(d) VII.6.4. Les réponses adaptatives
communautaires
Les formes d'adaptation sont nombreuses et variées. Il
est difficile, partant du cas du Saloum Oriental, de lier les réponses
adaptatives aux seuls changements climatiques. Les facteurs économiques
et politiques sont tout aussi déterminants dans le processus
d'appauvrissement des populations locales. Pour simplifier l'analyse, nous
présentons les formes d'adaptation selon une typologie qui
dépendra des options et des formes d'adaptation, mais aussi selon les
échelles de temps et d'espace de l'adaptation sur la zone
étudiée.
Les populations peuvent développer des
stratégies d'amélioration de la production agricole (adaptation
au champ) ou explorer d'autres activités permettant d'assurer leur
survie (adaptation hors champ). Les formes d'adaptations au champ sont
très variables.
* Les agriculteurs développent des
stratégies de reconstitution de la fertiité de terre à
travers les options suivantes (adaptation réactive et préventive)
:
- la fertilisation organique : utilisation de quelques
résidus agricoles, des bouses de
vache, en lieu et place des fertilisants minéraux qui sont
chers et peu accessibles ;
- la promotion de l'agroforesterie qui consiste à
promouvoir un nombre d'arbres plus
important dans le champ et autour du champ (haie vive) pour
d'une part atténuer
l'érosion, et d'autre part faire jouer à l'arbre
(surtout Faidherbia albida et Cordyla
pinnata) le rôle de pompe de nutriments profonds
que les racines des plantes cultivées ne peuvent atteindre ;
- les jachères de courte durée pratiquées
de plus en plus sont une réponse à la saturation foncière.
Il s'agit donc d'une réponse au manque de terre. Cependant, quand les
jachères sont courtes, elles ne permettent de reconstituer la
fertilité du sol. Dans de tel cas on parle de mal-adaptation.
* Les changements de techniques et d'options culturales
(adaptation préventive et planifiée) :
- alternance de cultures (alternance de plantes fixatrices
d'azote comme l'arachide à des plantes vivrières comme le mil) ;
cette approche réduit les pertes rapides de fertilité des sols et
est combinée à un choix de semences à cycle court ;
- diversification agricole, par l'introduction et la promotion
de nouveaux cultivars comme le bissap, le melon d'eau, le sésame, qui
peuvent générer des revenus et compenser les faibles performances
de la culture arachidière. Les cultures introduites sont adaptées
aux conditions de faible pluviométrie. Il faut aussi noter que dans la
zone, la culture vivrière du mil a pris une grande importance pour des
raisons de sécurité alimentaire des populations locales, mais
aussi parce que le mil est devenu un important `vivrier marchand' des centres
urbains en pleine expansion (en particulier Touba, Kaolack et Dakar) ;
- utilisation des bas fonds, moins inondés et l'abandon de
certains champs de plateaux aux sols pauvres ;
- promotion de la culture de contre saison, avec notamment le
maraîchage comme activité émergente, promue par des projets
de développement et des ONG ; le maraîchage occupe ainsi les
populations pendant la période sèche longue de 8 mois, ce qui
leur permet d'avoir des revenus additionnels non négligeables, tout en
améliorant leur niveau de vie ;
- le développement de l'élevage intensif
(stabulation).
A côté de ces stratégies au champ,
d'autres initiatives adaptives sont développées dans d'autres
secteurs de la vie économique et sociale afin d'atténuer les
impacts des contraintes liées à la variabilité climatique
et aux facteurs politico-économiques.
Les dynamiques récemment observées dans le
Saloum Oriental montrent une amélioration de la dynamique
organisationnelle en termes de solidarité de groupe. Les populations
mettent en place, avec l'appui des projets de développement ou des ONG
des comités locaux appelés Organisations Communautaires de Base
(OCB) qui peuvent être des Comités
Villageois de Développement (CVD), des Groupements de
Promotion Féminines (GPF), des Groupements d'Intérêt
Economiques (GIE), des Associations Sportives et Culturelles (ASC), des
organisations d'orientation socio-religieuses ou Dahiras, etc. Cette dynamique
organisationnelle est réconfortée par le contexte de
décentralisation qui donne plus de responsabilités aux
Collectivités Locales, responsables de la gestion des ressources
naturelles entre autres compétences transférées. La mise
en place de Plans Locaux de Développement (PLD) montre un souci de mise
en cohérence de la politique locale avec une identification des acteurs
et des interventions prioritaires susceptibles de promouvoir le
développement à la base. Cependant, les PLD écrits en
français ne sont pas accessibles à la majorité des
populations locales. Dans de nombreux cas, les PLD représentent plus une
liste de souhaits, de projets à faire par l'Etat, ou des bailleurs de
fonds extérieurs ou les ONG, qu'une stratégie cohérente
permettant d'identifier les problèmes de gestion durable des ressources
naturelles. Il faut retenir toutefois que les réseaux sociaux et les
organisations sociales constituent la première ligne de défense
des ménages pour faire face aux chocs et met en avant les femmes qui du
fait de certaines pesanteurs sociales se déplacent moins facilement que
les hommes.
Ce contexte nouveau est confronté cependant à
des barrières liées au financement des besoins prioritaires,
à la connaissance des textes de la décentralisation et aux
questions de démocratie interne (Ribot, 1998 ; Ellison, 2004). Il est
reconnu que la diversification des revenus en milieu rural et la mise en place
de services financiers desservant les populations rurales sont les domaines de
politiques et de dépenses publiques accusant des lacunes importantes. En
outre, la présence encore apparente de l'Etat dans la politique
d'exploitation forestière limiterait les capacités de
contrôle de la dégradation des ressources forestières par
les populations locales.
Une autre dynamique positive est l'engagement plus
significatif tourné vers l'alphabétisation et l'éducation
de base. La zone du Saloum Oriental comme pour plusieurs zones du
Sénégal tire profit du programme structurel de l'Etat pour
améliorer l'éducation de base et le niveau d'instruction des
populations. Les capacités d'innovation et l'utilisation efficiente des
ressources naturelles requièrent un bon renforcement des
capacités techniques locales. L'engouement et l'intéret
porté à l'éducation s'explique par une volonté de
plus en plus marquée de recherche d'un emploi salarié
sécurisé plutôt que la dépendance à une
production agricole contingente. Les interventions diverses et variées
des structures de développement fortifient cette volonté de
renforcement des capacités locales dans le cadre des approches
participatives qui privilégient les besoins des populations locales.
Par ailleurs, des actions de terrain menées pour
réduire l'occurrence des feux de brousse, améliorer la couverture
végétale par des activités de reboisement ou de mise en
défens sont autant de réponses à la dégradation de
l'environnement. A ce niveau, beaucoup d'efforts de communication sont
menés à travers les radios rurales ou communautaires, les
assemblées villageoises, etc. Ces actions sont parallèlement
conduites avec une valorisation commerciale de certains produits forestiers
ligneux et non ligneux (Mertz et al., 2009). Cette dernière
option est encore marquée par des tares qu'il faut corriger pour que le
souci du profit immédiat, favorisé par les opportunités
des marchés (louma ou marchés hebdomadaires), ne prenne le dessus
sur la conservation durable des ressources forestières.
L'une des formes d'adaptation non agricole les plus sensibles
en termes social et économique est la migration des populations. Une des
premières réponses à la dégradation des ressources
naturelles, base de survie des populations, est d'aller faire fortune ailleurs
(Mertz et al., 2009). Les études sur les migrations rurales
montrent qu'il s'agit d'une question complexe. De façon
générale, les ruraux se déplacent par étapes,
d'abord en direction des villes secondaires (Touba, Kaolack), vers les villes
côtières comme celles de la zone des Niayes, Saint-Louis et Mbour
(pour la pêche et le maraîchage) ; ensuite une bonne partie arrive
à Dakar pour se déployer dans le secteur dit `informel'. Puisque
l'agriculture n'est plus `compétitive' comparée au recyclage des
ordures, au petit commerce urbain, au travail de gardiennage, à
l'agriculture périurbaine, les populations rurales sont attirées
par les grandes villes et étoffent les grands effectifs de population,
surtout de celle de Dakar. La chaine de migration explique le regroupement des
familles au niveau des quartiers périphériques dans des
conditions écologiques et économiques très
précaires (Mbow et al., 2008).
Quelque soit les réponses apportées à la
dégradation de l'environnement, on peut faire une analyse temporelle ou
spatiale fine permettant de mieux caractériser les dynamiques en cours.
En effet, l'adaptation peut concerner des réponses individuelles sur de
petites surfaces (le lopin de terre, la vie du ménage), ou collectives
(reboisement, projets de groupes au sein des OCB, initiatives des CR). Ces
réponses peuvent aussi être menées comme des
réactions immédiates à un problème ponctuel (vendre
du bois pour inscrire son enfant à l'école, produire du charbon
pour payer les frais sanitaires d'un malade), ou se projeter dans le long terme
par l'implantation de vergers, ou la mise en défens forestier. Parfois,
le court terme peut constituer une contrainte sur le long terme ; par exemple
une forte exploitation de bois de Vèn (Pterocarpus erinaceus)
pour gérer des besoins immédiats peut nuire à la
conservation durable des ressources naturelles si l'ampleur de cette forme
d'exploitation est grande et si elle est non planifiée.
Chacun des éléments de réponse
développés dans le cas du Saloum Oriental constitue une
simplification et un rappel des grands facteurs qui jouent dans la
vulnérabilité et l'adaptation. L'idée est de comprendre
l'interaction des mécanismes fonctionnels qui régissent la
dynamique de l'environnement et les réponses dynamiques des populations
par rapport à sa dégradation. La figure 103 est une
synthèse des idées développées ici. Elle permet de
mieux comprendre comment se pose la question de l'adaptation dans le Saloum
Oriental.
Figure 103. L'adaptation est une réponse
à plusieurs stress dont les changements climatiques. Source : Mbow
et al. (2008)
Dans la mesure où l'adaptation a été
posée comme une priorité dans le cadre des changements
climatiques pour l'Afrique, nous proposons une analyse croisée avec les
efforts d'atténuation véhiculés dans les pays en voie de
développement par la mise en ~uvre de projets MDP.
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