Section 16.07 VII.7. Adaptation versus
atténuation, quelles priorités pour le Sénégal
?
Le MDP est un des mécanismes de marché flexible
du Protocole de Kyoto qui permet aux pays Annexes I d'engager des projets de
réduction de GES dans les pays en voie de développement pour
pouvoir utiliser les crédits d'émission
générés (CER) pour atteindre leur objectifs de
réduction. Après la première année de la
première période d'engagement, il convient de questionner les
intentions du MDP et les enjeux pour l'Afrique. Selon plusieurs documents
officiels, l'objectif du MDP est double ; il permet d'une part d'aider les pays
industrialisés à atteindre leurs objectifs de réduction
des GES émis tout en permettant un transfert de technologies et un appui
économique au pays en voie de développement.
La première interprétation qu'on peut faire de
cette allégation est que le privilège du développement
industriel est réservé aux pays du Nord, et que les pays du Sud
doivent se contenter de nettoyer l'atmosphère.
La deuxième interprétation réside dans le
fondement éthique du MDP. Bien avant que les changements climatiques
aient été considérés comme défi majeur de
l'humanité, la question du développement de l'Afrique a
été posée à travers une amélioration du
système agro-sylvo pastoral. Les échos et engagements sur ce
problème d'amélioration de ces systèmes de production
n'ont pas été, à l'époque, aussi favorablement
accueillis qu'ils ne le sont aujourd'hui, parce que simplement la question est
devenue à la fois un problème éthique et une solution
potentielle à la réduction des GES. En d'autres termes, le
principe de la responsabilité commune et différenciée
engage, pour la recherche de solution, toute la communauté, mais les
bénéfices réels au bout du compte sont mal répartis
au sein de cette communauté.
En outre, le Sénégal, dans le souci de tirer le
meilleur parti de cette nouvelle économie verte a eu l'idée de
développer le secteur des biocarburants. Cette option pourrait
contrarier l'engagement pour la production agricole dans le but d'arriver
à une production alimentaire suffisante pour les besoins du pays. A cet
égard, les programmes comme la GOANA et le REVA, semblent plus
cohérents au contexte actuel du pays parce qu'orientés vers la
production agricole pour l'autosuffisance alimentaire. Dès lors que la
sécurité alimentaire est une préoccupation majeure dans le
contexte de pauvreté rurale marquée, l'esprit de promouvoir les
biocarburants devient peu attractif. Ainsi, au lieu d'orienter les grandes
ambitions agricoles vers le développement de Jatropha curcas,
il serait mieux de mettre
l'accent sur les cultures vivrières ou la maîtrise
de l'eau pour atténuer la crise du milieu agricole.
Exemple du prix du carbone
La valeur de la tonne de carbone sur le marché
international tourne dans le meilleur des cas autour de 20 US $ (prix d'aoflt
2008). Il faut d'abord noter que l'effort à consentir pour capturer 1
tonne de carbone correspond à un effort correspondant à la
production de 2 tonnes de biomasse. L'utilisation de cette biomasse pour la
satisfaction des besoins énergétiques donne une plus grande plus
value aux populations que sa vente sur le marché du carbone. Dès
lors, il faut penser aux caractères compétitifs de ces projets
MDP qui ne doivent pas être réduits à leur simple et
triviale dimension financière. Vu sous l'angle de cette tyrannie,
l'esprit des MDP - qui est d'abord une responsabilité sociale et un
devoir à l'endroit de l'environnement et non pas une loi aveugle du
marché- risque d'être altéré par le jeu de la
spéculation des cartels et autres lois ultra capitalistes.
Le développement de projets MDP est un processus
très complexe. Il sera difficilement à la portée des
populations locales pourtant essentiellement visées par cette mesure. Le
cycle d'un projet MDP nécessite beaucoup de temps qui dépasse
largement les délais de réponses requises par les populations
pour parer à l'urgence des questions de pauvreté. La figure 104
schématise le cycle d'un projet MDP.
Figure 104. Cycle d'un projet MDP
(synthèse des étapes)
Les détails à considérer dans la
structuration de projets MDP sont donnés dans les développements
qui suivent.
Le Project Idea Note (PIN)
C'est l'idée de projet proposé par un porteur
sur la base d'une étude de faisabilité pour évaluer les
possibilités de développer un projet complet. Cette étude
de faisabilité prend en compte le potentiel de réduction de GES,
les coOts associés, l'additionalité et la possibilité que
le projet soit approuvé par le pays hôte, le Bureau
Exécutif du CDM et l'investisseur si déjà
identifié. En somme, le PIN donne une idée générale
d'un projet, mais en fournit au moins les informations indicatives sur
l'additionalité et le financement.
Le Project Design Document (PDD)
Il s'agit du projet détaillé avec un
scénario de base, une méthode de suivi, un calendrier et les
périodes d'accréditation, les impacts environnementaux et
sociaux. C'est ce document ainsi ficelé qui sera soumis aux
étapes administratives et de validation entre l'AND, le Bureau
Exécutif et l'Entité Opérationnelle avant sa mise en
~uvre. En gros un PDD comporte 5 grands points :
A. La description générale du projet
B. Le scénario de base et la méthode de suivi
C. La durée du projet et la période
d'accréditation choisie
D. Les impacts environnementaux et sociaux
E. L'avis ou les commentaires des partis prenants En plus il
faut produire 4 annexes :
Annexe 1. Les contacts de l'instituions (s) qui soumet le projet
Annexe 2. Les informations sur le financement public
Annexe 3. Les informations détaillées sur le
scénario de base Annexe 4. Le plan de suivi
Les méthodes approuvées
Tout projet MDP doit se référer à une
méthode approuvée pour la description de son scénario de
base, de la méthode de suivi, de l'additionalité etc. Au total,
10 méthodes sont approuvées par la Convention (AM-AR1-10, avec
une méthode consolidée ACM-1, à la date d'Aoflt 2008). En
développant un PDD, il faut choisir la méthode approuvée
qui du point des activités sont les plus proches de ce qu'on a choisi de
développer comme projet. La méthode approuvée est une
standardisation des caractéristiques des scénarios de base, du
calcul de l'additionalité et des réductions d'émission. La
méthode de suivi y est aussi harmonisée à travers les
paramètres et modes de suivi des activités.
La validation par l'Entité Opérationnelle
Désignée (EOD)
Il s'agit d'une évaluation indépendante du projet
qui vérifie si les conditions du MDP sont respectées au moins au
niveau des aspects suivants :
- le PDD répond-il aux exigences du MDP ?
- la méthodologie choisie est-elle applicable et
correctement utilisée ?
- le projet est-il additionnel ?
- les documents d'approbation de l'autorité nationale
désignée sont-ils obtenus ?
C'est après ces vérifications que le projet est
mis sur la page web de la convention dans la rubrique validation, pour des
commentaires ouverts pendant un mois avant validation finale. Pendant ce
processus le porteur du projet est régulièrement invité
à effectuer des clarifications et corrections en fonction des remarques
issues des évaluateurs. Cette validation peut être une relecture
du document de projet, mais elle peut comporter une visite de site. Le document
ne peut être enregistré par le Bureau Exécutif
qu'après avoir franchi ces étapes.
Mise en oeuvre du projet
La mise en ~uvre du projet doit être basée sur un
respect strict de la méthode de travail. Une comptabilité
correcte du carbone séquestré est requise avec
l'élaboration régulière de
rapports de suivi qui doivent être transmis à
l'Entité Opérationnelle Désignée, laquelle doit
être différente de celle qui a évalué le projet. A
cette étape, la vérification consiste à voir si les
émissions certifiées déclarées dans le document de
projet sont atteintes lors de la mise en ~uvre. L'entité
opérationnelle qui fait l'évaluation de la mise en ~uvre envoie
les résultats du projet pour que des Certificats d'Emissions
Réduits (CERs) lui soient délivrés par le Bureau
Exécutif. Ces certificats d'émissions réduits sont vendus
sur le marché du carbone.
Les concepts du CDM foresterie
Les pays en voie de développement doivent
définir la notion de forêt avant de pouvoir mettre en ~uvre tout
projet de boisement ou reboisement dans le cadre du Protocole de Kyoto. Pour ce
faire, des critères nationaux doivent être définis mais en
conformité avec ceux définis par les Accords de Marrakech sur la
surface minimale, le taux de couverture et la hauteur des arbres. Dans ce
cadre, les critères pour définir une forêt sont les
suivantes :
- surface minimale entre 0,05-1,0 ha,
- taux de couverture des arbres 10-30 %,
- auteur des arbres 2-5 m à maturité.
Dans la plupart des pays, ces critères de
définition ne sont pas encore fixés. L'une des difficultés
majeures liées au choix de ces critères est son influence
à la fois sur les terres éligibles, sur la faisabilité des
projets, mais aussi sur la cohérence avec les objectifs du pays (Neeff
et al., 2006). Si on choisit des critères qui maximisent les
terres éligibles et la faisabilité, on peut introduire une
contrainte sur les objectifs de développement du pays, par exemple sur
ses activités de développement agricoles. Un choix optimal est
donc très difficile à faire.
Il faut noter que l'application de ces critères au
Sénégal convertit en forêt la plupart des formations de
savane, les jachères de longue durée, quelques vergers, etc. Ces
critères ont été un ajustement de la première
définition donnée par la FAO (surface minimale 1 ha, hauteur
minimum des arbres 7m, et taux de couverture > 20 %). L'abaissement des
seuils a entraîné une augmentation rapide et consistante (300
millions d'ha) des surfaces forestières du globe (Neeff et al.,
2006). Ces définitions ne précisent pas la différence
entre forêts naturelles et forêts artificielles.
Les activités éligibles sont le boisement
(afforestation) et le reboisement (reforestation). Le
boisement fait référence aux
conversions directes en zones forestières par activités humaines,
des terres qui n'étaient pas des forêts depuis au moins 50 ans,
par une plantation d'arbres, des semis direct, ou par promotion de la
régénération naturelle. Le
reboisement
est une conversion directe par l'homme de terres non
forestières (après déboisement), en terres
forestières par des plantations, des semis directs, ou par la promotion
de la régénération naturelle. Pour la première
période d'engagement, les terres éligibles au reboisement sont
celles qui n'ont pas été des forêts depuis le 31
décembre 1989.
Les contraintes d'un projet MDP foresterie
La rédaction de projets MDP bancables dans le domaine
de la foresterie est un exercice ardu et complexe. Il y a plusieurs
difficultés liées à l'élaboration de ces types de
projets. La première difficulté est leur manque de
flexibilité. On est même tenté de dire que les
mécanismes de flexibilités ne sont pas aussi flexibles qu'on le
dit et qu'on peut l'entendre. A ce sujet et pour qu'un projet puisse être
retenu, il faut tenir compte de quelques contraintes présentées
ci-dessus.
- Le projet doit satisfaire aux exigences et rigueur d'une
méthode élaborée ailleurs dans d'autres
écosystèmes notamment ; il existe à l'heure actuelle
près de 6 AR (Afforestation, Reforestation Methods) `applicables' au
niveau des écosystèmes tropicales, mais aucune n'a
été proposée pour répondre aux exigences des
savanes de l'Afrique de l'Ouest.
- Une bonne partie des données requises pour calculer
l'additionalité et les quantités de carbone certifié, ne
sont pas disponibles pour le moment (la productivité des
écosystèmes, la vitesse de croissance des espèces ; les
fuites liées à la satisfaction des besoins locaux, etc.).
- La difficulté pour caractériser la ligne de
référence (absence de données et de documentation).
- Les approches sont très techniques et il existe peu de
spécialistes de la question dans les pays d'Afrique.
- Les nombreuses étapes d'approbation avant la
finalisation d'un projet MDP : par exemple il faut élaborer un PIN,
soumettre le PIN à l'AND, qui l'examine et le soumet au Comité
National sur les changements climatiques. Si l'idée est acceptée,
un budget est sollicité, après rédaction, une
re-soumission est faite auprès de l'AND, qui le transmet au Bureau
Exécutif pour avis des experts. Si le projet est accepté parce
techniquement valable, il est finalement déposé auprès
d'un bailleur de fonds.
- L'approche est trop structurelle pour des populations
locales qui se retrouvent mieux dans la foresterie communautaire que dans des
systèmes qui rappellent étrangement la logique des plantations en
régie.
La complexité du cycle des projets MDP rend difficile
l'accès aux fonds alloués à cette activité et
explique la part congrue de l'Afrique dans les transactions de carbones sur le
marché international. Cependant le potentiel est là et ne
s'articule pas nécessairement aux activités éligibles de
la phase 2008-2012. Une étude menée par Skurtsch (2005) montre un
grand potentiel de la foresterie communautaire dans les pays en
développement pour les CDM. L'argumentaire de cet auteur est basé
sur les avantages financiers d'une telle approche compte tenu des coOts minimes
liés à leur mise en ~uvre comparé aux grands projets de
boisement/reboisement. Il suffit dans ce cas de bien former les populations
pour les travaux techniques de suivi et d'évaluation.
Même si les plantations en régie sur de grands
espaces peuvent jouer un rôle actif dans le puisage du carbone, il faut
remarquer qu'elles sont d'un faible apport pour l'atténuation directe de
la vulnérabilité des populations si ces dernières ne
peuvent y tirer profit dans le cadre d'une valorisation durable. Le plus
souvent les plantations en régie ont des fortunes différentes au
Sénégal. Elles sont en général sous l'apanage de la
DEFCCS sans grande intervention des populations. Par contre,
l'aménagement forestier communautaire déjà en cours mais
non éligible d'après Skurtsch (2005), peut pourtant donner des
résultats satisfaisants en termes de conservation des
écosystèmes et de développement local. Ces
résultats n'ont pas été articulés dès le
départ avec les changements climatiques, mais il faut noter que la
reconstitution des formations végétales à travers ces
projets contribue significativement à l'atténuation des GES mais
aussi et surtout à la réduction de la fragilité des
écosystèmes et à l'augmentation du potentiel de
séquestration de carbone au fil des années. Plusieurs organismes
et ONG appuient déjà avec succès de telles entreprises
à travers des microcrédits et une impulsion d'une dynamique
organisationnelle permettant aux populations locales de mieux s'organiser et de
promouvoir une démocratie interne au sein des structures
d'aménagement et de gestion. La foresterie communautaire s'articule bien
avec les réformes administratives et de gouvernance des deux
dernières décennies et portant sur la décentralisation. La
gestion des ressources naturelles est une compétence
transférée entre autres et donne droits de contrôle et de
gestion durable de ces ressources aux communautés de base. Si donc dans
le cadre des MDP on ne s'inscrit pas dans la tendance actuelle en
matière de GRN, on peut passer largement à côté des
objectifs initiaux.
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