. 1987 in
César, 1994 ; Daget & Godron, 1995) qui se traduit par un
accroissement de leur densité, ce qui induit alors une baisse de
l'infiltrabilité (Boutrais, 1994). On comprend dès lors l'effet
nocif du piétinement intense sur les milieux car l'infiltrabilité
est un facteur écologique d'importance pour l'entretien des
activités biologiques du sol et pour les plantes (Devineau &
Fournier, 1998). En effet, selon Stark (1994), la variation de structure du
sol, fortement dépendante de sa
teneur en eau, influence sensiblement la diffusion des
nutriments, l'activité biologique et la disponibilité et
l'hétérogénéité desdits nutriments. Par
ailleurs, en ouvrant les formations végétales et en rendant
meuble la couche superficielle des sols, le bétail participe à la
baisse de leurs valeurs organiques par érosion soit éolienne,
soit hydrique. Selon Hiernaux et al. (1999), les sols sont de bons
indicateurs du niveau de pâture par les variations dans leurs teneurs en
nutriments (azote, phosphore et carbone). La teneur en éléments
chimiques des sols est en effet sensible à la pression animale
(Kièma S., 2007) puisque l'on observe une réduction de tous ces
nutriments et une augmentation du pH de l'horizon supérieur en cas de
forte présence animale, mais l'érosion éolienne et
hydrique augmente et avec elle le lessivage chimique (Devineau et al.
2009). Mais ces nutriments, surtout l'azote et le carbone, sont à
nouveau massivement produits suite à l'installation de phorbes
ubiquistes, notamment les légumineuses fixatrices d'azote,
adaptées à ces nouvelles conditions (César, 1991 ; Daget
& Godron, 1995). Begon et al. (1996) notent que les cas où
des espèces exotiques s'installent à la faveur des nouvelles
conditions créées par une perturbation sont fréquents.
L'effet modificateur du bétail sur les milieux, qui
peut être bénéfique (Boutrais, 1994 & 1996), est
parfois notable, mais bien souvent il n'est pas le seul responsable des
changements constatés (Bartolomé et al. 2000 ; Botoni,
2003). En général, il est associé à la variation
d'autres conditions notamment la mise en culture et le régime du feu de
brousse. Beaucoup d'études conduites dans des milieux et conditions
différents (Woldu & Saleem, 2000; Devoto et Medan, 2003; McIntyre et
al. 2003 ; Mysterud, 2006 ; Loeser et al. 2006; Andrieu et
al. 2007) indiquent qu'en situation de faible charge, la richesse
spécifique ne diminue pas alors que la composition floristique se trouve
modifiée (Steinfeld et al. (1997) ; ils en concluent que,
lorsque la pression de pâture est raisonnable et bien répartie
dans le temps, les animaux contribuent à la bonification des sols et
augmentent la biodiversité végétale et animale. Leur
constat est une confirmation que la diversité des espèces est
maximisée à des niveaux intermédiaires de perturbation
(Connell, 1978). Les résultats obtenus par Saré (2003) et
Kièma S. (2007) en zone soudanienne du Burkina Faso tendent
effectivement à montrer qu'en partant d'un niveau d'emprise animale
faible, la richesse floristique des milieux s'accroît avec la charge
animale, mais ces auteurs restent réservés et attribuent
plutôt leurs observations aux variations interannuelles du climat. Par
ailleurs, Boutrais (1994) fait observer qu'en zone de savane, une pâture
régulière et raisonnable enrichit les formations
herbacées, maintient les espèces pâturables et rend plus
abondants et plus verdoyants les feuillages des arbres fourragers. Ce que
confirment Boudet (1978 & 1991) et Hatfield & Davies (2006) dans des
études conduites respectivement en zone tropicale ou dans divers
horizons arides, le premier auteur constate d'ailleurs que «la
pâture crée le pâturage» et l'explique par le fait
que l'action animale est source d'amélioration au plan fourrager d'un
pâturage. Mais ceci reste valable seulement jusqu'à un certain
niveau de charge ou seuil de rupture à partir duquel le
pâturage se trouve au contraire engagé dans un cycle de
dégradation pastorale (Boutrais, 1994 & 1996 ; César, 1994)
qui peut être très rapide. C'est aussi le point de vue de Beani et
Dessi (1984) qui indiquent qu'à condition de ne pas être
excessive, la pâture en zone de savane stimule la productivité
primaire en éliminant, par une défoliation partielle, les tissus
les plus anciens qui freinent la photosynthèse. Du point de vue pastoral
donc, la pâture, si elle est intense et répétitive,
appauvrit les milieux. En effet,
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dans un tel cas, les espèces pérennes
appétées sont remplacées par des espèces moins
recherchées (César, 1992 & 1994; Daget & Godron, 1995 ;
Boutrais, 1996), généralement à large distribution et qui
sont indicatrices de végétation perturbée (Devineau &
Fournier, 1998 ; Fournier & Devineau, 2009 ; Djenontin, 2010).
Si une telle notion de seuil de dégradation est
claire, déterminer en pratique les conditions précises à
partir desquelles le fonctionnement des écosystèmes commence
à être compromis, est difficile. Pour une bonne gestion de
l'exploitation des pâturages il serait très utile de
connaître ces seuils (Boudet, 1978), mais, au plan écologique, il
n'existe pas de méthode pour définir à partir de quand les
capacités de régénération des milieux sont
compromises. On sait seulement qu'en zone de savane, la pression du
bétail, en éliminant surtout les graminées pérennes
héliophiles, prive le feu du combustible nécessaire à la
régulation de la végétation. Rappelons que (voir
paragraphe 2.2.1.3), sur les bons sols, le résultat en est
l'embroussaillement (César, 1992; Boutrais, 1994 & 1996 ;
Yaméogo, 2005) de ces formations par la densification du couvert ligneux
notamment de la strate arbustive (on parle alors d'embuissonnement), produisant
ainsi une biomasse ligneuse plus importante. Sur les sols légers,
pauvres ou secs, les herbes vivaces disparaissent, ce qui s'accompagne d'un
épuisement du sol conduisant à une régression des herbes
dans leur ensemble et même des ligneux et conduit à une chute de
la biomasse globale produite. Il faut noter que, dans des conditions plus
arides comme au Sahel, cette baisse de biomasse s'accompagne de la
fragmentation du tapis herbacé (Boutrais, 1994 ; César, 1994).
Les préoccupations liées aux transformations
des milieux et surtout à leur gestion ont conduit les gestionnaires des
parcours à chercher à déterminer cette valeur seuil
à l'aide de la notion de capacité de charge. Ce concept, qui
définit une pression de pâture en équilibre avec les
capacités de régénération de la
végétation (Boutrais, 1994), ne fait pourtant pas
l'unanimité au sein de la communauté scientifique (Encadré
II-1) (Carrière, 1996 ; Meuret, 1993 ; Allen et al. 2011). Le
modèle n'intègre en effet pas certains facteurs comme le
comportement alimentaire des animaux au pâturage (Meuret, 1993 ;
Boutrais, 1992 & 2002), il n'est, en outre, pas opérant dans les
écosystèmes en déséquilibre des zones subarides
dans lesquels les mécanismes classiques de rétroaction (impact
négatif sur la végétation lorsque le cheptel devient
important) sont compromis ou alors se déroulent anormalement (Breman
& De Ridder, 1991 ; Illis, 1999 ; Scoones, 1995 & 1999).
Du point de vue de la biodiversité, les implications
liées à la pression de pâture en zone de savane sont en
réalité difficiles à saisir. En effet, sauf en cas de
surpâturage, la richesse floristique des milieux n'est pas toujours
diminuée, même si les cortèges floristiques sont
généralement profondément remaniés. Lorsque la
pression de pâture devient très importante, il se produit une
banalisation de la flore dans laquelle des espèces envahissantes,
généralement des ubiquistes remplacent une partie de celles des
communautés d'origine18. On
18 Une faible pression de pâture
accompagnée d'un régime de feu faible conduit au même
résultat (Daget & Godron, 1995 ; Boutrais, 1996) même si la
flore qui en résulte est différente. Dans ce cas en effet, les
ligneux finissent, grâce au jeu de la compétition, par s'imposer
et la strate graminéenne est alors dominée d'espèces
sciaphytes peu productives (Daget & Godron, 1995) et de moindre
qualité. La charge potentielle se trouve ainsi abaissée.
parle de dégradation19 verte des
pâturages, la perte de valeur pastorale (par perte des herbes de bonne
qualité) des pâturages s'accompagnant d'une densification de leur
couvert ligneux (Boutrais, 1994 & 1996 ; Daget & Godron, 1995) et donc
de leur embroussaillement. Or, comme le rappelle Boutrais (1996), ce qui
apparaît comme une dégradation aux yeux des éleveurs peut
s'interpréter comme la première étape d'un processus de
reforestation aux yeux des forestiers.
Encadré II-1: La capacité de charge, un indicateur
changeant, peu pertinent en milieu ouvert (adapté de
Boutrais, 1994).