Les feux interviennent dans le fonctionnement global des
écosystèmes en accélérant, contrariant ou
supprimant certains de ses processus (germination et croissance des
espèces, successions végétales, etc.). Leurs effets sont
fonction de leur intensité, de leur fréquence, de la saison
à laquelle ils interviennent (Alexandre, 1989 ; Lavorel et al.
2007), mais aussi du type de végétation, de la topographie et de
la nature du sol dans le site considéré (Bruzon, 1995; Pyne et
al. 1996). Les impacts des feux sur les milieux peuvent s'analyser
à travers les changements provoqués dans la
végétation (richesse floristique, composition spécifique,
diversité spécifique, structure spatiale, types biologiques,
physionomie et phénologie) et dans les caractéristiques
physico-chimiques des sols (teneur en nutriments et en microorganismes).
2.2.1.3.1. Les feux et leurs impacts sur la
végétation
Les feux entretiennent les savanes en agissant comme des
agents sélectifs et régulateurs qui permettent d'empêcher
le remplacement de la strate herbacée par la végétation
boisée (Shantz, 1947 ; César, 1991 & 1994 ; Lavorel et
al. 2007) et, comme rappelé précédemment,
l'évolution des formations savanicoles vers les types forestiers parfois
denses (Schnell, 1971 ; Monnier, 1981 ; Fournier, 1991 ; Jacquin, 2010). Leurs
effets sont multiformes, ils diffèrent notamment selon la nature
ligneuse ou herbacée de la formation végétale
considérée et les types biologiques végétaux qui
ont développé à l'égard du feu des
stratégies assez diversifiées (Schnell, 1971; Ozenda, 1982 ;
César, 1992 ; Bruzon, 1995). Du point de vue de l'utilisation pastorale
des milieux, on note que les feux influencent le niveau de la production
primaire nette, son évolution cyclique (disponibilité
saisonnière du fourrage) ainsi que sa qualité fourragère
(appétence et qualités nutritionnelles) (Schnell, 1971).Par
ailleurs, le moment (précoce ou tardif) de survenue des feux peut
être déterminant sur l'évolution des
écosystèmes pastoraux.
En ce qui concerne les types biologiques, les
hémicryptophytes (les graminées pérennes surtout) et les
géophytes disposent respectivement soit de bourgeons basilaires
protégés dans les talles et qui rejettent après le passage
du feu (Fournier, 1991) soit de semences enfouies dans le sol et supportant
l'élévation de température consécutive au passage
des feux. L'effet dépressif observé chez les ligneux, est bien
moindre ou parfois absent chez les herbacées chez lesquelles on peut
noter, dans le temps, une stimulation du tallage et un élargissement des
touffes (Bruzon, 1995).
27
Les feux précoces ont des effets peu nocifs sur la
végétation ligneuse, ils retardent mais ne compromettent pas son
développement. Ces feux surviennent, en effet, à une
période où l'herbe est encore un peu humide (stress hydrique
faible), et se contentent de consumer la litière de feuilles et des
herbes fanées (Beani & Dessi, 1984) là où
l'accumulation de combustible de l'année précédente n'est
pas élevée. Manquant donc d'assez de combustible (César,
1994), ils sont bas, lents et leur température n'est pas très
élevée ; ils n'affectent que la couche supérieure du sol
préservant ainsi les racines et les graines, ils ne s'attaquent
pratiquement pas aux arbres. Au contraire, en éliminant une bonne partie
de la strate herbacée pendant son passage, ils réunissent les
conditions (abaissement de la compétition herbe-arbre) d'une bonne
croissance des ligneux plus tard au moment de leur reprise. De ce fait, en
favorisant le développement des ligneux, ils seraient favorables aux
savanes arborées ou boisées (César, 1994). Les feux
pastoraux, généralement précoces, qui visent, selon
Boutrais (1994), à favoriser, par des repousses, le renouvellement du
pâturage (Bruzon, 1994 ; César, 1994) relèvent, en
conséquence, de stratégies du court terme (Boutrais, 1994). Ils
conduisent, en effet, à long terme à l'embroussaillement des
formations de savane et à la perte d'une bonne partie du fourrage
herbacée.
Notons qu'en zone subhumide, si le feu est précoce -
pas assez précoce cependant pour interrompre la mise en réserves
des nutriments dans les organes souterrains (GTZ, 1979 in Hoffmann,
1985) - les repousses des graminées vivaces après le passage des
feux précoces sont plus importantes à cause de l'humidité
des sols encore élevée à cette période (Bruzon,
1995), ce qui accroît la valeur pastorale des milieux.
Cependant, les feux précoces
répétés, en favorisant le développement de la
végétation ligneuse, vont entraîner l'élimination
des hémicryptophytes, les plus recherchées par le bétail
(Daget & Godron, 1995 ; Kagoné, 2000), au profit des types
biologiques de plus grande taille (chamaephytes et nanophanerophytes) et une
réduction de la contribution des Graminées. A la longue il se
produit un embroussaillement puis une reforestation (Boutrais, 1994 ;
César, 2005). Ceci a des incidences négatives sur la valeur
pastorale et les potentialités fourragères de la savane qui
dépendent des graminées pérennes. Rippstein (1985) a
observé par exemple, suite à des études conduites dans
l'Adamaoua (Nord-Cameroun), qu'à partir d'un recouvrement ligneux de 40%
environ, la productivité et la valeur pastorale des milieux devenaient
faibles.
Les effets des feux dits « tardifs » sont
généralement plus nocifs que ceux des feux précoces
surtout sur la strate ligneuse (César, 1994 ; Bruzon, 1995). En effet,
au moment où ces feux surviennent (précisément en saison
sèche chaude), le combustible herbacé, assez sec, est abondant ce
qui permet un feu violent au moment même où les ligneux sont en
train d'émettre de nouveaux organes, notamment les feuilles et aussi,
pour certains, de fleurs et de fruits (Schmitz et al. 1996). Ces
organes, y compris les jeunes branches, sont alors brûlés,
obligeant les ligneux à une seconde et épuisante foliaison
(César, 1992). La croissance en zone de savane peut ainsi être
réduite faute de feuilles pour assurer la photosynthèse. Par
ailleurs, les rejets, les arbustes et les jeunes pousses,
particulièrement vulnérables (Beani & Dessi, 1984), sont en
grande partie détruits, ce qui empêche l'installation de nouveaux
individus ligneux (Bruzon, 1995). Étant inclus dans la strate
herbacée, ces derniers, encore fragiles, sont en effet
brûlés par les feux (Western & Maitumo, 2004 ; Bond &
Keeley ; 2005)
lors de leur passage. Les feux, en particulier le type
tardif, empêcheraient donc l'embroussaillement des milieux et
favoriseraient l'installation de savanes arbustives (César, 1994, cf.
figure II-1).
Cependant, la réponse des ligneux à l'action du
feu, même tardif, serait assez diverse selon l'espèce
considérée (Schnell, 1971) et l'âge de l'individu ligneux.
Selon Bruzon (1995) en effet, certaines espèces comme Afzelia
africana Smith ex Persoon et Nauclea latifolia Smith sont
résistantes ou «pyrotolérantes» (on les qualifie alors
de pyrophytes), elles rejettent abondamment à partir de souches munies
d'écorces épaisses, isolantes et subérifiées
protégeant les tissus vivants de leurs troncs. Elles ont, en outre, des
graines qui supportent les températures élevées. Par
ailleurs, d'après Schnell (1971), les arbres surtout les plus jeunes,
rejettent de la base et prennent un port buissonnant, lorsqu'ils sont atteints
par le feu.
Figure II-1. Rôle du feu dans l'évolution des
savanes (Source : César, 1994)
Légende :
En l'absence de feu, la végétation de savane
évolue vers la forêt dense. Le feu annuel maintient la
végétation des savanes, les feux précoces (courant
novembre) permettent l'installation de savanes arborées ou
boisées, tandis que les feux tardifs (mars) plus violents (le
combustible est devenu sec en ce moment) n'autorisent qu'une savane arbustive
claire.
2.2.1.3.2. Les feux et leurs impacts sur les
sols
Schnell (1971) puis Bruzon (1995) expliquent clairement et en
détail comment le feu influence les qualités chimiques et
biochimiques des sols. De manière générale, la couverture
du sol par la cendre induit une modification de sa température et de son
humidité relative. Par ailleurs, le sol est enrichi en
éléments assimilables comme le calcium, le magnésium, le
potassium et surtout le phosphore, de même, l'activité des
actinomycètes et des bactéries est stimulée par suite
d'une élévation du pH. Ces observations sont confirmées
par de nombreux
29
travaux conduits sous divers horizons (Senthilkumar et al.
1997 ; Jeensen et al. 2001 ; Wan et al. 2001). Les
travaux de Senthilkumar et al. (1997) apportent des précisions
sur le fait que seule la couche supérieure du sol (0-10 cm) est
affectée notamment par une augmentation de la population de la
microfaune ainsi que leurs activités enzymatiques du fait justement de
la disponibilité en matière organique.
Des feux fréquents et intenses (Bird et al.
2000 ; Parker et al. 2001 ; Mills & Fey, 2004) ou de plus en plus
tardifs (Bruzon, 1995) conduisent cependant à des effets contraires.
Mills & Fey (2004), à partir d'expérimentations menées
sur des savanes sud-africaines, observent, en effet, une destruction de la
matière organique produite par la végétation et la
litière, ce qui affecte, selon Laclan et al. (2002), la
disponibilité en nutriments pour la faune du sol. Roscoe et al.
(2000) au Brésil n'observent pas de différence dans la chimie des
sols brûlés par rapport à ceux mis en défens. Ils
constatent en particulier que les teneurs en carbone et azote ne changeaient
pas significativement, mais cela peut s'expliquer par le fait que ces auteurs
n'ont pas considéré séparément la couche (0-10 cm)
très affectée et celle (10- 20 cm) qui ne l'est pas du tout.
Au-delà de ces impacts directs, selon Bruzon (1995), le
feu en éloignant ou détruisant la faune du sol, joue sur la
structure de celui-ci. Par ailleurs, l'adsorption et l'infiltration de l'eau
diminuant par suite de la destruction de la litière et du couvert
végétal, l'évaporation se trouve accrue.
2.2.1.3.3. La végétation de savane, une
végétation adaptée au feu.
Les plantes de savane, par suite de l'élimination des
espèces sensibles, sont essentiellement des espèces
adaptées au feu auxquelles s'ajoutent des espèces qui lui sont
sensibles et qui se cantonnent sur des sites habituellement
épargnés par les flammes (anciennes termitières,
affleurements rocheux, cuirasses) (César, 1992 & 1994). Hoffmann W.
et al. (2003) montrent que les espèces ligneuses de savane ont
une plus grande tolérance au feu que celles de forêt, elles
développement une écorce plus épaisse, ont une plus grande
capacité de rejeter après le passage du feu et leurs jeunes
pousses atteignent plus vite la taille de reproduction ce qui leur donne plus
de chance d'atteindre la maturité entre deux feux consécutifs.
Cette évolution vers les formations forestières se produit
progressivement par la fermeture du milieu avec la disparition de la strate
herbacée graminéenne et la densification de la strate ligneuse
dans laquelle prend place des espèces auparavant peu compétitives
du fait du feu (Bruzon, 1995).
Le feu entretient donc le cortège floristique des
savanes - le « pyroclimax » (Schnell, 1971) - le protégeant
contre la concurrence des espèces forestières, dans cette mesure
il constitue un bon outil de gestion des pâturages savaniens (Campbell,
1954 ; Dolidon, 2005) riches en Graminées surtout pérennes. Dans
nos milieux cependant, où les savanes sont fortement
dégradées avec un envahissement des écosystèmes
savaniens par des graminées annuelles, il apparaît de plus en plus
évident que la mise à feu des pâturages constitue une
menace quant à leur équilibre et une perte de fourrage
(même de faible valeur) pour le bétail (Kièma S., 2007).
Par ailleurs, il importe de noter que, si les feux sont
favorables au maintien de groupements savanicoles pyrophiles originaux,
lorsqu'ils sont intenses et répétés par contre, ils
homogénéisent la végétation en réduisant la
richesse spécifique de la strate ligneuse et/ou de la strate
herbacée (Gill, 1975 ; Briggs et al. 1998 ; Achard et
al. 2001 ; Cochrane, 2003 ; Western & Maitumo, 2004 ; Archibald et
al. 2005). Dans une certaine mesure, il en est de même pour les
effets de la pâture notamment intense (Yates et al. 2000 ;
Achard et al. 2001 ; Archibald et al. 2005) sur lesquels nous
revenons dans le point 2.2.2 suivant.